« On ne subit pas l’avenir, on le fait ».
Georges BERNANOS
Il faut bien se rendre à l’évidence : le dialogue inter-togolais est un échec. Appelé à grand renfort de tapage médiatique, il a accouché d’un souriceau fait d’intransigeance et de dilatoire de la part du régime tyrannique de Lomé 2. Ce résultat était couru d’avance. Même si l’échec est encore masqué par l’agitation diplomatique et les illusions du C14 dans sa frange la plus crédule, il faut reconnaître que le dialogue s’est, à tout le moins, sérieusement enlisé. Sa timide reprise le 23 mars 2018 sous la présidence de M. Akufo-Addo du Ghana sans la présence de M. Gnassingbé et de son armée et en absence de M. Tikpi Atchadam, fer de lance de la contestation depuis le 19 août 2017, n’augure d’aucune perspective heureuse pour le peuple togolais.
On doit toutefois à la vérité d’indiquer que l’échec n’est que relatif. Le dialogue dans sa phase présente traduit le succès de la stratégie mise en place par le régime et ses soutiens internationaux. Convoqué nolens volens par M. Gnassingbé au plus fort de la bourrasque contestataire, parce que voulu par M. Macron lors de sa visite en Côte d’Ivoire, le dialogue n’avait d’autres objectifs que de chloroformer l’élan du peuple en désorganisant la mobilisation populaire et d’atomiser la coalition des 14. De ce point de vue, nous devons reconnaître un franc succès à cette funeste stratégie que la vigilance de l’opposition n’a pas su endiguer. Le pouvoir de Faure Gnassingbé est toujours en place après sept mois de revendication. Les marches populaires sont enrayées ou du moins suspendues sine die pendant que souffle le vent mauvais d’une discorde nourrie par une guerre intestine de leadership qui menace de dégénérer en guerre ouverte. L’hôte de la marina peut se frotter les mains. L’opposition la plus bête du monde a repris du service, minée par ses vieux démons de la division. Aiguillée par des égos mal réglés et l’incapacité endémique à faire prévaloir l’intérêt supérieur du Togo sur la petitesse de sa satisfaction personnelle, la discorde menace la C14 d’explosion.
Le groupe coalisé peine à tirer les leçons de ce qui apparaît désormais comme la fin d’une aventure téméraire à l’issue hasardeuse : renverser une dictature par le dialogue. C’est une gageure contre le sens de l’histoire. Cela ne s’est jamais produit. Il paraît que cela ne se produira pas au Togo non plus. Au demeurant, les leaders de la C14 doivent administrer la preuve qu’elle n’est pas naïve au point de croire à une efficacité de la facilitation ghanéenne pour obtenir l’alternance à la tête de l’État togolais. Les reports successifs des marches prévues ces dernières semaines n’augurent rien de bon face aux violations répétées par le pouvoir du gentleman agreement instauré par le dialogue. Il s’agissait, au mieux pour la C14 en entrant dans le dialogue, d’établir sa bonne volonté de trouver une issue pacifique à la crise tout en s’exonérant du reproche de ne pas essayer les solutions préconisées par la soi-disant communauté internationale. Les concessions faites à M. Akufo-Addo participent de cette précaution minimale qui doit à présent prendre fin. Poursuivre dans cette voie, c’est laisser s’installer les effets d’une manœuvre dilatoire qui ne sert qu’à renforcer la dictature en affaiblissant l’ardeur libératrice du peuple. Le risque d’essoufflement est disproportionné face à la maigreur du gain : contre l’arrêt des manifestations depuis deux mois, la C14 a obtenu la libération de quelques otages vite remplacés dans les geôles de la dictature et la vague promesse de surseoir aux opérations de préparation des futures fraudes électorales. Le jeu n’en vaut pas la chandelle et ressemble à un véritable marché de dupes. Comme si le peuple togolais debout avait bravé les armes et payé le prix fort pour obtenir le sursis à exécution d’un énième coup de force électoral en sauvant par la même occasion les sièges de députés de certains membres de la coalition. Les mouvements sociaux sont réprimés, les populations de Mango, Bafilo, Sokodé et Kara sont en état de siège permanent pendant que les leaders de la société civile Nubuéké et Togo-Debout sont embastillés, harcelés, intimidés. La machine répressive tourne à fond et les machineries politiques de contre-vérité des urnes travaillent à toutes berzingues. Autant dire qu’on a suspendu les marches, la seule arme efficace, pour des « clopinettes ». La C14 donne l’impression de ne savoir ni voir la réalité telle qu’elle se déploie sous les yeux ahuris du peuple, ni compter les coups assénés par le régime au nom d’une improbable diplomatie. Si la C14 espère avoir le feu vert de la facilitation pour reprendre sa seule arme efficace, elle se trompe. Si elle compte sur M. Akufo-Addo pour mettre la pression sur le régime radical du RPT/UNIR, elle peut attendre longtemps. Si elle compte attirer l’appui de la communauté internationale, elle se fourvoie. Si elle pense pouvoir conduire le peuple en sacrifiant SON leader de combat actuel M. Tikpi Atchadam contraint à l’exil, elle s’illusionne. Si elle espère continuer à participer à la farce politique en se positionnant pour les futures échéances électorales frauduleuses, elle fait l’aveu de sa compromission. Si elle pense pouvoir diriger le Togo sans tirer les leçons de ses erreurs passées, elle les réitérera en trahissant la lutte et le peuple.
