Qui veut …une Assemblée ?

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Il paraît que nous aurons bientôt des élections législatives et donc le renouvellement de l’Assemblée Nationale. Je ne vais pas me citer et crier: « On joue la comédie !»

Mais, c’est comme un jeu dans la cour de récréation auquel nous nous adonnions, assis dans le sable, quand nous étions écoliers, jeu appelé atuklui ( de petites billes noires). Celui qui recherchait des compagnons de jeu se promenait, demandant   sur un ton chantonnant: « Qui veut des billes ?» Celui qui était intéressé chantonnait à son tour pour répondre : « Je veux des billes!».

Si le pouvoir actuel désire une assemblée, c’est sûr qu’il en aura une, tout comme il a une case, pardon, un Cadre Permanent de Dialogue…machin, comme il a une caisse vide de Vérité-Justice-Réconciliation, résonnant sans accord aucun avec les cris de douleur et de malheur suite aux meurtrissures vraies et profondes subies par le peuple togolais, comme il a un Comité de suivi chose…et même comme il a eu un APG ou comme il a toujours eu un gouvernement de…j’allais dire d’union et de réconciliation nationales, avant de m’apercevoir que ces notions tant clamées ont déserté la terre togolaise depuis que les militaires se sont rendus maîtres de l’appareil politique en 1963. Caisses ou boîtes à outils pour rester en place, à la disposition, bien sûr, des manœuvriers experts du régime. Comme il a une CNI, encore une bonne caisse!

Que peut-on refuser à ce pouvoir…j’allais dire tout-puissant, mais non, ce n’est pas  seulement à  sa toute-puissance ( même si elle est réelle), qu’il doit son règne, un pouvoir qui a en face de lui des hommes et des femmes qui veulent être députés, ministres,  premier ministre, présidents de quelque chose, directeurs de ceci ou de cela, une boîte ou une caisse ou même un carton quelconque, pourvu que cela  remue et résonne bien et donc par conséquent  rende les poches bien sonnantes…comme nos poches remplies d’atuklui. Donc, on ne peut rien lui refuser.

Hier, j’avais cru à une union, à une union forte  qui nous promettait le changement. J’y avais cru jusqu’au jour où je me suis aperçu qu’il n’y avait  là aucune union véritable, que la prétendue force n’était qu’une grosse faiblesse, faussement grave donc confondant masse, lourdeur d’allure et poids politique réel, en  pagne, chemise ou boubou jaune doré, se pavanant ça et là, folklorique à merveille, finalement flottant au vent, et que le changement promis ne devait se réduire qu’à un enfouissement dans le lit du système, ou plutôt dans un coin du système, assigné à une cage ou une caisse de suivi machin, qui suit  sa propre ombre, ronronnant de temps en temps, entraînant malheureusement par sa lourdeur, beaucoup de ceux qui lui sont attachés dans cette cage.

J’avais cru aussi à des sursauts promis qui devaient nous conduire bien au-delà de ces pirouettes auxquelles nous étions habitués, pirouettes  dont  s’amuse toujours la toute-puissance tant redoutée. Mais, aujourd’hui, force est de constater qu’en matière de sursaut, je n’avais devant moi qu’un spectacle de gigotement, de trépignement articulé par un roulement de tambours, et d’yeux en direction du système, étant entendu qu’un bond ou plutôt une série de  gambades effectuées de temps à autre d’une caisse à une autre,  d’un camp à un autre, ou même d’un continent à un autre, même de la façon la plus fracassante, la plus intempestive du monde, ne signifie pas vraiment  sursaut. J’ai commencé à me demander si le sursaut,  compris dans ce  sens, finalement, n’est pas le sport favori d’une certaine catégorie d’animaux (politiques s’entend), bien habiles, toujours à l’affût, prêts à bondir sur une proie quelconque dès que l’occasion se présente.  Ne me demandez pas si proie signifie Présidence, Primature ou dans le pire des cas, portefeuille ministériel ou même député, la devise des animaux en question étant proche de celle du crocodile : « Ne glo eloa, elo la  ɖu bɔlu » (le crocodile se contenterait bien de crevettes pour calmer sa faim, à défaut d’une meilleure proie).

