Togo : Soulagez-vous! [Sénouvo Agbota ZINSOU]

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Évidemment la peur de l’homme en uniforme n’est pas la seule justification de…

J’aime bien me plonger, je dis bien plonger, n’hésitant pas parfois à atteindre les couches rabelaisiennes des histoires, dans cet humour que certains jugeraient grossier, mais qui est très significatif et qui caractérise nos populations devant certains faits contre lesquels seul l’humour semble être la réaction appropriée. Nous faisons beaucoup de choses en ce moment, nous prenant vraiment (j’allais dire vainement)au sérieux.

Un paysan de chez nous s’était levé un matin, n’ayant en tête que la seule préoccupation que l’on peut lui connaître : son champ, l’état de son champ. Il se trouvait déjà à la lisière lorsqu’il aperçut, je ne sais si c’est au milieu des plants de patates ou de manioc ou sous quelque arbre ou arbuste, dans cette position que l’on devine, un homme, ou plutôt une tête d’homme car celui-ci s’était découvert pour être plus à l’aise dans cette situation qui nous rappelle à tous, qui que nous soyons que nous appartenons à l’espèce animale.

Notre paysan, d’abord indigné, révolté devant un fait aussi répugnant dans son champ de si bon matin était sur le point d’agonir d’injures ce semeur de m., lorsque ce dernier, non seulement remit sa casquette, mais aussi se redressa, montra sa poitrine bien décorée des insignes,( ne me demandez pas s’il avait eu aussi le temps de remonter sa culotte et de boucler la large ceinture qui fait forcément partie de la tenue correcte des gens de son métier ) pour faire savoir au paysan, en cas de besoin, qu’on ne plaisante pas avec la m. des gens comme lui. Le paysan, s’en rendant compte se ravisa promptement et réprimant les injures que lui inspirait sa colère et qu’il s’apprêtait à débiter, fit semblant de faire l’éloge des merveilleuses choses qu’émettait l’homme en uniforme, policier, militaire, garde cercle, garde-champêtre,gendarme ou handami ( cochon gras, dirait-on en français)…car un homme en uniforme, même faisant ces choses, quoique ne portant pas une peau de panthère ou de quelque fauve, est toujours à craindre. Il ne faut pas se méprendre. Le paysan s’écria

d’abord, arborant le plus large sourire de circonstance :
Oh, patron, chef, je ne savais pas que c’était vous !Si c’est vous…allez-y
tranquillement. C’est le bon endroit. Et c’est votre droit!
Puis il se mit à chanter :
C’est là, le bon endroit où nous nous soulageons nous-mêmes
C’est le bon endroit où nos chefs se soulagent
C’est le bon endroit où les grands de ce pays se soulagent
C’est le bon endroit où même le Commandant se soulage
Soulagez-vous là, tranquillement
Soulagez-vous! Il n’y a pas de loi.

Ceux qui connaissent la version ewe du chant en question et qui peuvent la chanter, en privé, savent que c’est par un euphémisme, bien ou mal placé que je ne vous la livre pas dans cette version originale.

Et pourtant, ce n’est pas seulement savoureux.

On peut y apprendre énormément de choses, dont la principale est que depuis belle lurette, c’est-à-dire depuis la colonisation, l’homme en uniforme, dans notre pays comme dans certains autres en Afrique, est celui qui peut semer sa m. partout, sans craindre aucune loi.
On sait que dans notre pays, depuis 1963, les hommes en uniforme (sans vouloir les vexer) se sont soulagés, non seulement partout impunément, sans ordre, sans loi, mais encore que des citoyens sont prêts à leur dire : « Messieurs, allez-y tranquillement, on ne vous fera rien, personne ne vous inquiètera… ».

Évidemment la peur de l’homme en uniforme n’est pas la seule justification de ce comportement de certains de nos concitoyens. Il y a aussi, peut-être surtout, le fait que ces hommes régnant, leurs
propres intérêts sont garantis, leur propre impunité concernant leurs divers crimes est assurée.
Et, parfois, même si ces concitoyens font semblant de reconnaître qu’il y a crise et que notre société ne peut continuer ainsi d’avoir pour maîtres les semeurs de m., il ne leur viendra pas à l’idée de leur dire autre chose que : soulagez-vous, Messieurs. Il n’y a pas de loi d’interdiction.
Une autre chanson de jeu, pleine de poésie et d’humour sur la gent en question est peut-être moins succulente que la première mais ne la décrit pas moins dans ses agissements. Je peux vous livrer celle-là en ewe avant la traduction en français :

« Nuka ŋtō e dzō?
Sōdza ŋtō e va
Nya gōme ma bio
Dzo ge đo xōme
Mi biōƐ ze đeka
Dzeŋkpakpa e zro!

( Qu’est-ce qu’il y a donc?

C’est le soldat lui-même qui est venu
Sans poser de question
Il entre dans la chambre
C’est un papillon qui voltige)
Est-ce important de savoir ce que le soldat en question cherchait avec tant d’agitation, tant de bruit, en martelant le sol de ses lourdes bottes dans la chambre? Non, ce qui est important c’est de savoir qu’il peut entrer dans n’importe quelle maison, n’importe quelle chambre, y faire ce qu’il veut : je n’ai pas dit qu’il y battrait ou tuerait qui il veut. Ou volerait ce qu’il veut. Cependant, il a bien le droit d’y poursuivre, de cette manière intempestive qu’on connaît à la gent, un papillon dont l’existence le dérange. Et de l’y massacrer.

C e n’est pas pour dénigrer nos militaires ou leur attribuer toute la m. de nos sociétés. Au contraire, je leur rends hommage, car c’est bien grâce à eux que nous avons un pouvoir fort! Ou son homonyme.

Sénouvo Agbota ZINSOU

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