La CPI marche sur les braises ivoiriennes

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«Le sourire du vainqueur», titrait hier le Quotidien d’Abidjan sur une photo pleine page d’un Laurent Gbagbo effectivement très souriant. Détenu depuis le 30 novembre par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, l’ex-président ivoirien a comparu lundi et hier (ndlr mardi) lors d’audiences à huis clos qui devaient déterminer si son état de santé lui permettait d’assister à son éventuel procès.

Quel que soit le verdict, une autre audience, bien plus importante, sera nécessaire : celle de la confirmation des charges, plusieurs fois reportée. Elle seule donnera le feu vert à un procès si les éléments de preuves rassemblés par le procureur sont jugés assez solides pour mettre en accusation un homme soupçonné par la justice internationale d’avoir entraîné son pays dans un bain de sang entre décembre 2010 et avril 2011. En attendant l’issue de cette saga judiciaire, les spéculations vont bon train en Côte-d’Ivoire où l’ombre de Laurent Gbagbo continue de hanter la vie politique.

Deal. «Nous faisons nos meilleures ventes dès qu’on titre sur la CPI et le sort de l’ex-président», confie Augustin Koyo, rédacteur en chef de Notre voie, le principal quotidien pro-Gbagbo. Ces jours-ci, les journaux d’opposition s’en sont donc donné à cœur joie, affirmant savoir qu’un deal secret serait négocié pour obtenir la libération de l’ex-chef d’Etat qui menacerait de faire «des révélations compromettantes» lors de son procès. D’autres titres pro-Gbagbo croient savoir que la CPI «fait actuellement pression» sur l’actuel président, Alassane Ouattara, pour qu’il livre certains des chefs rebelles qui l’ont aidé à prendre le pouvoir et qui sont également soupçonnés d’exactions.

Lors du transfert de Gbagbo à La Haye, le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo (remplacé depuis par Fatou Bensouda) avait annoncé prévoir six inculpations, trois dans chaque camp. Mais ensuite, le pouvoir en place a fait savoir qu’il s’estimait désormais capable de juger en Côte-d’Ivoire tous les auteurs des crimes liés au conflit. Reste que, jusqu’à présent, seuls des proches de Gbagbo ont été inculpés par les trois juges ivoiriens chargés des enquêtes. En réalité, les partisans de l’actuel président s’estiment les principales victimes d’une crise déclenchée par le refus de Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale en décembre 2010.

«Cette volonté d’équilibre de la CPI est jugée injuste dans le camp Ouattara, même si les exactions existent, comme le terrible massacre de Duekoué dans l’ouest», explique Me Yacouba Doumbia, du Mouvement ivoirien des droits de l’homme. Mais c’est surtout l’insécurité actuelle qui freine toute vision sereine du débat judiciaire. «La multiplication récente d’attaques armées a redonné une place centrale aux chefs de guerre rebelles, dans le collimateur de la CPI. Pour l’instant, Ouattara ne peut pas se passer d’eux», constate encore Me Doumbia.

Faux pas. Deux versions de l’histoire continuent ainsi à s’affronter, chaque camp reprochant à l’autre la responsabilité de la crise. «La CPI soupçonne Gbagbo d’être « le coauteur indirect de crimes contre l’humanité » ? Mais qui en est alors l’auteur réel ?» s’amuse Sébastien Dano Djédjé, l’un des ténors du Front populaire ivoirien, le parti de l’ex-Président. «La justice internationale peut apporter une clarification des événements», veut espérer un juriste en mission à Abidjan. Dans un pays encore très polarisé, la CPI n’aura, en tout cas, droit à aucun faux pas. Sous peine de raviver les plaies mal cicatrisées du conflit.

Libération

 

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