Prisonnière comme son époux depuis la chute de celui-ci, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire attend d’être fixée sur son sort par la justice ivoirienne qui a entamé une enquête contre eux. C’est la deuxième fois qu’elle se retrouve prisonnière d’Alassane Ouattara, depuis qu’elle a uni son destin à celui de Laurent Gbagbo. C’est aussi la deuxième fois qu’elle est violentée lors de son arrestation. Dans son livre autobiographie (Paroles d’honneur, Ramsay, 2007), elle assurait que rien ne pouvait les briser. Portrait d’une femme controversée.
Le procureur nouvellement nommé d’Abidjan, Simplice Kouadio Koffi, ne s’est pas fait prier pour se retourner contre ses anciens maîtres. Dimanche, il est allé voir Simone Gbagbo à Odienné, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, où elle est assignée à résidence. Non pas en serviteur zélé qu’il était il y a quelques mois encore, mais en investigateur. Le nouveau pouvoir d’Abidjan l’a chargé d’enquêter sur l’implication présumée de l’ex-première dame dans les violences postélectorales, qui ont coûté la vie à près de trois mille personnes et jeté plusieurs milliers d’autres, baluchons sur la tête pour tout bagage, sur les chemins de l’exil. Simone Gbagbo qu’on dit emmurée dans un silence de nonne ayant fait vœu de silence depuis son arrestation n’a probablement rien dit à son « visiteur », durant l’audition. Selon la presse ivoirienne, celle-ci n’a duré qu’une demie heure. La veille, samedi, Simplice Kouadio Koffi s’était rendu à Korhogo pour interroger Laurent Gbagbo, lors d’une rencontre tout aussi brève. Visiblement par respect du secret de l’instruction, il n’a pas été très bavard après ce lancement de l’épisode judiciaire de la chute des Gbagbo.
Toutefois, des journaux ivoiriens croient savoir que des accusations d’exactions, de concussion et d’appels à la haine pèsent sur eux. Pure spéculation ? Voire. Une chose est sûre : les nouvelles autorités d’Abidjan n’ont pas opté pour la transparence. Vendredi dernier, elles ont refoulé à l’aéroport de la capitale, les avocats français, Mes Jacques Vergès et Marcel Ceccaldi venus assister, venus assister le couple présidentiel sortant. Au prétexte d’absence de visas d’entrée en règle. « La présence des avocats, si elle est souhaitable, n’est pas obligatoire » à ce stade des investigations, a affirmé Simplice Kouadio Koffi.
Prisonnière de Ouattara pour la deuxième fois
Pas le temps de souffler et de panser ses blessures donc, pour Simone Gbagbo. Tout est allé vite, depuis le dénouement de la crise postéléctorale en Côte d’Ivoire, accéléré par l’appui fourni aux insurgés pro-Ouattara, par les forces françaises de l’opération Licorne. Arrestation en même temps que son époux dans leur résidence de Cocody. Violence physique et psychologique – des rumeurs de viol courent sur Internet. Les images de Simone Gbagbo paniquée, cheveux arrachés, vêtements en lambeaux, avec en arrière plan des insurgés aux tenues militaires hétéroclites et défraichies, regards menaçants de fauves surexcités, faisant le V de la victoire, ont fait le tour du monde. Une humiliation dont Alassane Ouattara, même par simple élégance, aurait pu faire l’économie. « L’histoire est un éternel recommencement », disent certains. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil », disait l’Ecclésiaste, personnage biblique que Simone Gbagbo, chrétienne convaincue, passée du catholicisme paternel à l’évangélisme prosélyte « par désir de mieux connaître la Bible », connaît bien. Marie-Antoinette Singleton, fille de Laurent et Simone Gbagbo, installée aux Etats-Unis, assure ainsi que ses parents étaient préparés à cette éventualité. « Eux-mêmes étaient préparés psychologiquement pour ce combat qui n’est pas terminé. Nous avons été tellement traumatisés enfants que je ne suis pas émue », assure-t-elle dans une interview publiée jeudi sur Slateafrique.fr.
C’est en effet la deuxième fois que le couple Gbagbo se retrouve prisonnier d’Alassane Ouattara. Et à chaque fois, leur arrestation a été violente. Le 18 février 1992, Simone et Laurent Gbagbo conduisent une marche du Front populaire ivoirien (FPI) leur parti à Abidjan Plateau, lorsque les forces de l’ordre envoyées par Alassane Ouattara, alors Premier ministre de Felix Houphouët Boigny, dispersent la manifestation et les interpellent. Dans son livre autobiographique Parole d’honneur Simone Gbagbo raconte qu’elle est alors livrée aux soldats par un officier. Ceux-ci la brutalisent tout au long du chemin, jusqu’au camp Gallieni, lieu de la détention. « C’est la viande. Envoyez-la ! Tuez- la, tuez-la », crient les militaires. « Les matraques reprirent. Il en pleuvait et il en pleuvait. Sur la tête, dans le dos, dans le ventre. Jusqu’à ce que je m’effondre évanouie. Je n’avais jamais été autant battue de ma vie », se rappelle-t-elle dans son autobiographie.
