International Crisis Group : L’arrestation de Laurent Gbagbo n’a pas réglé la crise ivoirienne

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Deux ans après l’arrestation de Laurent Gbagbo avec l’aide des forces françaises, la réconciliation est en panne en Côte d’Ivoire. L’attention portée au Mali voisin et une croissance économique solide masquent une réalité préoccupante.

Les fractures sociales et politiques qui ont conduit à la mort violente de 3 000 personnes entre décembre 2010 et avril 2011 sont toujours présentes. Le président Alassane Ouattara est loin d’y avoir remédié, et la prochaine présidentielle de 2015 est déjà porteuse d’inquiétudes.

En haut de l’échelle sociale, l’élite politique reste trop divisée pour encourager la réconciliation à la base de la société. Le dialogue entre la coalition au pouvoir et le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, ressemble plus à deux monologues qu’à une négociation. Les espoirs suscités, en début d’année, par plusieurs rencontres entre des représentants de ces deux camps ont vite été déçus.

La responsabilité de cet échec est partagée. Elle est d’abord individuelle : en coulisses, les dirigeants politiques ivoiriens peinent à placer l’intérêt supérieur de la nation au-dessus des querelles personnelles héritées d’une décennie de conflit politico-militaire. Elle est ensuite collective : chaque parti se retranche dans sa propre logique.

Le pouvoir concède peu et réprime beaucoup

Le FPI se complaît dans une position de victime et peine à réinvestir la réalité. Ses dirigeants refusent de reconnaître leur écrasante responsabilité dans la guerre qui a suivi la présidentielle de novembre 2010. Ils rêvent d’un retour « miraculeux » de Laurent Gbagbo, détenu par la Cour pénale internationale.

Ce rêve tient lieu de plateforme politique. Depuis la mise hors-jeu de son leader, le FPI n’a en effet élaboré aucun programme politique sérieux. A quoi bon d’ailleurs, puisqu’il a choisi de boycotter les élections législatives, puis les élections locales qui auront lieu le 21 avril.

De son côté, le pouvoir concède peu et réprime beaucoup, plaçant sur le même plan les combattants, les militants et les électeurs du camp adverse. Pour répondre aux attaques armées d’extrémistes exilés au Ghana et au Liberia, il a mis en branle, en septembre et octobre dernier, une répression qui entraîné des violations des droits de l’Homme, dont plusieurs cas avérés de torture et des centaines d’arrestations arbitraires.

La justice, l’un des instruments de la réconciliation, est actionnée en sens unique. Des cadres de l’ancien régime ainsi que Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président, sont maintenus en détention sans jugement et sur des bases juridiques fragiles.

La réconciliation, un mirage

Parallèlement, pas un seul chef important des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, l’armée qui a permis à Ouattara de rétablir sa légitimité électorale, n’a été inquiété, ni pour les crimes commis durant la crise post-électorale, ni pour ceux perpétrés depuis lors.

A la base aussi, la réconciliation reste un mirage. Dans les conditions actuelles, il est difficile pour les 1,7 million d’électeurs qui ont voté Gbagbo au premier tour du scrutin présidentiel de 2010 de ne pas se sentir traités comme des citoyens de seconde zone. L’exclusion, dont ont souffert les partisans de Ouattara sous le régime Gbagbo, est l’un des facteurs principaux du conflit ivoirien. L’inversion de l’exclusion produira les mêmes effets.

A l’extrême ouest du pays, la paix n’est pas vraiment revenue. En mars, plusieurs attaques ont fait au moins une vingtaine de morts. L’attaque et la destruction récente d’un village habité par des immigrés burkinabè est venue rappeler l’ampleur des divisions communautaires qui caractérisent cette région, où se superposent des questions liées à la propriété de la terre et à la nationalité.

Cette attaque a été vraisemblablement perpétrée par des partisans de Laurent Gbagbo réfugiés au Liberia, qui entendaient s’opposer à ce qu’ils considèrent comme l’occupation de leur région d’origine par des étrangers.

Des efforts insuffisants

Plutôt que d’y faire revenir les services publics, de lui accorder un traitement économique spécial, de régler la question des 62 000 réfugiés ivoiriens qui végètent au Liberia voisin, le pouvoir a opté pour le verrouillage sécuritaire de l’Ouest.

Ce verrouillage a été confié à une armée fortement ethnicisée, secondée par des milices et dirigée par des figures de l’ancienne rébellion, qui inspirent la peur ou la haine à une partie de la population.

Il serait exagéré et injuste de dire que le pouvoir actuel ne fait rien pour sortir la Côte d’Ivoire de l’ornière. Le président Ouattara a redonné confiance aux bailleurs de fonds, qui financent abondamment un pays dont le taux de croissance a atteint 9% en 2012.

Le problème de la nationalité connaît un début de règlement avec la naturalisation de milliers d’apatrides. Mais ces efforts sont insuffisants par rapport à l’ampleur de la tâche à accomplir et au regard des promesses électorales.

L’arrestation de Gbagbo n’a pas réglé la crise

Dans un climat de tensions persistantes, il est difficile de discuter sereinement des raisons profondes de la crise et d’y impliquer l’ensemble de la société. Ainsi, le règlement de la question foncière demeure à un stade embryonnaire.

La gestion opaque des ressources publiques ne fait l’objet d’aucun débat. Le désarmement s’effectue au compte-gouttes. La réforme d’une constitution qui confère au chef de l’Etat un pouvoir quasi absolu ne semble plus être une priorité.

L’élection présidentielle qui doit se tenir en 2015 risque de se dérouler dans un pays divisé, où circulent toujours trop d’armes et où l’accès à la fonction présidentielle, parce qu’il constitue un enjeu vital pour les leaders politiques et leurs entourages, est en soi un puissant déclencheur de conflit.

On le voit l’arrestation de Laurent Gbagbo n’a pas réglé la crise ivoirienne. La France, sans laquelle la mise hors-jeu de l’ancien président ivoirien n’aurait pas été possible, doit désormais faire pression sur Alassane Ouattara pour qu’il ne commette pas les mêmes erreurs que son prédécesseur.

Rinaldo Depagne (International Crisis Group)

 

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