En majorité, des femmes étrangères entre 30 et 60 ans…
Premier constat des auteurs du rapport : le manque de données étayées et partagées sur la prostitution, du côté des prostituées comme des clients, est criant. Pour dresser un panorama de ce phénomène, les sénateurs Jean-Pierre Godefroy (PS) et Chantal Jouanno (UDI) ont donc compilé des études.
Combien de personnes se prostituent ? Le rapport estime qu’entre 20 000 et 40 000 personnes se prostituent en France. « Cette fourchette, que certaines associations jugent sous-estimée, correspond à celle utilisée par les services de police, en particulier par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) », précise-t-il. En 2001, l’OCRTEH évaluait entre 10 000 et 12 000 le nombre de personnes prostituées, dont 6 000 à 7 000 à Paris, indique aussi le rapport.
Quel est leur sexe ? Les personnes qui se prostituent sont des femmes, à environ 90%. A titre d’exemple, l’association toulousaine Grisélidis dénombre, pour la prostitution de rue, 89% de femmes, 8% de personnes transsexuelles et 3% d’hommes parmi les quelque 600 personnes rencontrées sur le terrain, dans un rapport d’activité publié en 2012, cité par Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno.
Quel âge ont-elles ? « L’exercice de la prostitution concerne des personnes de tous âges », résument les sénateurs. Ainsi, 36% de celles accueillies par Grisélidis en 2012 avaient moins de 30 ans, 59% étaient âgées de 30 à 60 ans et 5% avaient plus de 60 ans. « Ces données, qui concernent la prostitution de rue, ne sont pas nécessairement transposables à la prostitution dans son ensemble. Sur internet, la proportion d’hommes serait ainsi plus importante tandis que l’âge des personnes serait relativement moins élevé », précise le rapport.
Par ailleurs, la prostitution étudiante tendrait à se développer. Elle s’explique avant tout par la précarisation des conditions de vie des jeunes concernés, selon les sénateurs, qui ont auditionné les principales organisations étudiantes sur le sujet.
Lilian Mathieu, sociologue et auteur de La Condition prostituée (2007, éditions Textuel), relativise ces données. « Elles permettent seulement d’avoir une approche, pas une vision complète », juge-t-il. Par exemple, les sénateurs citent une étude réalisée par le conseil général de l’Essonne auprès des étudiants de deux universités. Parmi les personnes interrogées, 2,71% ont déclaré avoir déjà eu des relations sexuelles en échange d’argent, de biens ou de services. Or, seules les réponses de 843 personnes ont pu être exploitées, sur les 33 334 personnes contactées.
Quelle est leur nationalité ? « Au début des années 1990, 80% des personnes prostituées étaient françaises. Les bouleversements géopolitiques intervenus au cours de cette décennie, qu’il s’agisse de la dislocation de l’Union soviétique, des conflits dans les Balkans ou des crises politiques en Afrique, ont encouragé l’arrivée de personnes originaires de ces pays », affirme le rapport du Sénat. Et la tendance s’est inversée. Ainsi, 90% des personnes identifiées en France comme prostituées sont de nationalité étrangère. Selon l’OCRTEH, celles-ci sont pour l’essentiel originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine.
Lilian Mathieu constate aussi que les prostituées étrangères sont majoritaires depuis une quinzaine d’années. Mais il s’interroge sur les chiffres donnés par les sources policières. « Cette estimation reflète l’activité de la police, pas la réalité du phénomène, explique-t-il à francetv info. Il s’agit des femmes que les services de police ont repérées. Or la prostitution est une activité privée, qui n’est pas déclarée en France, et peut être informelle. Elle est donc difficile à définir, et son recensement impossible. »
… qui exercent dans des lieux très divers
Dans la rue. C’est la forme de prostitution la plus visible et la mieux connue. « Depuis la loi pour la sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 2003, elle tend à s’éloigner des grands centres urbains pour s’exercer dans des lieux périphériques, moins accessibles aux services de police mais également aux associations et par conséquent plus dangereux pour les personnes prostituées », indiquent les sénateurs dans leur rapport.
Dans des bars à hôtesses et des salons de massage. Une prostitution plus discrète se développe dans ce type d’établissements. Selon l’OCRTEH, 3 000 personnes exerçaient dans les bars à hôtesses et les salons de massage en 2001. En 2009, l’Office dénombrait 611 établissements susceptibles d’abriter une activité prostitutionnelle. A Paris, une équipe de la brigade de répression du proxénétisme (BRP) est dédiée à la surveillance de ces lieux.
A domicile ou à l’hôtel. L’exercice de la prostitution chez un particulier après une prise de contact sur internet est en augmentation. La mission menée en 2011 par les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy sur la prostitution en France chiffrait à environ 10 000 le nombre d’annonces publiées sur internet, dont plus de la moitié était le fait de réseaux de prostitution. « L’escorting, qui consiste parfois à proposer au client un accompagnement allant au-delà du service sexuel, trouve avec internet un terrain propice à son développement », estiment les sénateurs.
Selon Lilian Mathieu, l’évolution de la prostitution chez un particulier après une prise de contact sur internet est aussi difficile à quantifier. « Internet et le téléphone facilitent la prise de rendez-vous et permettent d’aller dans un endroit caché de la police. Il est donc logique que ces moyens de communication soient davantage prisés, estime-t-il. Surtout depuis que les prostituées sont chassées de la ville. Les parlementaires oublient parfois que la prostitution est souvent le seul moyen de survivre lorsque sévit la chasse à ‘l’étranger’ et que le marché du travail (a fortiori pour les femmes) est sinistré. »
De fait, certaines personnes ont choisi la prostitution comme profession. Par exemple, Karen, prostituée parce qu’elle l’a « choisi », explique sur Rue89 : « Ma motivation est, comme beaucoup, d’abord pécuniaire. Mais j’ai aussi le choix des horaires, je suis mon propre patron. J’ai fait ce choix au moment de mon divorce : j’avais une fille à élever (…). Après une journée de travail, si cette journée a été bonne, je suis satisfaite de pouvoir régler mes factures, et me faire plaisir de temps en temps. » Difficile d’estimer l’ampleur de cette prostitution choisie. Les sénateurs, eux, ont fait le choix de ne pas mentionner cette autre réalité, et ce quelle que soit son importance.
Violaine Jaussent