Scrutin á deux tours au Togo: de quoi a peur Faure ?

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Pourquoi donc le président Faure du Togo et ses partisans rechignent-ils à adopter le mode du scrutin à deux tours aux prochaines élections présidentielles ? Cette formule standard a pourtant le mérite de préserver le pays qui l’expérimente, de lendemains amers. On l’a vu en Guinée Bissau, en Mauritanie et ailleurs sur le continent. Loin de faire uniquement plaisir à l’opposition, le scrutin à deux tours offrira au citoyen togolais une diversité de choix, le responsabilisera davantage et l’incitera à jouir pleinement de ses droits.
A l’approche de l’élection présidentielle de février 2010, l’opposition togolaise réclame à cor et à cri l’adoption du mode de scrutin à deux tours. Il est vrai que cela permettra aux différents candidats de jauger leurs forces. Mais pourquoi avoir attendu tout ce temps pour jeter ses partisans dans les rues de Lomé ? Certes, des impératifs liés au déroulement du processus, notamment la mise en place de la commission électorale, ont pu faire ombrage à certaines activités. Mais dans sa stratégie de lutte, l’opposition semble bien manquer de vigilance. Il lui faut pourtant bien manœuvrer afin de parvenir à surmonter la grande fraude qui sert généralement de garantie au pouvoir en place en Afrique.

En effet, le mode de scrutin à un tour a beaucoup de limites. Dans nos républiques bananières à la démocratie bancale, il n’est pas sans risque pour l’opposition. On l’a vu récemment au Gabon où Ali Bongo Ondimba a succédé sans gloire à son défunt père. L’opposition, alors émiettée et sans âme, ne peut aujourd’hui en vouloir qu’à elle-même. Ce scénario pourrait se répéter au Togo où le pouvoir a beau jeu de toujours invoquer le manque de ressources financières pour amorcer certains tournants décisifs. Pourtant, une élection n’est intéressante que lorsqu’existe un certain suspens.

En outre, cela met le pays à l’abri de tout conflit. Autant un scrutin à un seul tour manque de piquants, autant nul ne se montrera frustré si la victoire concédée à l’adversaire apparaît comme loyale. Dans cette optique, le scrutin à deux tours a l’avantage de permettre aux adversaires de profiter du round d’observation pour mieux s’organiser et relancer la course. L’électeur, quant à lui, prend le temps de bien réfléchir en vue de faire un choix plus judicieux. Pour des pays qui renaissent à la démocratie, une multiplicité de choix apparaît comme inéluctable si l’on veut consolider les acquis.

Dans les grandes démocraties, plusieurs tours de scrutin ont cours, des primaires jusqu’au dernier passage devant les urnes. En Afrique, parmi les exemples les plus récents, celui de la Guinée Bissau se révèle plein de leçons d’humilité, de volonté et de courage politiques manifestes. Ce pays, après maintes et maintes crises, a emprunté une voie pleine de promesses qu’il faudra cependant gérer avec tact.

Le processus démocratique en cours, aura permis, après deux tours de scrutin, de départager sereinement deux hommes pourtant naguère résolus chacun à diriger le pays. Ils auront su dès les premiers résultats, discipliner leurs troupes et s’incliner devant le verdict des urnes. Cette hauteur de vue des acteurs politiques bissau-guinéens doit être saluée en ce qu’elle constitue une référence sur un continent lézardé par des conflits fratricides et des processus démocratiques viciés, surtout en milieu francophone. Après les troubles qui les ont tant fait souffrir, les Togolais doivent tourner la page et s’ériger en modèle de démocratie naissant.

Le pouvoir de Faure Gnassingbé a intérêt à œuvrer dans le sens d’un jeu qui honore le pays et non à emprunter une voie sans issue à la remorque de partisans mal inspirés. Dans cette perspective, les opposants du CAR et de l’UFC en particulier, doivent surmonter leurs contradictions et aller à l’essentiel. Ils doivent s’investir dans la promotion du mode de scrutin à deux tours afin d’éviter au pays le syndrome gabonais.

Certes, le Gabon et le Togo viennent de loin. Ils traversent une phase transitoire très délicate. Il n’empêche que pour que mûrisse bien le processus démocratique pour lequel ils ont opté, ces deux pays ne peuvent s’abstenir de respecter les normes propres à la démocratie républicaine. Dans cet effort de consolidation d’un processus qui se révèle par moments très fragile, la commission électorale du Togo doit nécessairement authentifier les bulletins pour éviter que le processus serve de lit à la fraude et donc conduise à une vaste mascarade. Il faut éviter de replonger dans ces troubles et ces bouffonneries qui retardent l’Afrique et en font la risée des autres. Elites au pouvoir ou dans l’opposition, les acteurs politiques africains doivent travailler à se réhabiliter aux yeux des électeurs et de l’opinion internationale.

Pour ce faire, chacun doit s’efforcer de gagner ou de perdre à la loyale. En prenant le risque de perdre des élections à la loyale, surtout après un mandat, on se donne encore plus de chance de reconquérir le pouvoir dans des conditions tout aussi loyales et en étant encore bien plus fort. Cela, le président Faure doit le comprendre. L’exemple du président Kérékou du Bénin en atteste. Au chef de l’Etat togolais d’inciter ses partisans à savoir raison garder.

Il faut absolument éviter le cas gabonais et surtout le modèle équato-guinéen où l’on gagne avant même la tenue des élections. Ce sont des épisodes tristes de l’histoire politique africaine qu’il faut bannir à jamais du patrimoine commun africain. Pour éviter le syndrome gabonais, la communauté internationale doit accompagner les acteurs politiques togolais dans la préparation des élections à venir. Le facilitateur en particulier, doit veiller à ce que les choses se passent suivant une voie consensuelle.

Il a pour lui l’avantage de l’exemple ivoirien et de son itinéraire. Un minimum de normes standard doit être respecté pour rendre crédible le jeu électoral partout où il se déroule. Aux acteurs politiques africains d’apprendre à éviter de tenir certains propos, et à dépasser les actes qui tendent à infantiliser le citoyen électeur. Un pouvoir sûr de sa force et de la confiance du peuple, ne doit aucunement craindre les défis, encore moins la déroute lorsque sonne l’heure des consultations populaires.

Finalement, les acteurs politiques togolais, toutes tendances confondues, ont intérêt à adopter le mode de scrutin à deux tours. Chacun en profitera sûrement. Mieux, il constitue la seule voie susceptible de préserver le Togo de troubles éventuels, et de le doter d’un modèle de démocratie consensuel. En cédant à la requête de l’opposition, le président Faure aura au moins le mérite de faire oublier un tant soit peu aux Africains, la gestion controversée et pleine d’amertume que son défunt père a laissée à la postérité.

« Le Pays »

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