Les autorités togolaises en ont presque mal aux paumes à force de se frotter les mains de satisfaction ces derniers temps. Elles n’ont rien lâché, rien concédé, rien donné…Une sorte de grand chelem leur tend pourtant les bras : coincer l’opposition dans le cul-de-sac d’une parodie de négociations, en verrouiller l’issue, organiser des élections sans adversaire sérieux et, au final, rejeter la responsabilité d’un Parlement monocolore sur des opposants « abstentionnistes », récidivistes de la politique de la chaise vide. Cerise sur le gâteau, certains partis politiques sont de l’aventure. La-bas, on les appelle « l’opposition complaisante » ; celle qui assure le service après-vente des divers coups de force du régime. Le script a de l’allure. Les moyens de sa réalisation aussi…Dans un pays revenu sous les feux de l’actualité avec une recrudescence de la répression et des arrestations d’opposants, la gigantesque machine de la méthode Coué est de nouveau en service. Le « tout va bien » placide du gouvernement est le rempart inoxydable devant les multiples interrogations suscitées par un processus électoral sous forme de tronçonneuse. L’Union pour la République( UNIR, parti au pouvoir), peut même se dispenser de battre le rappel de ses agents de communication habituels. D’autres s’en chargent sans trop se faire prier. Véritables « born again » de la scène politique, ils sont aux manettes d’une participation sans conditions aux élections.
Les voleurs en ville et les boutiques électorales
En pôle position d’une faction de participationnistes, l’Union des forces de changement (UFC). Principale formation de l’opposition il y a quelques années, le parti de Gilchrist Olympio est devenu le meilleur distributeur automatique d’analyses laudatives sur le pouvoir. Au hit-parade des démarcheurs de ce scrutin, les anciens irréductibles de l’opposition radicale impressionnent leurs concurrents. « Nous les (ndlr les élections) préparons dans un esprit de sérénité, de combativité et de fair-play », assure Jean-Luc Homawoo, un de ses membres. Confirmation superflue d’une lune de miel avec le régime ou variante de la rancœur contre le reste de l’opposition, les Togolais s’habituent peu à peu à voir le parti de l’opposant historique assumer sans états d’âme un statut de faire-valoir. Au terme de meetings à Lomé et à l’intérieur du pays, le discours ne souffre d’aucune ambiguïté : les conditions sont bonnes et il faut y aller. « Ce n’est pas parce qu’il y a des voleurs en ville qu’on ne va plus ouvrir les boutiques », a même lancé Gilchrist Olympio, interrogé sur les risques de fraude lors des législatives. Participer à tout prix et exister par tous les moyens, l’équation au sein du parti est devenue si complexe au point de susciter des défections. Djovi Gally était du premier cercle et a dû avaler d’énormes couleuvres ces derniers mois. Il a dû se résoudre à quitter le navire début février : « de renoncement en renoncement, …l’UFC apparaît aujourd’hui comme une béquille du pouvoir RPT/UNIR qui embastille sans scrupule les leaders de l’opposition démocratique », déplore-t-il dans une lettre de démission.
Béquille du pouvoir, loi de la proximité et de la promiscuité
Dans cette ruée à l’aveuglette vers les élections, la Convergence patriotique panafricaine (CPP) est l’autre tête d’affiche. Ici, on le reconnaît, les envolées lyriques contre le pouvoir ne font pas partie de la « culture de la maison. » On préfère miser sur des valeurs sures comme « la concertation et le dialogue avec le pouvoir.» L’héritage d’Edem Kodjo est entre de bonnes mains, puisque ses successeurs remettent le couvert du grand pardon en toile de fond de leur proximité avec les actuels maîtres du Togo. « Nous nous préparons en toute liberté, persuadés que les électeurs comprendront notre démarche et notre vision. », se justifie Francis EKON, l’actuel président du parti avant de fustiger les positions extrêmes de ses camarades d’hier. Rien d’étonnant dans l’argumentaire d’une formation politique habituée aux tractations sibyllines avec le pouvoir et visiblement heureuse ces derniers temps d’afficher un centrisme à la togolaise. Arthème Ahoomey-Zunu, l’actuel Premier Ministre est d’ailleurs un produit-maison. Comme à l’UFC, les cadres de la CPP s’impatientent de rentrer dans les starting-blocks et promettent des « surprises » à l’issue du scrutin. Dans les deux cas, on se demande quelle surprise peuvent bien réserver des formations politiques à la réputation aussi sulfureuse et au positionnement aussi marqué. « Le pouvoir compte sur un boycott de l’opposition dure, pour rafler la mise et distribuer le reste des macarons », explique Godwin qui suit le Togo pour une agence de presse sous régionale. participationnisme contre visa d’entrée au parlement ? C’est aussi la thèse suggérée par Brigitte Adjamagbo-Johnson, Secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) : « tout porte à croire qu’on veut nous pousser à ne pas aller aux élections. » Là se trouve peut-être la clé de ce casting déconcertant et de ce ballet infernal autour des législatives.
Tactique de la panzerdivision
Initialement prévues pour le 24 mars prochain par une Commission électorale nationale indépendante(CENI) empêtrée dans un chronogramme improvisé, les législatives continuent d’alimenter de vifs débats dans le pays. Sous les feux croisés d’organisations de la société civile, d’institutions internationales et d’opposants, l’organe chargé d’organiser le scrutin ne sait plus où donner de la tête : impréparation, anachronismes prévisionnels, non-fiabilité du fichier électoral et mépris des critères démographiques, la liste des griefs renvoie fatalement à une perspective de report des échéances, peu envisagée pour l’instant. Un recensement électoral doit commencer le 15 mars prochain dans une confusion politique généralisée. Pour le pouvoir, maître d’œuvre de ce cafouillis, rien ne vaut la tactique de la Panzerdivision : forcer le passage en amusant la galerie avec une « opposition de façade »
Par Franck Essénam EKON