Rebondissement dans l’affaire des écoutes téléphoniques: Voici comment et par qui les écoutes ont été réalisées

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Ne se sentant pas en sécurité, le Premier ministre de la transition avait mis sur pied un système d’écoutes. Celui-ci l’a aidé à déjouer le putsch du général Diendéré. Et, du même coup, à piéger Djibrill Bassolé et Guillaume Soro. Révélations.

C’est une affaire aussi opaque que retentissante, dont les remous s’étendent des rues arides de Ouagadougou aux bords de la lagune d’Abidjan. Quelques semaines après l’échec du coup d’État du général Gilbert Diendéré et de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), mi-septembre 2015, au Burkina Faso, de présumées écoutes téléphoniques sont divulguées dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Leur contenu est explosif : deux hommes, dont les voix s’apparentent fortement à celles de Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, et de Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, discutent d’un plan de soutien aux putschistes du RSP, alors encerclés à Ouaga par des officiers loyalistes de l’armée burkinabè.

Des échanges accusateurs entre Soro et Bassolé

Leur conversation est accablante, en particulier pour le numéro deux de l’État ivoirien. Outre l’aveu de son appui à une tentative de putsch dans un pays voisin, on l’entend (à supposer qu’il s’agisse bien de sa voix) menacer de mort des responsables politiques de premier plan au Burkina et, de surcroît, reconnaître indirectement sa responsabilité dans les assassinats d’Ibrahim Coulibaly, son rival historique au sein de la rébellion des Forces nouvelles, et de Désiré Tagro, secrétaire général de la présidence sous Laurent Gbagbo. Plusieurs autres écoutes seront ensuite dévoilées, mettant en cause différentes personnalités ivoiriennes et burkinabè.
Face à cette bombe potentielle, Guillaume Soro et Djibrill Bassolé – par la voix de ses avocats, l’intéressé ayant été arrêté fin septembre pour son implication présumée dans le putsch manqué – sont rapidement montés au créneau pour dénoncer un grossier montage audio fabriqué de toutes pièces par leurs adversaires.

Le mystère entourant l’origine de ces enregistrements tout comme la manière dont ils ont été réalisés ont en effet longtemps laissé planer le doute sur leur authenticité. Mais après plusieurs semaines d’enquête, J.A. a pu reconstituer la genèse cachée de ces écoutes, dont tout laisse désormais penser qu’elles sont réelles.

L’histoire remonte aux débuts du régime de transition. Le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, Premier ministre, et son bras droit, le colonel Auguste Denise Barry, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, sont alors les deux hommes forts du pays. Ces deux militaires, rompus aux techniques du renseignement, savent que les capacités de surveillance nationale sont, pour l’essentiel, concentrées à l’état-major particulier de la présidence, contrôlé par le général Gilbert Diendéré et le RSP.

Un système de renseignements mis sur pied

Sur fond de rivalité naissante avec l’ancienne garde prétorienne de Compaoré, ils décident en catimini de monter leur propre système de renseignement. Dans le dos de Diendéré, ils acquièrent du matériel sophistiqué auprès d’une firme étrangère et remettent en service une vieille table d’écoutes du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité, basée dans le quartier populaire de Gounghin, à Ouagadougou.

À la mi-mars, sur ordre de Barry, le colonel Amadou Thera, coordonnateur du renseignement intérieur, qui remettait jusque-là ses rapports au général Diendéré, est remplacé par un officier de confiance : le lieutenant Zongo (son nom et son grade ont été volontairement changés). « Diendéré se doutait sûrement que nous avions des moyens, mais il ignorait qu’un tel système parallèle avait été mis sur pied », raconte un cadre du régime transitaire.

Au fil du premier semestre 2015, les clashs entre Isaac Zida et le RSP, son ancien régiment qu’il entend dissoudre, se multiplient. Plusieurs fois, la transition est menacée. En juillet, après une énième altercation entre le Premier ministre et ses anciens frères d’armes, qu’il a accusés de vouloir l’arrêter à son retour d’un voyage à Taiwan, son fidèle ministre de la Sécurité est limogé par le président, Michel Kafando.

« Diendéré et ses hommes considéraient Barry comme la principale menace. Ils ont fini par avoir sa tête », poursuit le cadre de la transition. Remercié, ce dernier s’absente régulièrement du pays, mais a conservé ses relais et ses capacités de renseignement.

Le 16 septembre, à trois semaines des élections devant mettre un terme à la transition, un commando du RSP fait irruption en plein Conseil des ministres pour arrêter Michel Kafando et Isaac Zida. Le lendemain, le général Diendéré endosse la responsabilité de ce coup d’État. Dans le camp d’en face, la résistance s’organise. En province, plusieurs jeunes officiers se coordonnent pour encercler la capitale et contraindre le RSP à déposer les armes. Parmi ces loyalistes figure le lieutenant Zongo.

