Héritier d’une des familles les plus puissantes du Kenya, Uhuru Kenyatta peut commencer à croire en son pari: devenir président, plusieurs décennies après son père, en dépit de son inculpation par la Cour pénale internationale pour les violences post-électorales de 2007-2008.
Faisant fi des analystes jugeant un tel handicap rédhibitoire, M. Kenyatta disposait mardi soir d’une avance notable sur son principal adversaire, Raila Odinga, après dépouillement des résultats de 42% des bureaux de vote.
Uhuru (dont le prénom signifie “liberté” en swahili) est le deuxième enfant et le premier fils du couple formé par Jomo Kenyatta, premier président du pays entre 1964 et 1978, et sa quatrième épouse Ngina, future première Première Dame.
Né le 26 octobre 1961, quelques mois après la libération de son père emprisonné pendant près de dix ans par le pouvoir colonial britannique, il est l’un des principaux chefs de file de la communauté kikuyu, la plus nombreuse du pays.
La famille Kenyatta est à la tête d’un empire financier comprenant notamment l’entreprise laitière Brooksides, la banque CBA (Commercial Bank of Africa), le groupe de média Mediamax et un groupe hôtelier.
Elle est surtout le principal propriétaire terrien individuel du Kenya, à la tête de plus de 200.000 hectares de terres achetées par Jomo Kenyatta au gouvernement britannique au moment de l’indépendance, via un programme public de transfert foncier à bas prix qui, selon ses détracteurs, a surtout profité à quelques privilégiés de la classe dirigeante kényane.
A son frère cadet Muhoho la gestion de la fortune familiale, à Uhuru, l’héritage politique.
Celui-ci se lance en 1997, candidat à la députation dans l’ancienne circonscription de son père. Il est battu et devra attendre 2002 pour remporter, dans cette même circonscription, sa première victoire électorale.
Entre-temps, l’ancien président et autocrate Daniel arap Moi (1978-2002), successeur de son père, favorise son ascension politique en le nommant en 1999 à la tête du Conseil du tourisme kényan, puis en octobre 2001 au Parlement et au gouvernement en tant que ministre des Communautés locales.
“Uhuru n’est pas un homme politique de terrain comme l’est Raila” Odinga, actuel Premier ministre et son principal adversaire à la présidentielle, explique Daniel Branch, professeur d’histoire africaine à l’Université britannique de Warwick.
“Il s’est lancé en politique en partie parce Moi le lui a demandé et probablement parce que c’était un bon moyen de protéger les intérêts de la famille en période de transition politique”, ajoute l’historien.
En 2002, M. Moi en fait officiellement son dauphin comme candidat de la Kanu (ex-parti unique) à la présidentielle de 2002, suscitant un fort mécontentement au sein du parti.
Battu par Mwai Kibaki, M. Kenyatta devient le chef de l’opposition parlementaire avant de soutenir la réélection de son ex-adversaire à la présidentielle du 27 décembre 2007. La contestation de la victoire annoncée de M. Kibaki dégénère en tueries politico-ethniques qu’il est soupçonné d’avoir alimentées.
Il devient vice-Premier ministre et ministre des Finances dans le gouvernement de coalition formé par M. Odinga, adversaire malheureux de M. Kibaki, après l’accord de partage du pouvoir entre les deux hommes.
Son inculpation par la CPI pour crimes contre l’humanité le contraint à abandonner en janvier 2012 son portefeuille des Finances, mais il conserve son poste de vice-Premier ministre.
Le procureur de la CPI accuse M. Kenyatta, marié et père de trois enfants, d’avoir mobilisé le gang criminel des Mungiki pour attaquer des partisans de M. Odinga.
Regard alourdi par de profondes poches sous les yeux, barbe fine, M. Kenyatta jouit d’une image contrastée dans les chancelleries.
« Les handicaps de Kenyatta sont au moins aussi importants que ses forces. Il boit trop et n’est pas un bourreau de travail », écrivait mi-2009 l’ambassadeur américain à Nairobi dans un télégramme publié par Wikileaks.
Mais selon un expert économique occidental à Nairobi, “Uhuru a été un bon ministre des Finances, apprécié des institutions internationales”. “Il est très charismatique, il sait comment s’y prendre” avec les partenaires internationaux..
Son inculpation par la CPI a toutefois entamé la cote de M. Kenyatta auprès de plusieurs ambassades, dont celles de l’UE qui ont pour politique de n’avoir que des “contacts indispensables” avec les personnalités inculpées par la CPI.
Afp