Togo. Kofi Yamgnane veut rassembler l’opposition

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Des voix, jour après jour, se font plus véhémentes, pour réclamer une révision de la politique suivie par l’opposition face au parti au pouvoir, le RPT qui se prend pour l’Etat. C’en est là une distanciation logique, à l’heure où les orages s’épaississent dans le ciel togolais, où, après vingt ans de micmac en continu, l’opposition en est toujours, désespérément, à la recherche de l’impossible unité, voire de  son homme de la situation. Alors que des scrutins majeurs s’annoncent, beaucoup de Togolais pensent que le temps est aux remises en question, à l’introspection, à la saine autocritique, et se demandent où se trouve le chef de file, le leader convaincu, le sage qui peut permettre de marquer des points importants au double plan intérieur et international, face au pouvoir vorace de la mouvance  RPT/UNIR/UFC ?

« Les marches de protestation, comme on en voit à Lomé, chaque semaine et depuis deux ans, ne suffiront pas pour faire plier la dictature. Pourtant le peuple n’attend que ce résultat. Si dans les semaines à venir rien ne laisse entrevoir objectivement cette fin, et que s’arrêtent ou s’enlisent les marches, alors l’opposition ne pourra plus jamais demander à la population de sortir ni contre Faure, ni pour  aucune autre cause. C’est un fusil à un seul coup », c’est ce qu’a fait entendre, publiquement, une des figures de l’opposition togolaise, Kofi Yamgnane. Sans mâcher ses mots, celui qui a abandonné ses fonctions électorales en Bretagne (France) pour aller prêter main forte aux opposants du régime Gnassingbé, demande à ses amis de se ressaisir : « Appelons un chat un chat. L’opposition togolaise fait mal au cœur… Le pays traverse depuis plusieurs décennies de longues crises politiques, sociales et économiques qui nécessitent, dans le souci d’apporter des réponses à toutes ces questions, que l’opposition, dans toute sa diversité sans distinction aucune, soit convoquée pour réfléchir et faire des propositions alternatives concrètes ».

Les Togolais sont conduits hors du lien qui fait d’eux un même peuple, une même nation. La séparation, due à la soif du pouvoir, du petit pouvoir – chacun veut y accéder –  est telle qu’en quelques années, l’État a progressivement perdu tous ses repères. Alors qu’il fallait juste l’unité pour peser de tout leur poids sur les multiples dialogues sans issue avec le pouvoir et recoller les morceaux, « certains de l’opposition, n’écoutant que leur ego, ont choisi la voie de l’exclusion et sont prêts à humilier, à jeter un lourd discrédit sur d’autres dans le but de les isoler ou de les décourager dans leurs engagements politiques. Tout cela est regrettable, car il existe bel et bien, au Togo, d’autres voies que de prendre en otage le peuple togolais en lui faisant croire que celui-ci n’a aucune autre alternative », soulève le Franco-togolais qui ne manque aucune occasion pour revendiquer avec force ses origines Bassar (région du nord Togo).

Au Togo, il n’est plus un secret pour personne, le parti au pouvoir, totalement coupé du peuple d’en bas se prend pour l’Etat. En face, l’opposition, toujours à la recherche de l’impossible unité, voire de la pertinence du « nous » qui fait la force, peine à créer l’équilibre des forces pouvant faire fléchir la cruelle dictature qu’elle dit combattre. Jusqu’à quand ? Kofi Yamgnane veut,  quant à lui, rassurer ses compatriotes de son engagement à leurs côtés : « Pour ma part, je m’engage à faire tout ce dont je suis capable, pour me faire comprendre, et pour fédérer autour de celui qui incarnera le changement, le vrai ; celui qui permettra d’installer et de pérenniser la démocratie et qui placera l’humain au centre de la gouvernance ; celui qui jettera les bases d’un développement rapide et soutenu dans ce difficile contexte de la mondialisation. ».

