Il fait partie des dirigeants du continent désireux de s’offrir un extra-mandat au pouvoir. Muet au départ, ses actes finissent par trahir ses intentions. Mais tout joue contre lui, et même les traditionnels soutiens dont son clan a toujours bénéficié pour se pérenniser au pouvoir, lui font défaut. Lui, c’est Faure Gnassingbé. Et dans ces circonstances, la sagesse recommande qu’il tire les bonnes conclusions et prenne la décision idoine afin d’entrer dans l’histoire.
Une farouche opposition à l’interne
Argent, achat des consciences, contrôle absolu du processus électoral, caporalisation des institutions électorales, force militaire…Faure Gnassingbé a peut-être tous les leviers en main pouvant lui permettre de passer et même gagner (sic) en 2015. Mais son premier handicap est la levée de bouclier que suscite son ambition de briguer un 3e mandat à la tête du pays. Comment convaincre les Togolais de la légitimité d’un tel projet, après qu’il aura passé deux mandats au pouvoir, à la suite de 38 ans de règne sans partage de son feu père ?
C’est la grosse équation à laquelle il est confronté. A part ses affidés qui voudront qu’il reste afin de continuer à profiter des ressources du pays, les opposants « façon façon » et quelques membres de la société civile qui militent en sourdine pour qu’on lui concède un passe-droit lors des réformes constitutionnelles et institutionnelles, afin qu’il continue l’aventure en 2015, tout le monde est contre lui. En tout cas, son projet suscite une levée de boucliers au Togo. C’est ce qu’il faut voir à travers les marches de réclamation des réformes. Après le Combat pour l’alternance politique en 2015 (CAP 2015) le 21 novembre, la Synergie des Organisations de défense des droits de l’Homme une semaine après, la Société civile dans son ensemble devra également battre le pavé le 12 décembre prochain. Même si le débat n’est pas pour l’instant clairement posé, et la revendication mise en avant pour justifier les marches, c’est la mise en œuvre des réformes, Faure Gnassingbé lui-même sait que derrière ce mobile, se cache la réclamation de son départ en 2015. Certains leaders politiques ou d’opinions n’hésitent d’ailleurs plus à le requérir clairement. C’est l’essentiel du message qui est revenu dans la plupart des interventions lors du meeting des Oddh suite à la marche de vendredi dernier. Et le débat va désormais aller au-delà de la réclamation des réformes et toucher directement son départ.
Paris se désolidarise et envoie des messages
Le contexte politique et les nouvelles donnes sur le continent africain jouent énormément contre Faure Gnassingbé. Les peuples du continent affirment de plus en plus leur opposition aux règnes élastiques, et la pilule du 3e mandat au pouvoir, au nom de la stabilité du pays, ne passe plus. Les événements au Burkina Faso ont induit de nouvelles donnes. Déjà les lignes semblent bouger de partout, et certains candidats au 3e mandat et à la présidence à vie semblent se raviser. En tout cas, Boni Yayi du Bénin a décidé de renoncer à son projet de modifier la Constitution de son pays pour briguer un extra-mandat en 2016. Même au Rwanda qui a connu un génocide, Paul Kagamé annonce ses intentions de se retirer à la fin de son mandat. Le respect de l’ordre constitutionnel et du principe sacro-saint de l’alternance trouvent beaucoup plus d’adeptes sur le continent. Macky Sall, Mahamadou Issoufou et bien d’autres chefs d’Etat réitèrent leur bonne disposition d’esprit. Le contexte continental joue donc énormément contre Faure Gnassingbé. Mais il devra surtout faire sans un allié supposé ou réel, Paris qui s’est toujours illustré comme le premier soutien du clan Gnassingbé.
Depuis les événements au Burkina Faso, la France ne fait plus dans la langue de bois. Elle prend désormais une position claire et tranchée par rapport aux tripatouillages constitutionnels des présidents africains pour s’éterniser au pouvoir et les manœuvres de confiscation de l’alternance. François Hollande a abordé le sujet plus d’une fois et est constamment présent là-dessus. La dernière sortie a eu lieu à Dakar lors du sommet de la Francophonie où il a tenu ce qu’il convient d’appeler un discours d’avertissement. Les sources croient même savoir qu’il a mis le curseur désormais sur Faure Gnassingbé qui est l’autre équation après Blaise Compaoré, et qu’il aurait réaménagé une partie de son allocution pour lui envoyer un message. En tout cas ce qui est constant, c’est qu’il a eu un entretien avec le Fils du Père et l’a appelé à mettre en œuvre les réformes, prendre les bonnes options et éviter le sort de Blaise Compaoré. C’est clair que Paris qui a toujours été le premier soutien international du clan Gnassingbé prend ses distances. Et c’est le plus grand handicap de Faure Gnassingbé.
