Vous ne croyez tout de même pas que je vais passer toute ma vie avec un correcteur de copies
Dans son dernier livre « Les Ouattara. Une imposture ivoirienne », Bernard Houdin, défenseur de Laurent Gbagbo et ancien conseiller à la présidence, dresse un portrait mordant de Dominique Ouattara, la puissante épouse du président ivoirien qui incarne les dérives affairistes du régime. Bonnes feuilles.
Jusqu’à son arrivée à Abidjan, Dominique Nouvian ne laisse pas de traces. La seule certitude, dans le fatras des informations reprises, en boucle, sur une multitude de sites Internet, reste sa naissance à Constantine, le 16 décembre 1953, dans une Algérie française qui va s’embraser dans moins d’un an.
Son père, Guy Nouvian, ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale, est marié à une jeune femme qui, à la demande de la famille du futur mari, a abjuré sa confession juive pour se convertir au catholicisme, condition sine qua none du mariage. Elle a quatre frères et sœurs dont l’un au moins, Philippe, est toujours dans son ombre au palais présidentiel.
Compte tenu de l’évolution des choses en Algérie, la petite Dominique doit avoir moins de neuf ans quand sa famille rejoint la France, à supposer qu’elle soit restée en Afrique du Nord jusqu’à l’indépendance. Sa biographie officielle lui attribue un cursus scolaire et universitaire qui peine à s’inscrire dans le temps de son séjour en métropole avant son départ pour l’Afrique noire avec son mari, Jean Folloroux.
Son arrivée en Côte d’Ivoire se situe certainement après la naissance de son fils, Loïc, né à Buhl, en Allemagne, le 16 avril 1975 et avant celui de sa fille Nathalie, née le 3 janvier 1979 à Abidjan.
Veuve, mais pas trop
La carrière de son mari dans l’enseignement en Côte d’Ivoire semble se dérouler dans de bonnes conditions, ce dernier apparaissant, au début des années 1980, comme conseiller au ministère de l’Éducation nationale. Le directeur de l’enseignement technique s’appelle alors, Bamba Vamoussa qui se lie d’amitié avec le professeur mais, surtout, devient un familier de sa jeune épouse. Jean Folloroux décèdera, accidentellement, en 1984, du moins selon la version officielle.
Les circonstances dramatiques du décès du professeur Jean Folloroux ont, semble-t-il, peu ou même pas du tout affecté sa jeune épouse qui n’avait certainement pas une passion définitive pour son premier époux. Une confidence d’un ami abidjanais, recueillie il y a bien longtemps, est éclairante à ce sujet.
Invité à un barbecue dominical chez l’un de ses amis, il y rencontre un couple de français qui vient d’arriver en Côte d’Ivoire. L’homme est plutôt âgé, ce qui tranche avec sa jeune et très accorte épouse. Tôt dans l’après-midi, le mari s’excuse auprès des autres convives et se retire pour aller finir de corriger un devoir qu’il doit rendre le lendemain à ses élèves, laissant sa jeune femme profiter, seule, de ce moment de convivialité.
Et alors, soleil ou champagne aidant, la jeune madame Dominique Folloroux, car c’est d’elle qu’il s’agit, prononce cette phrase (cette sentence ?) : « Vous ne croyez tout de même pas que je vais passer toute ma vie avec un correcteur de copies » ! Mon ami n’en est toujours pas revenu…
Il s’avère que le décès de Jean Folloroux marque l’entrée réelle de Dominique Nouvian Folloroux sur la scène politique ivoirienne où, avec une force de conviction très féminine, elle gravit tous les échelons pour être, aujourd’hui, l’incontournable maîtresse du palais. La voie est libre pour la jeune veuve de trente et un ans.