Des gendarmes interviennent pour la sauver. Transférée au CHU, elle y passe 18 jours, ses vertèbres cervicales ayant été touchées. Remise sur pieds, elle est transférée à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) où elle est admise au quartier des femmes. Elle y retrouve Odette Sauyet, seule autre femme du FPI faite prisonnière. Elle y passera cinq mois. Sans contact avec son mari enfermé, lui, au quartier des hommes. Comme Laurent Gbagbo, elle retrouve la liberté à la faveur de la loi d’amnistie de juillet 1992. Elle écrit avoir considéré ce premier séjour carcéral comme « un cheminement spirituel duquel elle sort sans haine ni rancune envers Houphouët ». Loin d’entamer sa ferveur militante, la prison n’a fait que la renforcer.
Rencontre de deux destins politiques
Car en liant son destin à celui de Laurent Koudou Gbagbo, Simone Ehivet, de son nom de jeune fille, sait que la vie ne lui réservera pas que des fleurs. Leur union traduit la rencontre de convictions politiques identiques que le sentiment amoureux viennent seulement renforcer et souder. Mère de cinq filles dont les deux dernières avec Gbagbo, Simone est de quatre ans la cadette de son époux. Elle voit le jour le 20 juin 1949 à Mossou, dans la commune de Grand-Bassam. Elle est de la la tribu des Abouré, peuple cultivateur et sous-groupe des « Akan Lagunaire ». Son père est gendarme et sa mère femme au foyer. Celle-ci décède alors qu’elle n’a que sept ans. Simone doit suivre son père dans ses différents lieux d’affectation, ce qui lui permet de connaître les us et coutumes de toutes les régions de la Côte d’Ivoire. Celui-ci qui, dit-elle, se rend à l’église chaque matin avant d’aller au travail, lui transmet la foi chrétienne. Elle doit en outre le soutenir dans l’éducation de ses 18 frères et sœurs. Ce qui ne l’empêche pas de faire des études supérieures : Baccalauréat en 1970, Licence de lettres modernes en 1973 à l’université d’Abidjan, Maîtrise de lettres modernes à l’université de Paris 13 Villetaneuse. Elle achève son cycle universitaire par un doctorat de lettres soutenu à l’université de Dakar sur le thème : Le langage tambouriné chez les Abouré. De 1974 à 1980, elle enseigne les lettres modernes au lycée classique d’Abidjan.
Pendant ce temps, Laurent Gbagbo, professeur d’histoire, mène la fronde syndicale dans le milieu universitaire. Elle commence à le suivre de loin lorsqu’il est arrêté pour la première fois, et incorporé de force à l’armée, en 1970 – il est âgé de 25 ans. Alors marié à la française Jacqueline qui lui a donné un fils, il passe 22 mois chez les militaires à Bouaké, avec le général Robert Gueï comme formateur. Simone est à cette époque engagée dans un premier ménage où sont nés ses trois premiers enfants. Elle rencontre Laurent Gbagbo pour la première fois lorsque celui-ci, toujours dans l’armée, vient se faire soigner à Abidjan. « J’avais tellement entendu parler de lui que j’étais très impressionnée », écrit-elle. Tous deux se découvrent la même sensibilité politique et des conceptions de vie similaires lors de cette première entrevue. Ils deviennent d’abord camarades politiques avant que les sentiments ne s’en mêlent. Elle décide de le suivre et de le soutenir. Leurs destins sont liés. « J’ai toujours eu une admiration profonde pour Laurent Gbagbo, une admiration qui ne s’est jamais érodée. Même en étant son épouse, il continue à m’épater », témoigne-t-elle dans son livre autobiographique.
Naissance du FPI et combat politique
Trois autres syndicalistes se joignent à eux pour lancer clandestinement le FPI dans les années 1980, en usant de pseudonymes pour échapper à la police politique. Elle prend la direction du mouvement lorsque Laurent Gbagbo part en exil en France en 1982. A son retour six ans plus tard, elle est à ses côtés lors du congrès constitutif du parti. Le 19 janvier 1989, après plusieurs années de vie commune dans le péché, Laurent l’épouse officiellement dans la discrétion, à la mairie de Cocody (Abidjan), « pour sécuriser l’avenir de nos enfants », explique-t-elle. « Nous étions heureux ainsi (en concubinage), mais étant tous deux engagés en première ligne dans notre combat, il fallait que s’il arrive quoi que ce soit à l’un d’entre nous, l’autre puisse s’occuper légalement des enfants ».
