Rentrée universitaire du 3 septembre 2012: Un rendez-vous sans les maîtres

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Dès sa prise de pouvoir, le Président Alassane OUATTARA s’est illustré de plusieurs manières mais la fermeture des universités a étonné plus d’un. La manière également car les étudiants et parents d’élèves ont accueilli l’information avec surprise. C’est le chef de l’Etat en personne qui l’a livrée lors de sa visite au Togo, devant un parterre d’étudiants ivoiriens dans ce pays : « les universités rouvriront leurs portes en septembre 2012 ». Cette décision inopportune s’est imposée aux ivoiriens.  La rentrée universitaire 2012-2013 est fixée au 3 septembre 2012 et les frais d’inscription à 30.000FCFA. Un séminaire de préparation de la rentrée universitaire a été organisé au N’sa Hôtel de Grand Bassam, pour mettre en place les éléments nécessaires à une rentrée universitaire 2012-2013 réussie. On a donc l’impression que le décor de la rentrée est planté et pourtant cette rentrée risque d’être un échec. La raison est simple : certains étudiants sont en exil et certains enseignants sont emprisonnés.

Cette contribution se propose de rappeler aux nouvelles autorités la nécessité de libérer les prisonniers politiques en Côte d’Ivoire.

1. L’IMPORTANCE DE L’ÉDUCATION DANS UNE ÉCONOMIE

« Il n’y a ni richesse ni force que d’hommes… » affirmait jean Bodin. Il est aujourd’hui admis qu’un système éducatif accessible au plus grand nombre est un moyen efficace pour assurer la croissance économique par la formation, la création de nouvelles qualifications. L’éducation est un capital, qu’il convient d’évaluer et auquel on peut associer des coûts, des gains et donc une rentabilité. Dans la théorie du capital humain, l’éducation est considérée comme un investissement que l’individu effectue en vue de la constitution d’un capital productif. Cet apprentissage est coûteux, mais en retour, les connaissances acquises apportent à l’individu des gains dès lors qu’elles sont mises en œuvre dans le cadre d’activités professionnelles. Le rendement salarial de l’éducation peut alors être estimé à partir de ces effets sur les salaires perçus. L’éducation va bien au-delà de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Elle représente le meilleur investissement qu’un pays puisse faire pour sa population et son avenir, et elle joue un rôle crucial dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. L’éducation est la clé qui permet à un pays de libérer son potentiel de croissance économique. L’éducation amène le développement durable. Investir dans l’éducation est la meilleure façon d’investir pour sortir l’Afrique du sous-développement. Fondamentalement l’éducation consiste à créer des sociétés saines. Cela doit promouvoir une bonne citoyenneté et encourager le respect des droits humains.

2. L’ÉDUCATION SOUS LE PRÉSIDENT ALASSANE OUATTARA

Quatre  faits caractérisent l’éducation sous le Président Alassane OUATTARA.

En premier lieu, le refus de former la jeunesse avec la fermeture des universités publiques. On l’a déjà dit plus haut, les étudiants ont été chassés des amphithéâtres par le Président OUATTARA dès sa prise de pouvoir. Pourtant les pouvoirs publics doivent assumer leurs responsabilités en assurant à tous les citoyens le droit de recevoir une éducation de qualité.

Le Président OUATTARA a ainsi condamné des générations entières en maintenant l’Université fermée pendant deux années académiques. Les universités ont été fermées dit-on pour les réhabiliter. Le secteur de l’éducation peine sous le Président OUATTARA : des prises de décisions hasardeuses et des taux d’échec élevés. Pour combler les besoins exprimés dans le secondaire, le gouvernement a recruté de façon lapidaire 3000 enseignants contractuels, formés en 10 jours,  pour une durée de quatre mois.

En deuxième lieu, le mépris pour les professionnels du secteur. Le pouvoir actuel n’a aucun respect pour les professionnels de l’éducation. Sa décision de fermer les universités publiques a été prise en l’absence de tout consensus et sans une vraie concertation avec les enseignants, techniciens du domaine, et les étudiants, principaux concernés. Or, les enseignants jouent un rôle clef dans toutes les formes d’éducation. On ne peut envisager aucune mesure visant à améliorer l’éducation sans songer aux enseignants. La plupart des réformes et des stratégies d’amélioration s’occupent de ce qui se passe en classe, c’est-à-dire du travail quotidien des enseignants. Tout progrès dans l’éducation dépend en grande partie des qualifications et des capacités du corps enseignant en général et des qualités humaines, pédagogiques et techniques des enseignants en particulier. Sous le Président OUATTARA, les mots clés de sa présidence sont : la force et l’autocélébration.

En troisième lieu, l’autocélébration et le narcissisme. Les universités publiques ivoiriennes ont été rebaptisées par le gouvernement à l’issue d’un conseil présidé par le Chef de l’Etat Alassane Ouattara. Selon le porte-parole du gouvernement Bruno Nabagné Koné, « Nos universités publiques porteront désormais des noms d’illustres personnalités qui seront des références et des modèles pour les étudiants qui fréquenteront ces établissements ».