Une promotion fulgurante
Bamba Vamoussa a aussi, et surtout, un oncle brillant, Abdoulaye Fadiga, gouverneur de la BCEAO. Elle se rapproche très fortement de lui. Il vient de racheter à un Français une agence immobilière locale, l’AICI. Il lui en confie la gestion. L’AICI deviendra le vecteur de développement des affaires de Dominique Nouvian Folloroux[1]. Auparavant, elle a travaillé quelque temps comme secrétaire à l’ambassade du Canada et fréquente épisodiquement un garçon haut en couleurs, bien connu de la vie nocturne abidjanaise et manipulateur de haut vol, Paki Bocoum.
C’est lui qui a l’idée de la présenter au président Houphouët-Boigny. À l’origine, pour Paki, ce n’est qu’une énième façon de soutirer un peu d’argent au Vieux. Son plan est simple. Il va demander audience au Président, se fera accompagner par Dominique, parée de ses plus beaux atours. Il a déjà prévu de laisser l’entretien se poursuivre en tête-à-tête, lui se retirant sous un prétexte quelconque.
Il est sûr de son fait : le Vieux sera séduit et offrira une enveloppe à Dominique, qu’ils n’auront plus qu’à se partager ensuite. Le scénario se déroule normalement si bien que, désormais, la jeune femme a ses entrées au palais présidentiel. Et la chance continue à veiller sur celle dont le Président, subjugué, dira, très vite, dans son entourage, « elle a du chien ».
Houphouët se plaint régulièrement auprès de ses proches de la gestion de ses biens immobiliers par ceux qu’il a mandaté pour le faire. Parrainée par Bocoum et le docteur Berrah, Dominique Folloroux obtient ce marché pour sa société AICI. Durant toute cette période, il semble que ses motivations soient essentiellement financières. C’est au cours de l’un de ses déplacements à Dakar, où son ami gouverneur réside, que sa vie va basculer.
Nous sommes en 1984 et l’un des deux vice-gouverneurs, poste dévolu par accord tacite à un voltaïque, est assuré par Alassane Ouattara. Ce sera la rencontre de l’immeuble de Ndiouga Kébé. Ouattara est divorcé de sa première épouse, qu’il a connue aux États-Unis, Barbara Jean Davis, dont il a eu deux enfants. Cependant les choses ne vont pas se mettre en place tout de suite. Alassane Ouattara repart au FMI où il a exercé quinze ans auparavant, avant de revenir à la tête de la BCEAO en octobre 1988, à la mort d’Abdoulaye Fadiga.
Une relation fructueuse
Pendant ce temps, Dominique Folloroux « ne dort pas » comme l’on dit à Abidjan. Sa relation avec le Président est, pour le moins, fructueuse. Ainsi, entre le 16 septembre 1986 et le 9 janvier 1989, soit environ vingt-huit mois, elle reçoit, en plusieurs virements sur ses comptes bancaires à la Société Générale de Sanary puis Monaco, ainsi que sur son compte à la Société de banque suisse (SBS) à Genève, l’équivalent de plus de 24 millions de francs français.
Les fonds proviennent d’un compte du Vieux à l’Union des banques suisses (UBS) également ouvert à Genève. Si ce sont ses honoraires de gestion du patrimoine immobilier du Président, pourquoi sont-ils versés sur un compte personnel ? Toutes les hypothèses sont permises. Curiosité supplémentaire, au cours de cette période, le 6 janvier 1987, un virement du même compte UBS est effectué sur un compte du Crédit Agricole de la Loire, agence de Bourg-Argental, pour un montant de 2,4 millions de francs français, au profit du docteur… Patrick Nouvian, l’un des frères de Dominique ! L’esprit de famille, sans doute.
La bonne fortune de Dominique Nouvian, veuve Folloroux, ne semble pas avoir de limites. Le 17 juin 1988 elle se porte acquéreuse d’un appartement situé 140, avenue Victor-Hugo, au cœur du XVIe arrondissement de Paris. L’heureuse bénéficiaire, qui se déclare à l’acte « sans profession » achète ce bien, pour une valeur de 8,6 millions de francs français, le financement étant « entièrement et définitivement réalisé au moyen de fonds propres » tel que cela est mentionné à l’acte de vente. Ce même acte de vente, reçu chez maître Jean-Michel Normand, l’un des notaires du Vieux à Paris, recèle un détail loin d’être anodin.