En 1990, Houphouët Boigny consent enfin à autoriser le multipartisme. Elle anime la campagne de son époux qui se présente contre « le vieux », lors de la présidentielle de la même année. Laurent Gbagbo perd, mais avec un score très honorable. Il obtient 18,3% des suffrages. Bien qu’étant très active auprès de lui, elle ne néglige pas sa propre carrière politique. Elle est ainsi élue députée d’Abobo (Abidjan) lors des législatives de 1995 et devient vice-présidente du parlement ivoirien. En 2000, elle est réélue dans la même circonscription avec 56% des voix et préside le groupe parlementaire du FPI à l’Assemblée ivoirienne. Femme de l’ombre, faiseuse de roi, c’est elle qui, la première, annonce la candidature de Laurent Gbagbo, lors de la présidentielle de l’an 2000, qu’il remporte contre Robert Gueï.
L’épreuve de la présidence
Les dix années que le couple passe à la tête de la Côte d’Ivoire sont particulièrement éprouvantes. C’est comme si Dieu, à qui l’ex-première dame attribue la maîtrise de son destin, ne leur a donné le pouvoir d’une main que pour le reprendre de l’autre. En 2002, une tentative de coups d’Etat débouche sur la partition du pays en deux. Alors que la rébellion des Forces Nouvelles tient le nord du pays, la présidence de Laurent Gbagbo est ponctuée de nombreuses affaires dans lesquelles le nom de son épouse est régulièrement cité. Il en est ainsi de l’affaire du journaliste disparu Guy André Kieffer et de celle des déchets toxiques déversés au large d’Abidjan. Dans son ouvrage, Simone Gbagbo attribue toutes ces affaires à de sombres machinations ourdies par ceux qui avaient juré dès le début que son époux ne gouvernerait pas un pays en paix.
Évoquant l’affaire du charnier de Yopougon auquel certains attribuent la responsabilité à son mari, elle explique qu’à l’époque Laurent Gbagbo, fraîchement élu, n’avait aucun pouvoir de commandement et se cachait dans le coffre d’un véhicule lors de ses déplacements pour échapper au général Gueï engagé dans une tentative de coup d’Etat électoral. Elle raconte que les cadavres ont probablement été collectés et acheminés dans le quartier pour y constituer un charnier et accuser ensuite son époux. Cependant, si dans son esprit de croyante Dieu dont on dit que les voies sont insondables a envoyé toutes ces épreuves, Satan l’exécuteur, lui, a bien un nom : Alassane Ouattara. Selon elle, c’est le nouveau président, à qui elle dénie la nationalité ivoirienne, qui a introduit la violence dans la politique du pays, dès les années 1990. « Alassane Ouattara s’est avéré être un véritable fléau pour notre pays. Je pense à ce fétiche que le patriarche imprudemment ramène à la maison et qui décime le clan (…) Il est le souci majeur de notre pays. Il est celui qui l’a précipité, il y a des années, dans le tunnel de la crise », peut-on lire dans son livre. Cependant, elle dit ne pas lui en vouloir. « J’avais acquis la conviction que cet homme était dangereux, sans scrupules, sans foi ni loi. L’utilisation des loubards dans la politique en côte d’Ivoire, c’était lui. Mais avec surprise, je découvris que je n’avais pas de rancœur contre cet homme », écrit-elle.
Cependant, avec l’exercice du pouvoir, l’ancienne opposante politique s’est endurcie. Sans que sa responsabilité n’ait été démontrée, son nom est associé aux escadrons de la mort qui, après la rébellion de 2002, assassinent nombre de personnes soupçonnées de soutenir les combattants nordistes. Son discours vis-à-vis des Ivoiriens du nord et des immigrés se raidit. Et en février et mars derniers, lorsque les enlèvements, meurtres et viols se multiplient à Abobo, elle ne s’en émeut pas. Depuis de nombreuses années, l’on jase aussi à Abidjan et ailleurs sur son enrichissement personnel et ses dépenses somptuaires. Et dans le même temps, elle affiche sa foi de manière de plus en plus ostensible. C’est en se tournant vers Dieu que, le mois dernier, son mari et elle ont résisté plusieurs jours durant aux terribles bombardements de la force Licorne.
On peut parier que, de nouveau prisonnière d’Alassane Ouattara, Simone Gbagbo ne se laissera pas facilement abattre. « Nous avons été si souvent humiliés, nous avons été si souvent battus, nous avons reçu tellement de blessures physiques et morales ! Laurent ne s’est jamais laissé briser ! », assurait-elle il y a quatre ans, dans son autobiographie. En attendant, son sort est entre les mains de la justice du vainqueur de son dernier combat politique.
Dr Yves Ekoué Amaïzo, PhD, MBA
International Consultant
International Business and Project Management