Un matériel sophistiqué

Les capacités d’écoutes de son service sont rapidement mises à la disposition de l’offensive contre les putschistes. « Tous les numéros connus des membres du RSP et de leurs proches, civils comme militaires, ont été mis sur écoute. Même leurs SMS pouvaient être lus », explique un gradé placé au cœur de l’opération. En tout, plus d’une centaine de conversations seront enregistrées.
Elles seront exploitées durant toute la crise par le centre de commandement loyaliste installé au camp Sangoulé Lamizana et par la cellule de coordination créée par Auguste Denise Barry et Isaac Zida, une fois celui-ci libéré par les éléments du RSP, le 22 septembre à l’aube.

Le système est efficace : une fois qu’un numéro d’appel est « branché », la table d’écoute retient le numéro Imei de ce téléphone. Si bien que même en changeant de carte SIM, la personne visée continue d’être écoutée. Le système capte aussi les numéros des appels entrants ou sortants, ce qui permet d’identifier d’éventuels complices.

Les nombreuses conversations interceptées par les services loyalistes se sont révélées également utiles pour déjouer le coup d’État.

Parmi les premières cibles de ce dispositif, le général Diendéré, surnommé Golf, qui, malgré son expérience et ses précautions (il changera de puce à plusieurs reprises pendant le putsch), se fera surprendre. « Dans certaines écoutes, Golf affirme à son interlocuteur qu’il peut parler tranquillement et qu’ils ne sont pas surveillés », ironise un second officier loyaliste.

Après ses déclarations ambiguës sur le putsch, Djibrill Bassolé, qui possède plusieurs numéros, est lui aussi rapidement placé sur écoute. À la surprise des officiers de renseignement, ses communications permettent de remonter jusqu’à Guillaume Soro, avec qui Bassolé évoque un plan de soutien au RSP. En coulisses,l’étau se resserre autour de l’ancien ministre de Blaise Compaoré, désormais considéré comme une menace et non plus comme un potentiel sympathisant putschiste.
C’est sur la base de ces écoutes qu’il sera officiellement accusé de comploter avec des forces étrangères, puis interpellé à son domicile ouagalais, le 29 septembre. « L’état-major général a décidé de procéder à son arrestation après avoir pris connaissance de ces enregistrements », confirme une source sécuritaire.

Les nombreuses conversations interceptées par les services loyalistes se sont révélées également utiles pour déjouer le coup d’État. Selon plusieurs officiers qui ont dirigé la contre-offensive, elles les auraient incités à accélérer le mouvement de leurs troupes vers Ouagadougou et aidés à coordonner l’encerclement du RSP dans son camp de Naaba Koom, situé derrière la présidence.
« Chaque jour, un camarade me remettait une clé USB avec des écoutes intéressantes pour le déroulement de nos opérations », témoigne l’un de ces gradés. Enfin, d’après une source au cœur de l’exécutif transitaire, une soixantaine de lignes téléphoniques appartenant à des putschistes auraient été brouillées lors de l’offensive finale sur Naaba Koom, permettant de couper les communications entre les derniers éléments réfractaires du RSP.

Qu’ils soient proches d’Isaac Zida ou non – voire, pour certains, très critiques envers l’ancien Premier ministre -, tous les militaires et civils interrogés qui ont participé à ces opérations sont unanimes : les écoutes sont authentiques. « Elles sont réelles. Il n’y a que Bassolé et Soro pour le démentir », assure un officier loyaliste.

Le premier, inculpé pour son implication présumée dans le coup d’État, devrait être jugé. Le second est, lui, visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice burkinabè. Mais tout le monde, à Ouaga comme à Abidjan, sait qu’il ne risque pas d’être entendu par les juges de sitôt…

SUIVIS À LA TRACE

Le système d’écoute n’a pas seulement permis aux forces loyalistes de suivre les conversations des putschistes ou de leurs alliés. Il les a également aidés à les localiser. À chaque appel, leur téléphone « bornait » en effet sur l’antenne relais la plus proche. Diendéré a ainsi été suivi quasi quotidiennement à la trace, tout comme ses lieutenants. Son épouse, Fatoumata, a longtemps été repérée dans le quartier ouagalais huppé de la Zone du Bois.
Après avoir tenté de se réfugier à l’ambassade des États-Unis – comme son mari, qui, trouvant porte close, se réfugiera finalement à la Nonciature apostolique le 30 septembre 2015 -, elle parviendra à déjouer la surveillance et à quitter le pays.

Benjamin Roger
Jeune Afrique

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