Ainsi l’université de  Cocody s’appellera désormais ‘’Université Félix Houphouët Boigny’’, celle d’Abobo–Adjamé devient   ‘’Université Nangui Abrogoua ’’ et l’université de Bouaké est rebaptisée ‘’Université Alassane Ouattara’’. Les unités régionales de l’enseignement supérieur(URES)de Daloa devient  ‘’Université Lorougnon Guedé’’, et de Korhogo devient ‘’Université Pelèforo Gon Coulibaly’’. Alors que les universités publiques étaient fermées, le Président s’autoproclamait « modèle pour les étudiants » afin de rebaptiser l’université de Bouaké ‘’Université Alassane Ouattara’’.

En quatrième lieu, l’emprisonnement des enseignants « maîtres ».

Des enseignants ont été arrêtés et détenus (Aké NGbo, Kata Kéké, Koné Boubacar,…). Beaucoup d’autres partis en exil. Un nombre élevé de ceux-ci s’est vu offert des postes dans des universités étrangères. Avec des rémunérations plus alléchantes, ces professeurs n’envisagent pas rentrer en Côte d’Ivoire sitôt.

Les enseignants arrêtés sont emprisonnés à Boundiali ou à Bouna et sont accusés d’atteinte à la défense nationale, atteinte ou complot contre l’autorité de l’Etat, constitution de bandes armées, direction ou participation à une bande armée, participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte à l’ordre public, coalition de fonctionnaires, rébellion, usurpation de fonction, tribalisme et xénophobie. Tels sont les motifs foncièrement farfelus et fantaisistes  pour  lesquels sont détenus les intellectuels de ce pays.

Parmi ces « enseignants prisonniers », se trouve Michel Koudou Gbagbo, né le 24 septembre 1969 à Lyon (France). Il était avant sa détention enseignant de psychologie à la Faculté de Criminologie de l’université de Cocody  (Abidjan), et directeur de la Formation, de la Communication et de la Sensibilisation au Comité national de pilotage du redéploiement de l’administration (CNPRA).

Quant à l’éminent professeur Aké N’Gbo, avant sa nomination, il était le président élu de l’université de Cocody, à Abidjan. Il est revenu toutes affaires cessantes d’une mission universitaire au Bénin, où il se trouvait quand il a été informé de sa nomination. Ses étudiants que nous sommes, se souviennent de lui comme un homme structuré et rigoureux, qui a instauré des cours de rattrapage le week-end dans le contexte des grèves à répétition pour éviter des années académiques à rallonge. L’enfant d’Akoupé-Zeudji, dans la sous-préfecture d’Anyama est en prison au lieu de préparer la rentrée universitaire comme ses autres collègues.

Dans cette grisaille, le Président Alassane OUATTARA doit savoir qu’il est possible d’emprisonner le corps d’un homme mais pas son savoir.

Monsieur Georges Armand Ouegnin , Professeur titulaire en urologie,  a brillamment réussi le concours africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) qui s’est déroulée du 5 au 13 juillet 2011 à Brazzaville au Congo (la 33ème session ), pendant qu’il était en prison.

3. LES CONDITIONS NÉCESSAIRES POUR UNE RENTRÉE RÉUSSIE

Il a été dit plus haut que le Président Alassane OUATTARA a une totale aversion vis à vis de la jeunesse ivoirienne. A la vérité, les universités ne pourront rouvrir sans la totalité des enseignants dont un grand nombre demeure en prison et en exil. Si malgré tout, les universités devaient reprendre leurs activités, l’amer constat de l’absence d’un grand nombre d’étudiants sera fait; il s’agira sans nul doute de ceux assassinés pendant la guerre.

Le gouvernement du Président Alassane OUATTARA s’active pour que la rentrée universitaire soit effective. Après une velléité d’augmentation des frais d’inscription à 100.000 FCFA, pour la rentrée académique 2012-2013, les étudiants devront payer la somme de 30.000 FCFA au titre des frais d’inscription.

Les bâtiments ont été repeints, des kilomètres de clôture sont visibles. Cependant sans enseignants que valent ces efforts ? Il faut impérativement libérer tous les enseignants emprisonnés à Bouna et à Boundiali afin qu’ils viennent dispenser le savoir aux jeunes générations.

C’est le lieu de rappeler au Président Alassane OUATTARA que l’UNESCO interdit de traiter de la sorte le personnel enseignant.  Une recommandation  concernant la condition du personnel enseignant, datant du 5 octobre 1966 stipule ceci :

Article 79. Il conviendrait d’encourager la participation des enseignants à la vie sociale et publique dans l’intérêt des enseignants eux-mêmes, de l’enseignement et de la société tout entière.

Article 80. Les enseignants devraient être libres d’exercer tous les droits civiques dont jouit l’ensemble des citoyens et devraient être éligibles à des charges publiques.

La Côte d’Ivoire traverse des moments difficiles. Le Président Alassane OUATTARA est au pouvoir après une guerre contre l’ex-Président Laurent GBAGBO. Pour que la Côte d’Ivoire redécolle, il faut une réconciliation nationale or les nouvelles autorités ne prennent pas des mesures plus décisives en faveur de la réconciliation. Il s’agit de libérer tous les prisonniers politiques pendant que l’instruction des dossiers continue et de donner les moyens, le temps et une méthodologie à la commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR ). On dit souvent que l’arbre tombe toujours du côté où il est penché.  « L’arbre » ici c’est le pouvoir du Président Alassane OUATTARA et « le côté penché » c’est la réconciliation nationale.

DR PRAO Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER
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