Ils sont nombreux, très nombreux, les Togolais de l’étranger qui voient la situation de leur pays sous le même angle que Kofi. Il n’y a pas longtemps, depuis le Canada où il s’est établi, Pierre Adjété, une autre personnalité engagée de la diaspora togolaise, a fait lui aussi écho du ras-le-bol général : « à quand cet homme, politiquement compétent et ostensiblement convaincant, qui irait au-devant des Togolaises et des Togolais pour leur dire, avec respect et force conviction, passons à autre chose et voici Pourquoi il vaut mieux ainsi, et voilà Comment le faire pour qu’enfin émerge un autre Togo, satisfaisant pour tout le monde, et loin de la République des revanchards actuellement entretenue ? ».

La crise politique, dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, un pays à peine visible sur la carte du monde, a atteint une ampleur inquiétante qui interpelle non seulement ses fils conscients du précipice permanent, mais aussi la communauté internationale parfaitement au courant de la brutalité du régime. Les Togolais, en même temps qu’ils accusent l’opposition d’être désunie, inefficace, n’arrivent pas à désigner, au son sein de leurs représentants, un homme charismatique en qui ils voient l’homme de la situation. Surtout, ils ne cessent pas, chaque fois qu’ils en ont l’occasion, de pointer un doigt accusateur en direction de la France, l’ancienne puissance colonisatrice, pour son « soutien indéfectible » au régime. Mais, l’opinion, depuis le retour de la Gauche à l’Elysée, attend une solution en provenance de la même France, notamment de François Hollande, se fondant sur ses derniers discours de Dakar et de Kinshasa.

Malheureusement, ce qui fait le plus défaut au Togo, ce sont les grands hommes. Un pays où les politiciens peuvent changer de pâturage à tout moment quel qu’en soit le prix, au lieu de se battre pour des valeurs, pour l’intérêt général, au lieu d’être guidé par les convictions profondes qui font dire « je suis parce que nous sommes ». Kofi Yamgnane, l’ancien élu socialiste et ministre sous Mitterrand qui s’est impliqué activement, ces dernières années, dans la vie publique de son pays d’origine, peut-il réussir à faire comprendre aux leaders(?) de la soixantaine de partis d’opposition que compte le Togo, que la gestion des affaires publiques d’un Etat n’a rien à voir avec l’apprentissage du  jazz, un domaine où tout le monde peut devenir génie en improvisant, en slalomant vertigineusement sur son instrument, hors partition, entre quintes diminuées et neuvièmes augmentées ?

Kofi Yamgnane, après avoir parcouru toutes les régions, à la rencontre des misères qui font le gros lot des réalités du Togo profond, semble décidé à amener les siens à sortir de l’impasse, des incertitudes mortifères, à changer de voie, pour affronter, en rangs serrés, le Rassemblement du Peuple Togolais, tant lors des dialogues politiques que des échéances électorales en vue. A l’occasion de le présidentielle de 2010, cinq candidats s’étaient présentés contre l’unique candidat du RPT, Faure Gnassingbé. Une absurdité largement condamnée par la population. Il est temps de faire les choses autrement, insiste, non sans raison, le Breton de Bassar : « Je suis au Togo avec ma tête, avec mon cœur et avec tout ce que je suis convaincu de pouvoir  apporter à mon pays. J’invite donc tous les acteurs et tous les observateurs de la vie politique du Togo, d’où qu’ils viennent  et quelle que soit leur idéologie politique, à prendre objectivement connaissance de mes prises de position, à les cogiter, à essayer de les comprendre, afin que nous puissions travailler ensemble – ensemble, j’insiste – à sortir notre pays de la situation catastrophique où il se trouve, dans un esprit de concertation, de rassemblement, de vérité et de respect mutuel. »

Kofi Yamgnane, réunit-il les conditions et les valeurs pour se présenter comme l’homme de la situation, l’alternative crédible et gagnante que les Togolais, désespérément, cherchent depuis bien longtemps à opposer au pouvoir des Gnassingbé ? L’homme, en tout cas, ne manque pas d’atouts. Tout dépend de sa capacité à convaincre les autres, de l’objectif que l’opposition dans son ensemble veut atteindre, de ses moyens, et de comment elle pense y parvenir.

Kodjo Epou

Washington DC

USA

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