Togo : Pour un nouveau départ ! [ Sénouvo Agbota ZINSOU ]

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On peut accorder l’importance que l’on veut à une lettre pastorale de religieux qui s’adresse, non seulement aux fidèles, mais aussi à tous les peuples en général et à un peuple en particulier comme le peuple togolais. Moi, je suis de ceux qui croient que l’on ne saurait exclure le religieux du cœur de l’humanité. Un pape, sur ce plan, cite un écrivain.

Dans le livre interview du pape Jean-Paul II, Entrez dans l’Espérance dans lequel j’ai trouvé cette phrase : » André Malraux avait certainement raison de dire que le XXI siècle serait religieux ou ne serait pas“. Quel est le sens de ce mot : religieux?

Ma préoccupation est : les peuples africains en général, et le peuple togolais en particulier, vont-ils entrer dans l’Espérance ?

Évidemment, croire ou ne pas croire en Dieu, est laissé au choix de chaque individu. Dieu, dit l’abbé Pierre, « ne nous envoie pas que la bonté. Il nous envoie la liberté. Avec la liberté, tu peux être bon ou mauvais. »

Qui que nous ayons choisi d’être, bons ou mauvais, il y a bien des moments de notre vie où les circonstances nous contraignent à nous poser des questions. Et quelles questions ? Raymond Aron peut peut-être nous aider à répondre :

« Le fait que certains malheurs soient des questions et amènent à poser des questions qu’on ne posait pas, est un problème en soi. C’est le signe, peut-être, qu’une dimension de la vie, un certain regard sur la vie, sont suffisants pour assurer l’existence ordinaire, quand elle ne pose pas d’importantes questions et même les émousse, mais ne suffisent plus aux heures graves ».
En rédigeant leur lettre pastorale, nos évêques ont certainement touché des points graves, posé à toutes les couches de notre société, des questions qui les concernent, que l’on ne se pose pas les jours et les nuits ordinaires.

Placé au centre même de la lettre pastorale de la Conférence des Évêques du Togo aux citoyens, le point 3.6., me paraît d’une importance capitale, non seulement parce que cela nous surprend, venant de la part de serviteurs de Dieu qui connaissent bien leur Bible, en particulier le prologue du quatrième Évangile que tous les chrétiens récitent par coeur “ Au commencement était la Parole…toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans elle”( Jean chapitre 1, verset 1 à 3), mais aussi et surtout parce que ce point décrit une situation alarmante, bien sûr, qui n’est pas particulière au Togo, mais au monde entier, surtout au monde politique. Nos évêques écrivent en effet, en intertitre de leur lettre pastorale:
“3.6. Avant la parole : l’action…”

Qu’est-ce qui a pu amener les prédicateurs de l’Évangile à sembler contredire le propos théologique de Jean, mettre l’action avant la parole? Car, n’est-ce pas la parole juste, c’est-à-dire un projet bien pensé, fondé sur la vérité, la justice et l’harmonie de l’ensemble qui engendre une société faite pour l’homme, une société de l’Espérance ?

Si nous sommes dans un monde où la parole n’est plus celle de l’homme créé à l’image de Dieu, où, comme ils le disent ailleurs dans la même lettre, “en effet, le mensonge commence toujours par une déformation du sens des mots, tandis que le courage de la vérité réside dans la capacité de rendre aux mots leur sens véritable” il y a lieu de s’interroger sur deux choses :
La première est : comment, quand, les hommes, surtout ceux qui ont la prétention de diriger les autres, reconnaîtront-ils que chaque fois qu’ils ont usé de mensonge, pour quelque raison que ce soit, ils ont commis un acte qui relève de la lâcheté et non du courage ? Et quand délibérément ils choisissent de tenir un discours uniquement fait d’une masse verbale mensongère, sont-ils courageux ou lâches ?

La deuxième chose est : comment un système basé entièrement sur le mensonge, donc bien loin de la vérité, peut-il prétendre poser les vraies questions et y répondre, pour essayer de conduire nos peuples à entrer dans l’Espérance ? Tant que tout dans ce système sera entaché de mensonge, tout ne sera-t-il pas que trompe-l’oeil, comme j’ai eu l’occasion de le dire déjà ?
Cette notion de la vérité est si primordiale que les évêques togolais la lient à celle de la responsabilité dans leur lettre.

“Conscients qu’il n’y a jamais de responsabilité sans la vérité, il est nécessaire de nous placer dans la lumière de la vérité et de commencer à clarifier certaines notions, à mettre à leur place certaines idées reçues”. Quelles sont ces idées reçues que chaque citoyen et l’ensemble des citoyens togolais doivent remettre en question, en toute lucidité ?

 » En politique, le vrai et le mensonge portent le même pagne » , écrit Ahmadou Kourouma. Le même auteur nous dit dans le même roman: » Les Malinkés ont la duplicité parce qu’ils ont l’intérieur plus noir que leur peau et les dires plus blancs que leurs dents »

Lorsque le tissu est constitué, en plus du mensonge, de fils sombres de sang, de violences et de violations de la Constitution et des accords de toutes sortes, ont peut imaginer son état, son ton triste, propre au deuil. La duplicité dont parle Kourouma n’est nullement l’apanage des seuls Malinkés, puisque nous avons, au mot près, la même sentence dans nos différentes langues togolaises.