L’acheteuse, non présente à la vente, est représentée par un certain Robert Dal Sasso, architecte de son état. Or ce dernier est l’architecte d’intérieur attitré d’Houphouët-Boigny qu’on retrouve aujourd’hui encore architecte des Ouattara, à Abidjan où il a refait la décoration du palais, et à Paris où il s’occupe de la rénovation de l’hôtel particulier de la rue Masseran, que le défunt président a acquis du baron de Rothschild. Ce détail autorise à s’interroger sur l’origine des fonds qui ont servi à cette acquisition.
Une autre curiosité dans la gestion du patrimoine immobilier de Dominique Nouvian. Désormais mariée à Alassane Ouattara dans les conditions sur lesquelles nous reviendrons, elle se porte acquéreuse, le 28 septembre 1995, d’une propriété sise à Mougins, sur la Côte d’Azur, pour un montant de 6,5 millions de francs français (soit 990 918 €). Ce bien lui appartient en propre, étant mariée sous le régime de la séparation de biens. Cependant, le 21 juillet 2005, chez maître Jean-Michel Normand, elle cède « la moitié indivise de la propriété » à… Alassane Ouattara, ce qui génère une situation cocasse, comme l’illustre le paragraphe « Propriété Jouissance » de l’acte de vente :
« L’acquéreur (Ouattara) est propriétaire du bien vendu à compter de ce jour. Il en a la jouissance à compter du même jour par la prise de possession réelle, le bien vendu étant libre de location ou occupation, ainsi que le vendeur [D.Nouvian] le déclare et que l’acquéreur a pu le constater en le visitant, étant précisé que lesdits biens sont occupés par monsieur et madame Ouattara »…
Le prix de cette vente singulière est fixé à 610 000 €.
Cette vente si particulière s’est vu opposer, à l’époque, un refus d’inscription hypothécaire de la part de l’administration fiscale française au motif qu’elle comportait une irrégularité quant au régime des plus-values des non-résidents, tel que cela ressort de la notification de refus adressée au notaire par la direction des impôts de Juan-les-Pins le 26 septembre 2005.
Cet épisode pose deux questions : pourquoi, dès le premier achat, en 1995, les deux époux n’ont-ils pas acheté en « indivis » ce bien ? Et pourquoi ont-ils essayé de faire marche arrière dans des conditions qui ont provoqué cette réaction négative de l’administration française ?
Mais reprenons le fil de l’ascension irrésistible de Dominique Nouvian dans le microcosme politique ivoirien. L’entourage du Président commence à s’émouvoir de la place grandissante qu’elle occupe auprès de lui. Ceux, courageux mais peu nombreux, qui tentent de s’en expliquer avec lui sont vertement tancés par Houphouët-Boigny qui, là moins qu’ailleurs, n’admet pas la discussion. Bientôt, Dominique Follouroux va lancer sa première grande manœuvre.
Le coup de maître
Houphouët-Boigny fait face à la crise qui va le conduire aux décisions du printemps 1990[2]. Au cœur de la décennie 1980, il a tenté de maitriser le marché du cacao. Il constatait, alors, une chute inexorable des cours du cacao au détriment des planteurs ivoiriens pendant que le prix du chocolat augmentait dans les magasins occidentaux. « Où passe la différence » s’écriait-il ? Cet épisode connu sous le terme de Guerre du cacao s’achève au bénéfice des maisons de négoce, Sucres & Denrées et Phibro[3] notamment.
