Les rebelles syriens annoncent une offensive décisive sur Alep. Mais quelle est la situation sur le terrain, dans la seconde ville du pays et dans le reste de la Syrie ? Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-2 et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), revient en détail sur la stratégie militaire du régime.
Les rebelles affirment avoir lancé une offensive décisive à Alep. Vont-ils vers une conquête de la seconde ville du pays ?
– Non, bien au contraire. Les rebelles sont sur le départ. « Offensive décisive », c’est un effet d’annonce qui ne traduit pas du tout la réalité sur le terrain. Ils ne sont ni assez bien armés ni assez bien organisés pour conquérir la ville où ils n’avaient réussi à prendre pied que dans les quartiers sunnites. Ils ont bien lancé des offensives sur les quartiers centraux mais sans pouvoir s’y installer. Je pense notamment au quartier arménien, où la population a utilisé les armes fournies par le régime pour empêcher l’insurrection de s’implanter.
Il y a une stratégie très claire du régime de contre-insurrection, qui prend son temps, et procède comme suit : identification des zones tenues par les rebelles, encerclement puis expulsion des rebelles, et enfin, passage au quartier suivant. C’est une stratégie qui prend du temps mais qui aboutit en ce moment à Alep. On est donc face à un dernier baroud d’honneur des rebelles dans la ville avant, probablement un repli stratégique.
Si les rebelles armés quittent Alep, les populations des quartiers où ces derniers résidaient doivent-ils redouter des expéditions punitives de l’armée régulière ?
– Dans une stratégie de contre-insurrection, lorsque vous tenez un quartier, il faut en éradiquer les éléments hostiles. Donc soit vous les éliminez physiquement, soit vous essayez de les convaincre de changer de position. Ceux qui se sentent menacés partent. Quoi qu’il en soit, il y aura une épuration de ces quartiers.
Les opposants pacifistes doivent-ils également s’inquiéter ?
– Le régime a besoin de discuter avec des opposants. Il y a quelques jours, le Comité de coordination nationale démocratique présidé par Haytham Mana s’est réuni dans un grand hôtel de Damas. Ce ne sont pas des membres de l’opposition reconnue, mais les représentants d’une opposition admise, avec qui le régime discute. Bachar al-Assad n’a pas grand-chose à craindre des opposants pacifistes car ils ont vu la menace de la guerre civile, le danger islamiste – notamment à Alep où il y a de nombreux combattants djihadistes. Le but du pouvoir est de trouver une contre-idéologie à confronter à l’opposition. Or, un régime dictatorial corrompu n’est pas une idéologie raisonnablement opposable aux opposants. Le régime a donc intérêt à agiter le danger islamiste au travers de l’opposition armée pour amener les opposants pacifistes à pencher du côté d’un pouvoir qui représente l’ordre, plutôt que du côté des rebelles, assimilés à des islamistes.
Cette stratégie de contre-insurrection est-elle menée de façon similaire dans tout le pays ?
– La stratégie s’applique à l’ensemble de la Syrie. Le régime s’est retiré des zones rouges tenues par les rebelles pour ne conserver que les grandes villes, plus faciles à défendre que des petits villages hébergeant dix ou vingt soldats, cibles faciles pour les rebelles. Autour d’Alep, la campagne est tenue par les rebelles. Hama est calme, l’armée tient la ville mais tous les villages sunnites autour sont tenus par les rebelles. Idem pour Deraa et sa région. La campagne autour de Deraa est sans arrêt victime des combats.
Pour mener sa stratégie, l’idéal pour le régime serait d’être en vase clos. Avec des frontières sous-contrôle, pour empêcher tout ravitaillement des rebelles. Or la seule frontière que le régime contrôle vraiment est celle qui sépare la Syrie du Liban, car il est aidé par l’armée libanaise et les milices pro-syriennes du Liban.
Autre impératif pour le régime : éliminer l’état-major de l’Armée syrienne libre (ASL). D’ailleurs, la grande crainte de l’ASL est un raid contre cet état-major. Il vient en effet de s’installer sur le sol syrien de façon symbolique pour prouver que l’ASL n’est pas une opposition de salon et pour mieux organiser leurs troupes sans les laisser sous une domination islamiste. Mais ce déplacement est à double tranchant : il l’expose à un raid de l’armée régulière.
On est donc toujours dans une perspective de règlement du conflit à long terme ?
– Si on s’en réfère au discours de Laurent Fabius, les pays occidentaux sont beaucoup plus sur la réserve quant à une chute rapide de Bachar al-Assad. De leur côté, les pays du Golfe sont toujours très anti-Bachar, c’est une question stratégique pour eux quant à l’axe pro-iranien, et il n’est pas envisageable de perdre la face en acceptant un maintien au pouvoir d’Assad. Mais s’ils peuvent soutenir longtemps l’opposition syrienne – ils ont suffisamment d’argent – ils ne peuvent les soutenir de manière décisive en leur fournissant du matériel qui puisse venir à bout des avions syriens. Tant que les rebelles n’auront pas l’équivalent des missiles Stinger que les Américains avaient fournis aux moudjahidin afghans, il sera difficile pour eux de libérer la moindre zone, comme ce fut le cas en Libye autour de Benghazi.
Nouvel Obs