ET MAINTENANT …
Il faut d’urgence sortir de cet angle mort de la contestation dans lequel la ruse du régime et de ses alliés a enfermé la C14 et partant le peuple togolais. Il faut lâcher les amarres et ouvrir les vannes de la contestation populaire du régime. Une fois encore, le charismatique leader du parti national panafricain (PNP) montre la voie. Il ne fait aucun doute que c’est la bonne méthode, la seule qui ébranle la satrapie sur ses bases et qui seule peut l’éroder et finir par la renverser. L’appel de M. Atchadam est tout à la fois le constat de l’échec du dialogue, la désignation de l’impasse politique dans laquelle la ligne de MM. Fabre et Agboyibor ont encore fourvoyé le peuple et le moyen de reprendre l’élan victorieux. Si le dialogue était réellement la solution à la crise togolaise, nul doute qu’on n’en serait pas aujourd’hui au 28°. Il faut savoir se laisser enseigner par l’histoire et l’expérience. La C14 est au pied du mur. Elle s’est faite à nouveau « berner » alors même qu’elle était en position de force avec le vent en poupe. Une telle cécité politique est surprenante. Elle confine à l’amateurisme d’une révolution de pieds nickelés. Le monde entier connaît désormais la justesse et la légitimité de la lutte du peuple pour mettre fin à une bizarrerie assassine érigée au sein de la sous-région ouest africaine en mode de gouvernement depuis 50 ans. Nul n’a encore besoin de pédagogie pour savoir que le régime de père en fils justifie une lutte acharnée du peuple togolais pour en dégager le joug. Il n’est pas besoin d’une diplomatie de longue haleine pour susciter l’adhésion des peuples et la sympathie grandissante des sociétés civiles africaines. Le tropisme du C14 sous l’impulsion de M. Fabre à s’enferrer dans une diplomatie superfétatoire est proprement surprenant. Chercher à clarifier l’évidence ne peut qu’obscurcir le chemin. Et le chemin de la liberté du peuple ne cesse de s’assombrir depuis deux mois. A contrario, l’excessive tergiversation, l’affadissement de la lutte et l’instauration symétrique d’un état de calme relatif coupe le peuple des soutiens extérieurs et même des appuis de la communauté internationale pour qui, seule compte la stabilité du Togo pour la défense de ses intérêts et à qui l’attitude attentiste de la C14 ferait admettre le régime vacillant de M. Gnassingbé comme un moindre mal. Il faut d’urgence mettre fin à cette tendance lourde que renforce l’action cohérente et méthodique du régime en place : profiter de l’accalmie obtenue par la facilitation pour mettre en place les pare-feu et les éléments d’imposition d’une réforme qui ne prendraient en compte que la volonté du pouvoir de perdurer ad vitam à la tête de l’État. Il faut couper les ponts et les relais possibles entre la société civile et la C14 en décapitant les mouvements. Nul doute que les leaders syndicaux vont être les prochaines cibles. Les déboires de M. Pélélem et ses camarades indiquent cette tendance au musellement du peuple. C’est cet étau qui se resserre inexorablement que M. Atchadam propose de casser. L’appel du PNP à la reprise de la marche tient le plus grand compte de ces éléments factuels qui font bien plus de mal à la lutte et génère bien plus de casse sociale que le simple fait de déplaire à une hypothétique facilitation qui ne fait que le jeu de la dictature. Rompre le cercle infernal imposé par la facilitation, c’est affirmer le droit constitutionnel d’assistance à peuple en danger. Il faut, hors de toute expression égoïste et des agendas cachés, entendre le clair rappel du leader du PNP pour ne pas rater le coche. Il convient en toute lucidité de désembourber la révolution togolaise, de laisser le peuple faire « son devoir » qui seul peut empêcher la (re)prise en otage du peuple avec un recul des droits et des libertés plus sévère encore. La sagesse millénaire togolaise nous l’enseigne : « à trop retenir l’eau dans la bouche, elle devient de la bave ».
Jean-Baptiste K.
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