La Côte d’Ivoire voit son économie s’enfoncer dans la crise et les institutions internationales lui imposent de prendre des mesurer drastiques dans le cadre d’un plan de stabilisation. Après l’échec du plan Koumoué[4], il cherche un expert économique de poids. Sollicité, Prosper Koffi Kouassi refuse. Dominique Folloroux saute sur l’occasion et glisse à l’oreille du Président le nom d’Alassane Ouattara. Houphouët-Boigny sait mieux que quiconque l’origine et le parcours de celui qu’il a placé à la tête de la BCEAO, malgré l’incompatibilité de sa nationalité. En effet, la tradition, non écrite, réserve ce poste à un Ivoirien.
Lui, qui a si souvent placé des non-nationaux dans son propre gouvernement, se moque de cet obstacle comme d’une guigne tant que la décision vient de lui. Les proches du Président voient pourtant d’un très mauvais œil cet « étranger » qui viendrait s’immiscer dans l’après-Houphouët.
C’est là que Dominique Folloroux trouve l’argument décisif. Alassane Ouattara est un étranger, tant mieux, c’est une aubaine : il ne s’occupera que de son travail d’expert économique pour relever le pays étant, naturellement, exclu de la bataille de succession. L’argument fait mouche et Ouattara est adoubé par le Vieux qui, à cet instant, ignore, ou feint d’ignorer, les rapports très personnels que sa conseillère en immobilier entretient avec son nouveau poulain.
Dans un entretien qu’il donne à la revue Marchés Tropicaux le 5 janvier 2001, Christian Dutheil de la Rochère, l’ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, qui a succédé à Michel Dupuch après la bataille de succession, à la mort d’Houphouët-Boigny, déclare :
« Les raisons de ce choix furent multiples, la compétence de ce dernier se doublant d’une vraisemblable intrigue de sérail […]. Sa nomination tenant aussi au fait que sa nationalité, élément qui indifférait à Félix Houphouët-Boigny, ne lui permettait pas d’intervenir dans la succession organisée par l’article 11 de la Constitution qui désignait le président de l’Assemblée nationale. »
Dutheil de la Rochère, qui est resté cinq ans en Côte d’Ivoire et a connu l’immédiat après-Houphouët, est un observateur qualifié de cette époque. D’ailleurs, son expertise lui vaudra d’être désigné comme envoyé spécial français aux premières discussions de Lomé qui suivront le coup d’État du 19 septembre 2002.
La trahison morale
Pour Dominique Folloroux, il est temps de consolider ses acquis. Alassane Ouattara à la primature, elle doit sceller définitivement leur relation. Les proches du Président se souviennent du moment où le Premier ministre est venu solliciter leur aide pour annoncer au Vieux qu’il allait se marier avec Dominique.
Finalement Houphouët-Boigny se rend à l’évidence. Le mariage est célébré le 24 août 1991 à la mairie du XVIe arrondissement de Paris par un adjoint du maire qui se fait excuser. Le Vieux y dépêche, en observateur, son fidèle Laurent Dona-Fologo qui lui fera un rapport circonstancié de la cérémonie et des invités.
Car pendant ce temps, à Abidjan, Houphouët-Boigny vit quelques jours en reclus, sans doute pour ruminer sa riposte que la maladie l’empêchera de mener à bien. Contrairement à une rumeur persistante, ce n’est donc pas à Neuilly que les Ouattara ont convolé avec la bénédiction du maire de l’époque, Nicolas Sarkozy. Néanmoins la liste des invités, au premier rang desquels figure Martin Bouygues, ne laisse aucun doute sur le niveau des liaisons parisiennes du nouveau couple. Surtout que Dominique, désormais Ouattara, sait elle aussi entretenir ses réseaux.
Comment se faire des amis
Dans le même entretien où il dénonce les méthodes peu orthodoxes d’une certaine droite française pour faire prévaloir sa vision des choses en Afrique, le député François Loncle reconnaît que dans son propre camp les Ouattara ont su également se faire connaître et apprécier. Écoutons-le :
« Au sein du Parti socialiste (PS) le couple Ouattara a mené un lobbying absolument considérable. Madame Ouattara, qui est d’origine française et qui a beaucoup d’amis, beaucoup à droite et à gauche, a fait un travail absolument énorme de lobbying. Petit à petit, elle a convaincu un certain nombre de députés socialistes, je pense à Dominique Strauss-Kahn et d’autres, Laurent Fabius, qu’Alassane Ouattara, c’était l’avenir et que Laurent Gbagbo devait partir.