Prendre les bonnes décisions et sortir par la grande porte
Faure Gnassingbé a encore tous les leviers en main pour passer en force en 2015. En tout cas, il a l’argent et la force de son côté. Il peut toujours compter sur ses fameux « sécurocrates », le cercle des profiteurs qui l’entourent et les responsables de ses supporting club qui pourraient déverser quotidiennement dans les rues des milliers de désœuvrés, à coup de billets de banque, pour lui donner l’impression d’être soutenu dans son projet de 3e mandat. Mais en réalité, tout ce beau monde ne défend que ses intérêts et ne lui sera pas d’un bon conseil. « Félix Abalo Kadanga, Yotroféï Massina, Noël De Poukn, Poro Katango et compagnie ne font que défendre leurs intérêts. Leurs calculs, c’est de voir un Gnassingbé toujours au pouvoir leur servir de parapluie afin de continuer à tirer des dividendes dans l’ombre. Faure doit comprendre cela très tôt. Les fameux sécurocrates surtout vont même parfois lui fasse remonter de faux renseignements et l’induire en erreur. L’exemple palpable a été offert sur les événements du 30 octobre 2014 au Burkina où Massina le rassurait que Blaise Compaoré maitrisait la situation alors que lui-même avait d’autres retours et savait que c’était fini pour son parrain Blaise Compaoré, comme révélé par « La Lettre du Continent ». Le plus souvent, ce sont même des commérages que relaient ces « sécurocrates ». On n’en veut pour preuve celui qui a présenté des journalistes togolais allés à Ouagadougou pour faire un dossier complet sur les événements qui ont concouru à la chute de Blaise Compaoré, comme des émissaires envoyés par l’opposition pour aller s’inspirer de la révolution burkinabé pour revenir appliquer les recettes au Togo. Des petitesses qui ont été reprises même par le ministre de la Sécurité…Faure Gnassingbé se fera simplement conduire droit dans le mur par tous ces gens », a tenu à relever un compatriote.
Dans ces circonstances où il est coincé de partout, il ne reste à Faure Gnassingbé que de prendre une décision de sagesse. C’est la seule option qui lui reste. Il lui faudra simplement faire les réformes et se retirer du pouvoir en 2015 à la fin de son second mandat. Prétexter de la non limitation du mandat présidentiel avec la Constitution tripatouillée de 2002 qu’il dit vouloir respecter « rigoureusement » ne l’amènera nulle part, sinon droit dans le mur. « Il y a une vie après le pouvoir, contrairement à ce que l’on pense. D’ailleurs en 2020, il aura 54 ans, et il peut toujours revenir briguer la magistrature suprême si l’envie le prend encore. Même s’il doit positionner et adouber un candidat de son parti, il faut qu’il le fasse (…) Blaise Compaoré a refusé d’entendre raison et de saisir la perche à lui tendue par François Hollande. Il a fait la résistance au peuple qui a fini par le renverser, et aujourd’hui, tous les dossiers puants de son règne sont en train d’être ressuscités. Le Colonel Isaac Zida, l’ex-numéro 2 de sa garde présidentielle, son ancien proche collaborateur donc nommé Premier ministre de la Transition, envisage même de demander son extradition afin qu’il réponde de ses actes. Blaise Compaoré aurait eu la sagesse de renoncer très tôt à son projet suicidaire qu’il aurait sans doute un meilleur sort. Ce n’est pas trop tard, Faure Gnassingbé peut encore se ressaisir et éviter le sort de son parrain, comme lui a conseillé François Hollande. Ce ne sont pas les dossiers puants de son règne ressuscitables qui vont manquer. Et ce ne serait pas une faiblesse pour lui de négocier éventuellement des garanties avec ses opposants… », ajoute notre interlocuteur. A bon entendeur…
Tino Kossi
Liberte hebdo