Togo. 2005

0

Toutes les déclarations des partis ou collectifs sur les violences perpétrées par les milices du RPT-Unir le 15 septembre 2012 , pour empêcher la manifestation du Collectif Sauvons le Togo d’atteindre le quartier Adéwui, se réfèrent à l’année 2005. Cette année n’est bien sûr pas celle du début des souffrances du peuple togolais, de la crise togolaise. Mais elle est celle à partir de laquelle beaucoup de nos souffrances actuelles auraient pu être évitées, celle à partir de laquelle la situation dans notre pays aurait pu prendre un autre visage.

L’heure n’est pas au procès d’intention, ni au procès tout court au sein de l’opposition( un procès qui pourrait fragiliser nos dirigeants), mais elle est à la lucidité, comme je l’ai souvent dit, donc à la vigilance. Elle est aussi au courage de nous regarder les yeux dans les yeux, de regarder la réalité en face et la dire sans ambages. Et la lucidité requiert la force morale de se remettre soi-même en cause.

Au-delà des condamnations du régime qui a commandité et/ou organisé ces massacres et pour qui tous les moyens sont bons pour rester en place, évoquer les massacres de  2005, sans en tirer, tant soit peu, les leçons pour nous-mêmes peut relever d’une tactique mal réfléchie, pour émouvoir, alerter, voire effrayer l’opinion nationale ou internationale. Mais cette attitude peut relever aussi d’un cynisme politique qui se cache mal. Qu’ont gagné réellement pour l’avancement de la cause nationale les sacrifices consentis par nos concitoyens morts, blessés, exilés…? des postes de ministres, de députés…pour les responsables de leurs partis, des ressortissants de leurs villages, de leurs régions? Est-ce pour ces objectifs que nous menons la lutte?

Toute la question, sans remettre en cause la nécessité des manifestations comme celle de toutes les actions dans le cadre de la désobéissance civile, est de savoir si nos leaders vont se réduire et nous réduire à ceci : manifestations de l’opposition, répressions attendues du régime, blessés, morts, fuites hors du pays. Et jusqu’à quand ce cycle durera-t-il, se répètera-t-il?

La lucidité n’est pas sans coût, n’est pas une solution de facilité. Loin de là. Elle coûte une remise en cause des méthodes et même une auto-critique à laquelle le citoyen a le droit de se demander si nos leaders sont prêts à se livrer.

C’est juste de dire que le régime n’a qu’une réponse aux revendications de la population « le dialogue creux suivi de violence », pour emprunter les termes de la déclaration de OBUTS. Mais, nous de l’opposition, avons-nous changé de tactique? Nous ne pourrions réellement changer de tactique qu’après nous être posé les questions de savoir ce que nous avons fait, de 2005 à ce jour, si nous n’avions pas nous-mêmes sollicité ce dialogue que nous savions n’avoir que très peu de chances de voir aboutir aux aspirations du peuple togolais, participé à ce dialogue, créé ou fait semblant de créer un cadre dit permanent pour ce dialogue?

Il est vrai qu’au lendemain de la mort d’Eyadema, un semblant ( toujours semblant!) de consensus s’est fait au sein de l’opposition, dans quel but? Avec quel poids réel? Bien sûr qu’avant les massacres, il y a eu la fameuse déclaration de Chirac que certains avaient prise comme l’élection jouée d’avance du fils d’Eyadema, son ami personnel et l’ami de la France à la présidence de la République du Togo. Mais n’y avait-il pas vraiment moyen de passer outre cette déclaration? Aussitôt après les massacres, il y a eu les voyages incessants à destination de Niamey, de Ouagadougou, de Libreville, de Lagos, de Paris…Nos compatriotes qui couraient alors vers ces capitales, y cherchaient-ils simplement les solutions à la crise togolaise? Ou autres choses? Leur propre positionnement en vue des postes éventuels à occuper? De l’argent? Et qu’y ont-ils trouvé qui soit utile pour le Togo? Il y a eu la fameuse accolade de Gilchrist Olympio à Faure Gnassingbé à Lagos, il y a eu Edem Kodjo, il y a eu les les 22 engagements, la signature de l’APG, la nomination du président du CAR au poste de Premier Ministre, l’entrée des premiers responsables de la CDPA au gouvernement…Tout cela s’est fait grâce à des dialogues, à des négociations que l’on savait fondamentalement creux, sur fond de violence ou de menace de reprise des actes de violence au cas où le régime n’y obtiendrait pas ce qu’il souhaitait.

Aujourd’hui, nous devons nous interroger et surtout interroger ceux qui justifiaient leur participation à ces dialogues par cette raison qu’ils voulaient aller changer le régime de l’intérieur.

Ont-ils réussi? Ont-ils échoué?

Si seulement ils avaient réussi, nous ne verrions pas ces images du 15 septembre 2012 que beaucoup veulent comparer à celles de 2005 et même à celles des années 1990, si l’on prend la déclaration de « La Coalition Arc-en-ciel (est) profondément choquée et indignée par ces actes barbares ».

Littéralement, pour traduire une expression de chez nous, personne n’a attaché nos leaders (que je respecte en tant personnes) par une corde passée autour de la taille pour les entraîner ou les traîner à la table de ces négociations. Comment être sûr que le scénario ne va pas recommencer, avec les mêmes résultats? Nous entendons bien les responsables des principaux partis de l’opposition dire non au dialogue. Ce qui nous inquiète, ce sont les formulations de ce non. Et surtout, ce que l’on ajoute à ce non, la phraséologie qui enrobe ce non et qui pourrait, finalement, vouloir dire : oui si…

J’aime bien l’article du jeune écrivain David Kpelly publié le 18 septembre «  Me Zeus, quand on refuse, on dit non »( titre emprunté au romancier Ahmadou Kourouma, précise Kpelly, par honnêteté intellectuelle).