Et, donc, le PS s’est divisé à partir de ce lobbying. Je dois dire que dans la communication, en général, Laurent Gbagbo a été très faible et n’a pas eu les relais suffisants.
C’est une question de moyens et madame Ouattara a une fortune colossale. Elle est intelligente, très active, très politique, et elle a fait ce qu’il fallait. Et, malheureusement, un certain nombre de socialistes sont tombés dans le panneau. Voilà, c’est aussi simple que ça. C’est une question de moyens, d’argent, hélas. Ensuite, elle a profité de ce que j’appelais l’ignorance abyssale sur les questions africaines de la part d’un certain nombre de socialistes. »
Un point, un trait, comme disent les Ivoiriens !
Un ascendant décisif
Sans sa rencontre avec Dominique Folloroux, Alassane Ouattara serait aujourd’hui un haut fonctionnaire international à la retraite, donnant éventuellement des conférences lucratives, comme savent le faire de si nombreux experts vendant leur expérience professionnelle soi-disant incomparable à des publics qui s’imaginent devenir plus intelligents en les écoutant.
Avant l’improbable hasard de Dakar, rien ne prédispose le futur couple à se rencontrer. La jeune femme qui suit son vieux mari, sans doute déjà animée d’une ambition dévorante qui ne peut s’accommoder trop longtemps d’un correcteur de copies, s’investit corps et âme dans le milieu politique ivoirien et ce, ironie du sort, grâce à une relation professionnelle de ce mari si peu considéré.
Après cette rencontre, qui peut imaginer qu’Alassane Ouattara aurait un destin présidentiel en Côte d’Ivoire ? Nous sommes en 1984, près de six ans avant la décision d’Houphouët-Boigny en faveur du gouverneur de la BCEAO. On a vu que c’est, sans doute, l’intervention décisive de Dominique Folloroux auprès du Vieux qui emporte la décision et fait d’Alassane le Premier ministre. Difficile de croire qu’elle a préparé ce moment depuis six ans. Elle a su, plutôt, profiter magistralement d’une situation opportune Son ascendant va s’exercer, à ce moment-là, à la fois sur le Président et son futur mari.
Une cible à abattre
Bédié, qui a eu l’occasion de la jauger tout au long de son ascension auprès du Vieux, sait que c’est elle qui, dans le couple Ouattara, représente le véritable danger. Il décide d’organiser une opération de communication destinée à détruire son image. Niamien N’goran, neveu de Bédié et également ministre des Finances, est chargé de fournir les très importants moyens financiers, et Ben Soumahoro va piloter le projet sous la forme d’un numéro spécial du journal de Tapé Koulou, Le National. Le journaliste de talent Ali Keita apporte même sa contribution en rédigeant certains articles.
L’attaque, d’ailleurs, est particulièrement féroce. Ainsi, sous l’appellation « Avant/Après », le journal orchestre une campagne de stigmatisation des changements de look effectués par Dominique Ouattara. Les intérêts en jeu doivent aujourd’hui être immenses pour que le souvenir de ces violences s’efface au profit d’une alliance entre les ennemis d’alors. Cette connivence ne doit cependant pas être exempte d’un sentiment de haine refoulée. Bédié est aujourd’hui le chantre du RHDP pour la réélection de Ouattara et Niamien N’Goran a été nommé inspecteur général d’État, un des postes clés de la haute administration ivoirienne.