Qui est responsable au Togo? Responsable de meurtres, de fraudes, de corruption, de la misère du peuple, de la faim de milliers de gens qui n’ont même pas un repas par jour, des centaines et des milliers de gens qui meurent dans les hôpitaux délabrés, dépourvus de moyens, de l’appareil éducatif en déconfiture, de l’injustice judiciaire que les prélats ont dénoncée, des inégalités criantes…la liste serait longue. S’il y a un responsable, qu’il se présente lui-même, s’il y a des responsables, qu’ils se présentent eux-mêmes et nous disent la vérité. Le grand problème est que, dans le semblant de démocratie où ces responsables ont choisi de nous installer et dans laquelle nous semblons nous résigner, personne ne répondra de ses actes. Alors, que reste-t-il? Que le peuple sachant qu’il est privé de vrais responsables à sa tête, prenne ses responsabilités, lui-même.
Là-dessus, les évêques n’ont pas manqué de déplorer l’état de léthargie dans lequel s’est installé le peuple.

“En effet, après la grande effervescence qui a marqué ces derniers temps, le Togo semble être tombé brusquement, suite à l’élection présidentielle d’avril 2015, dans une surprenante léthargie comme si les grandes revendications et promesses de réformes n’avaient d’intérêt que pour les campagnes électorales.”

Je ne pose plus la question de savoir qui est responsable de cet état. On me soupçonnerait de vouloir accuser les politiciens de tous bords.

Je fais juste deux remarques, toujours puisées dans la lettre pastorale :
1) Nos évêques, dans le prologue, ont commencé par citer une lettre du pape Jean XXIII.
2) Dans sa lettre adressée au peuple togolais à l’occasion de son accession à l’Indépendance en 1960, le Saint Pape Jean XXIII écrivait ces lignes qui doivent aujourd’hui résonner profondément dans la conscience de chaque citoyen : « Que chacun ait le souci de collaborer de toutes ses forces à la prospérité de sa Patrie, chassant les illusions dont la plus grave serait de croire que l’indépendance politique résout toutes les difficultés ».

L’indépendance du Togo, on le sait, n’a été acquise qu’au prix de mille sacrifices. Mais était-ce une raison de considérer que l’indépendance rimait avec la jouissance pure et simple, sans effort permanent pour la consolider ?

Deux notions s’opposent ici, dans ce passage, qui séparent les citoyens en deux catégories, qui les ont d’ailleurs toujours séparés, dès la naissance de la nation, deux attitudes face aux difficultés : celle de la conscience et celle d’illusions. On peut, bien sûr, changer de catégorie, passer de celle de la conscience à celle des illusions ou vice-versa, mais on ne peut baigner dans les deux à la fois. Aujourd’hui, on dira : les difficultés n’ont pas disparu parce qu’un certain système fondé, nous l’avons dit, sur le mensonge semble solidement installé aux commandes du pays, pas plus d’ailleurs qu’elles n’avaient disparu au lendemain de la proclamation de l’Indépendance le 27 avril 1960 : on n’a plus besoin de produire des preuves sur ce sujet; elle sont patentes, sanglantes, effarantes, assommantes, écrasantes, suffocantes…

Les illusions, nous savons ce qui, ceux qui les entretiennent. Malheureusement, certains de nos concitoyens veulent délibérément s’y maintenir, résignés ou parce qu’ils y ont des intérêts immédiats. Illusions vendues, monnayées, achetées, caressées. Le trafic d’illusions devient-il monnaie courante dans notre pays ? Mais, il y a aussi, heureusement, ceux qui, en prenant conscience, veulent en sortir et aider les autres à en sortir.

La deuxième remarque est dans la chute de la lettre pastorale : nous y sommes invités à un nouveau départ et un nouvel engagement, dans la vérité et la responsabilité, au service de notre Pays. Ne ratons pas ce rendez-vous de notre histoire. Comment concevoir et réaliser ce nouveau départ? Ce n’est pas une affaire des professionnels de la politique, ou de la religion, ou de l’action humanitaire. C’est, je crois à dessein que les évêques ont évoqué dans leur lettre la parabole du Bon Samaritain(Luc 10):” comment un homme en voyage tombant entre les mains de brigands, se fit rouer de coups et fut laissé moribond sur le bord du chemin. Un prêtre puis un lévite s’illustrèrent par leur indifférence. Un étranger, un Samaritain, passant par là se sentit responsable de lui”. L’étiquette n’y change rien. C’est le sens de la responsabilité qui est tout.
Cette parabole de Jésus est d’une force et d’une richesse polysémique telles que, chaque fois que j’y pense et médite là-dessus, je ne puis empêcher des images bouleversantes et actuelles de se bousculer dans ma tête : qui est l’homme tombé aux mains des brigands et qui sont ces brigands? Je laisse à la logique de chacun de nos compatriotes et contemporains le soin de les découvrir. L’homme blessé à mort peut être un individu, mais il peut aussi être la métaphore d’un groupe d’hommes, d’un pays, d’un groupe de pays. Les brigands ne sont pas si difficiles à identifier. Et, n’adoptons-nous pas bien souvent, tous, le comportement du prêtre et du lévite.

Si la parole politique avait été vérité et justice, tout aurait effectivement été fait par elle et tout aurait été bien fait. Mais, la situation aujourd’hui est comme nous l’observons, parce qu’au commencement étaient le mensonge et le meurtre. Rien, dans ces conditions ne peut être bien fait. Au contraire, pour défendre le meurtre et le mensonge du commencement, on ne recourt, presque à chaque étape, qu’au meurtre et au mensonge.
Les évêques ne nous auraient pas invités à un nouveau départ, si nous étions sur la bonne voie, si tout était bien fait. Pensons-y.

Évidemment, selon qu’on appartienne, d’une manière ou d’une autre à la catégorie de la conscience ou à celle des illusions, la réponse peut être oui ou non.
Je rappelle qu’on peut passer, à tout moment, d’une catégorie à l’autre.

Sénouvo Agbota ZINSOU
 

 

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