En sorte que, case, caisse, carton, tout compte fait, après avoir bien cherché ce qu’ils pourraient contenir, je n’y ai rien trouvé. Sauf peut-être des atuklui sonnants, comme nous en remplissions nos poches, des bouteilles….des cartons. Bon, alors, à quoi se raccrocher?

Je me souviens seulement que  la seule chose que ne voulait pas le pouvoir Gnassingbe, la seule boîte, s’il s’agissait également d’une boîte, qu’il abhorrait, qu’il combattait, en uniforme déguenillé ou galons d’or brillants, en tout cas mitraillettes braquées sur ses membres, ses ennemis pris en otages, bruits de bottes à l’intérieur et déflagrations tout autour de la boîte que l’on s’apprêtait à faire sauter, donc la seule boîte  dont il ne voulait pas du tout entendre parler, ce fut le Haut Conseil de la République (HCR) des années 90.

Qu’il n’y ait au Togo, rien qui sente la mauvaise odeur du HCR.  Mais le bon, doux parfum, bien agréable à Gnassingbé (c’est l’essentiel!) d’une assemblée dont il peut à volonté exclure certains députés «sans autre forme de procès» comme dirait La Fontaine, ou avec (malgré?) une forme de procès dont le système peut rejeter le verdict. Je ne veux pas dire qu’une juridiction qui prononce ce genre de sentence soit une juridiction de pure complaisance, comme d’autres institutions internationales auxquelles l’opposition togolaise recourt dans ses conflits avec le pouvoir Gnassingbé. Mais, quelle influence réelle exercent les institutions et les puissances étrangères sur le pouvoir Gnassingbé au Togo? Du reste, ce n’est pas aux institutions internationales qu’il faille imputer nos malheurs, mais à nous-mêmes, car cette assemblée est supposée être la nôtre et non celle des institutions extérieures.

Comment le pouvoir Gnassingbé la veut-il? Voilà la question à laquelle nous devons répondre avant de nous engager à quoi que ce soit. A la rigueur, il la voudrait comme celle qu’à   la même époque où nous jouions atuklui, même nous, les enfants, à l’exemple de nos parents , nous appelions «Assemblée Mouton», donc qui nous amusait. En sorte que, toujours dans la cour de récréation, nous  disions d’elle, nous amusant à ses dépens «Assemblée Mouton, oui! oui! Potome ne ɖokoewo! Oui! Oui!» (Gifles-toi toi-même. Oui!oui! ) Ce n’est pas que nous soyons jamais allés à une séance de cette auguste assemblée pour voir des êtres à quatre pattes couverts de poils et bêlant bèèh! bèèh!oui!oui!  en guise de débat! Mais c’était notre manière à nous de nous moquer de ceux qui ne pouvaient en aucun cas dire non à l’administration de l’époque, donc notre manière de faire de la désobéissance civile, bon enfant, si on veut. En effet,  nous supposions qu’au sein de l’assemblée dont il s’agissait,  composée  non de moutons, la corde au cou, bien entendu, mais de députés en complet-veston de  laine ou autre étoffe, cravatés, ceux qui constituaient la majorité seraient capables  de s’administrer des gifles, chacun, à soi-même, sur ordre, c’est-à dire de renoncer, non seulement au mandat supposé reçu du peuple, mais aussi à la simple dignité d’homme.

Une telle assemblée est la bien-venue au royaume des Gnassingbé. Ceux qui, dans leurs discours jurent d’aller y faire autre chose, bousculer les habitudes, voter des réformes…  savent bien qu’ils se livrent juste à une mauvaise blague. Autrement dit, conscients du jeu auquel ils sont conviés, ils répondent vaillamment (pas bêtement du tout donc ) : « Je veux des billets…pardon, des billes».

Évidemment, personne ne clame : «  Je veux le billot!».Eh, ne me dites pas que c’est tout comme.  Là, comme on dit, « gbegblea yi kɔ gbɔ », le jeu se rapproche de la région du cou. Le burlesque se mue en tragique. Et pourtant, n’est-ce pas ce que nous faisons souvent, supprimant dangereusement, sans y prendre garde, la frontière entre la plaisanterie et le sérieux, pour nous-mêmes et pour notre société? Pour aujourd’hui et peut-être aussi pour demain? En prendrons-nous conscience un jour? Alors viendra le vrai sursaut. Et la force du vrai changement.

Sénouvo Agbota ZINSOU

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