Un tableau révélateur cruel
Le couple Ouattara a toujours cherché à s’appuyer sur la France pour assouvir son ambition. Ainsi, dans un entretien au journal La Croix, le 23 décembre 1999, sachant déjà, et pour cause, que les heures de Bédié sont comptées, Ouattara avance ses pions :
« J’en appelle donc aujourd’hui à la France qui a un rôle important en Côte d’Ivoire, par l’histoire, par la question des accords de défense, donc la sécurité de la Côte d’Ivoire, par la monnaie, le franc CFA. La France ne peut rester indifférente à la situation en Côte d’Ivoire. Il faut qu’elle fasse quelque chose. J’en appelle donc au président Chirac, au Premier ministre Lionel Jospin. Ces jours prochains, lors de mon retour à Paris – je suis actuellement à Libreville –, je rencontrerai le médiateur, Bernard Stasi. Je lui demande sa médiation en la matière avec les autorités ivoiriennes. »
Ironie du sort, c’est de la France que viendra un des coups les plus durs pour l’image si chèrement entretenue des Ouattara. Il est donné par son représentant officiel en Côte d’Ivoire. En effet, celui qui les recueillera, après le coup d’État manqué du 19 septembre 2002 à la résidence de France, n’est autre que l’ambassadeur de France à Abidjan, Renaud Vignal. Il a fait la connaissance du couple, le 21 novembre 2001, lors d’un entretien dans l’appartement parisien de Dominique Ouattara, dont nous avons relaté les singulières conditions d’acquisition. Dans un rapport confidentiel à sa hiérarchie, publié par Charles Onana dans son ouvrage Côte d’Ivoire – le Coup d’État[5], Renaud Vignal dresse un portrait sans nuances :
« 140, avenue Victor-Hugo, garde du corps français qui attend sur le trottoir ; 6e étage, maître d’hôtel, soubrette, vaste salon avec deux Picasso et trois Buffet ; mobilier cossu ; ADO costume trois pièces, décorations, tassé dans son vaste fauteuil ; Dominique Ouattara présente au début, qui revient pour la dernière demi-heure et qui monopolise la conversation : une association « Children of Africa »… le récent gala au Trocadéro avec « Jacques d’Orléans, Johnny Halliday, Ira de Fürstenberg, bref, le Tout-Paris… »
Commencée à 18 h 15, notre conversation, en plein ramadan, n’empêche pas le maître de maison, avant la rupture du jeûne, de faire honneur aux canapés de foie gras et de boire deux whiskies bien tassés. Couple nouveau riche, avec tous les signes du snobisme, apparemment heureux de vivre une vie facile entre l’avenue Victor-Hugo et la propriété de Mougins […]. Comme avec l’ex-président Bédié, le 17 octobre, après son retour au pays le 15 octobre, j’ai eu, avec « ADO », le sentiment de me retrouver en compagnie d’un « homme du passé ». Mais, à la différence de Bédié, d’un dirigeant qui n’a pas encore, depuis un an, eu le courage, personnel et politique, de revenir au pays. Prisonnier qu’il semble être du confort de son « exil doré ». Qui m’a, in fine, parlé de son « retour », sans indication de date, surtout pour me demander que la France, s’il revenait, puisse veiller à sa liberté de ressortir du pays, pour animer la société de conseil qu’il dirige à Paris. »
L’adage dit que la première impression est toujours la bonne. En un instant et en quelques lignes, l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire de l’époque brosse un tableau terriblement acide d’un couple qui aura piétiné toutes les valeurs pour assouvir une ambition sans limites. Et, à l’aune des arrestations arbitraires et des violences que Ouattara impose aujourd’hui à ses adversaires politiques, on est naturellement choqué de l’inquiétude qu’il affiche devant l’ambassadeur dans l’hypothèse d’un retour à Abidjan. Il ne médite sans doute pas assez le principe éthique : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse ».