Je me suis attardé tout particulièrement sur ce passage qui est une mise en garde sévère, mais adressée à juste titre, non seulement à Ajavon, mais aussi à tous nos leaders :

«Que Me Zeus Ajavon et tous les responsables de l’actuelle opposition togolaise qui manifestent dans les rues, s’exposant aux coups et à la mort comprennent très bien qu’ils portent une lourde responsabilité, celle de répondre devant ce qui sortira de cette lutte populaire qu’ils ont pris la responsabilité de conduire. Ce ne sera pas le nombre de morts, de mutilés, d’exilés… qui comptera, mais le résultat qu’obtiendra le peuple à l’issue du sacrifice. Gare à ce Togolais-là qui au nom de quelque principe que ce soit, fera encore, comme Gilchrist Olympio, tuer, mutiler, massacrer de pauvres citoyens motivés par leur soif de liberté et de dignité, pendant des années, même des mois, même des jours, avant de montrer sa vraie face. »

Ces mots ne sonnent-ils pas un peu comme la sentence de Jésus : que votre oui soit oui, que votre non soit non. Ce qu’on y ajoute vient du malin. Ou de la malice, ou encore de l’arrière-pensée, si l’on veut. Or, nous avons lutté et souvent perdu à cause des arrière-pensées. Les anciens disent, en mina : Ne wo tchri ketia, a tchri aba. Il faut que les choses soient claires : on ne peut prétendre dire non au roseau et dire oui à la natte, ou lorgner secrètement le confort que procure la natte.

La confusion entre intérêts personnels, professionnels, parfois, et intérêts nationaux a été la cause de certains de nos échecs. L’article de Kpelly est très explicatif sur ce sujet : qu’ont à voir les affaires Pascal Bodjona et Kpatcha Gnassingbé ou autres escrocs et criminels avec des déclarations supposées réclamer simplement la démission de Faure Gnassinbé? Gagner dans un procès en tant qu’avocat est une chose, remporter la victoire dans le combat de la démocratisation, ce que souhaite le peuple togolais, en est une autre.

Savoir que nos populations, même si elles sont prêtes pour le sacrifice, n’iront pas toujours comme des moutons qu’on mène à l’abattoir, doit guider nos leaders. Surtout, épargnons à ces populations les risques inutiles. Et parfois stupides.

Pas tout à fait d’accord avec Kpelly sur le point précis des victimes, je dirai que leur nombre compte beaucoup, car n’est-ce pas connu que le meilleur stratège est celui qui enregistre le moins de pertes possible pour des résultats maximaux? Et que répondront nos responsables le jour où on leur dira que c’est pour leurs propres intérêts qu’ils ont sacrifié tant de compatriotes?

Une question ou deux: fallait-il que ce fût absolument au quartier Adéwui que la manifestation eût lieu? Et si cela était absolument indispensable, quelles dispositions avaient prises ces responsables pour éviter les affrontements entre manifestants de l’opposition aux mains nues et miliciens du RPT armés, soutenus par les forces dites de l’ordre? Comment se défendraient nos leaders si certains de nos adversaires dont le propre est la mauvaise foi, leur reprochaient d’avoir provoqué exprès « une provocation à domicile, » pour en profiter?

Un autre article publié le même jour que celui de Kpelly sur les mêmes évènements m’a fait beaucoup réfléchir, celui de Gerry Taama, une voix également jeune qu’il faut écouter : Le chaos total est à nos portes.

J’en retiens surtout ce passage :

« J’ai passé une fois encore tout le week-end à l’intérieur du pays. Le calme qu’on y trouve contraste grandement avec les images apocalyptiques que nous a renvoyées Lomé ce samedi. Échanger avec les militants de la Kozah, de la Binah, de Doufelgou, et de la Kéran, parcourir ces villages et cantons où les plaisirs sont simples, et se partagent autour d’un pot de tchouk ou d’un morceau d’ignames cuit sous la braise. Et, c’est là le plus important, écouter les aveux des anciens activistes du RPT qui se rallient, et qui vous détaillent les astuces mises en place pour frauder les élections. Le travail à accomplir est là. »

Ce travail que Taama propose à nos dirigeants avec les militants de la Kara ne pourrait-il pas être étendu à ceux des autres régions car, les anciens militants et miliciens repentis du RPT ne sont pas que d’une seule région du Togo.

Taama, bien sûr, n’a fait qu’une suggestion. Mais c’est une invite aux leaders à  explorer d’autres voies, à part celle des marches et des sit-in, qui ne sont pas des actions à supprimer, mais qui doivent être complétées par d’autres pour réussir notre désobéissance civile.

A défaut d’entendre nos leaders dire non d’une même et seule voix au régime, soyons au moins sûrs qu’ils ont, les uns et les autres, définitivement tourné la page des faux dialogues et que derrière les formules qui se veulent esthétiques, il ne se cache pas un clin d’œil à la natte, bien confortable, alors même que publiquement ils disent détester le roseau dont elle est faite.

Ce qui est simple est beau, dit-on communément. Je dirai que ce est simple frappe tout suite tous les esprits bien intentionnés, tous les honnêtes gens par sa clarté. Une esthétique de mauvais aloi s’apparente finalement au cosmétique de vieille dame. Et c’est bien souvent ce cosmétique qui nous nuit, qui vient compliquer la solution à nos errements, nous faire tourner en rond, au moins depuis 2005. Au lieu de marcher, d’aller vraiment de l’avant.

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

 

Partager

Laisser une réponse