Une âme noire peu charitable
Dominique Ouattara pense être arrivée au sommet. Quel chemin depuis le barbecue dominical à son arrivée en Côte d’Ivoire ! Enivrée des parfums vénéneux d’une société factice, où se côtoient et se croisent les parvenus, les ambitieux au pouvoir éphémère et les demi-soldes, sous le regard dédaigneux des vrais riches, elle est devenue une sorte de madame Sans-Gêne moderne qui croit que tout s’achète et qu’il faut mépriser les petits pour oublier qu’on fut des leurs. Pour se donner bonne conscience, elle développe une association caritative insoupçonnable au bénéfice de l’enfance déshéritée africaine, Children of Africa, dont les galas voient défiler l’armée convenue d’une jet-set superficielle, et dont la finalité ultime n’a peut-être pas livré tous ses secrets.
« Napoléon perçait sous Bonaparte » selon Victor Hugo. Moins flatteur pour Dominique Ouattara, une âme noire qui se dévoile sous la militante de la charité, ce petit florilège : son « petit personnel » doit savoir se tenir à distance. Sa masseuse, quand elle se déplace à l’appartement parisien, doit emprunter l’escalier de service et ne pas accéder sans ordres aux pièces principales ;
si elle doit faire ses emplettes, comme à la boutique Escada du Faubourg Saint-Honoré, c’est à l’abri des regards, dans un magasin entièrement privatisé pour la circonstance ;
quand elle se déplace à l’église, comme une fois à Saint-Honoré d’Eylau, avenue Raymond-Poincaré à Paris, la circulation est déviée comme l’a expérimenté une ancienne ministre de la République qui, excédée par l’embouteillage, se verra répondre par un policier de service « que la présidente de la Côte d’Ivoire prie dans l’église »…
Même des partenaires comme ceux qui sont en charge de son image et de sa communication, souvent de grands cabinets parisiens rompus aux relations avec la classe dirigeante politico-économique, ne trouvent pas grâce à ses yeux. En 2000, après la chute de Bédié, quelques cadres de l’un de ces cabinets sont à Abidjan. Ils viennent peaufiner l’image d’Alassane dans la perspective d’une élection dont il sera, finalement, exclu. À l’heure de midi, dans la moiteur et la chaleur tropicale de la ville, ils se détendent à la piscine de l’hôtel. Avertie, Dominique Ouattara aura cette réplique sans appel : « Je ne paye pas des communicants pour qu’ils aillent à la piscine »…
Ceux-ci le lui rendent bien et, en privé, leurs jugements de ses comportements sont féroces.
[1] Le 13 avril 1989, Dominique Folloroux crée AICI S.A. à Paris, avec un capital de 1 million de francs pour développer son activité à l’international. La répartition du capital montre qu’elle apporte à la création, avec ses enfants et sa sœur Véronique, 70 %, Alassane Ouattara et sa fille Fanta, 20 % et Bamba Vamoussa, 10 %. Ce dernier décèdera deux mois plus tard, le 19 juin 1993. Alassane est revenu du FMI en octobre 1988 pour succéder à Abdoulaye Fadiga qui vient de mourir. Il semble bien que la relation avec Dominique est restée forte, depuis leur première rencontre dakaroise en 1984, avant son départ pour Washington, pour qu’il soit dès son retour, et avec sa fille, associé à une société familiale des Folloroux.
[2] Pour pallier la crise économique qui secoue le pays, le Président est poussé par le FMI et la Banque mondiale à réaliser des ajustements structurels.
[3] Phibro où émargeaient Anthony Ward et Derek Chambers. On a vu qu’Anthony Ward va créer, plus tard, le groupe Armajaro qui jouera un rôle décisif dans la crise ivoirienne.
[4] Du nom du ministre des Finances Moïse Koffi Koumoué qui, en fonction d’octobre 1989 à novembre 1990, échoue dans sa mission de redressement de l’économie. Cet échec précipite la décision d’Houphouët-Boigny de nommer un Premier ministre de fait (de quoi s’agit-il ?), ce qui se concrétise le 18 avril 1990 avec la nomination de Ouattara à la tête du Comité interministériel.
Mondafrique
{fcomment}