Allemagne : Procès aux présumés meurtriers d’un africain brûlé vif à Dassau

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J’ai assisté pour la seconde fois au procès intenté à deux policiers allemands suspectés  d’avoir provoqué la mort d’un Guinéen brûlé dans une cellule de police à Dassau. Ce procès en appel, après celui où avait était prononcé l’acquittement des prévenus en 2007, est prévu jusqu’en janvier 2012.

 À la séance du jeudi 22 septembre, un seul des prévenus, nommé Schubert, était dans la salle. La séance était surtout consacrée à la projection d’une vidéo sur la reconstitution des faits, par un expert chimiste en matière d’incendie qui a affirmé travailler pour les tribunaux dans ce domaine depuis quarante ans. Cette vidéo qui utilisait, cela va de soi, un mannequin pour représenter ( au sens théâtral du terme ) la victime, présentait peut-être un certain intérêt ( on voyait l’intérieur de la cellule située dans la cave du poste de police, les murs couverts de carreaux blancs comme dans les toilettes, les barreaux, un matelas semblable à celui sur lequel Oury Jalloh était attaché, pieds et poings en fer, les acteurs de la reconstitution avaient allumé un vrai feu à l’aide d’un briquet et naturellement il s’en était dégagé une fumée noire envahissant la cellule ), mais, non seulement le mannequin n’a pas pris feu, alors que le corps de la victime brûlé vif était, quand il avait été découvert tel qu’il était après le drame et tel que les policiers s’étaient empressés de l’envoyer dans un cercueil à ses parents en Guinée, sans une autopsie préalable, consumé, réduit au tiers de sa taille réelle. Et, évidemment on ne pouvait pas voir le mannequin crier devant la menace de la mort, gesticuler, souffrir. Les bruitages n’étaient pas ceux du crépitement du corps humain, ni ceux de son explosion…

Un de mes voisins dans la salle, représentant d’une organisation de défense des Droits de l’Homme, Rheinhardt Strecker, me disait à l’oreille que la mort, dans de telles circonstances survenait dans un intervalle de 45 secondes à 2 minutes. Un des avocats de Oury Jalloh, avec qui j’ai brièvement causé pendant la première pause me disait que l’expert racontait n’importe quoi. Je n’ai aucune compétence pour juger le travail d’un expert chimiste. C’est donc en profane que j’ai simplement répondu à l’avocat que la reconstitution des faits ne me semblait pouvoir que très partiellement rendre compte du fait, surtout lorsqu’on ne peut utiliser qu’un mannequin à la place d’un être de chair et de sang.

J’aurais pu ajouter, en tant qu’homme de théâtre, que pour les besoins de la représentation, nous utilisons le même procédé, nous servant d’accessoires de jeu, des marionnettes ou simplement en jouant avec l’imaginaire sans le truchement d’un objet matériel, mais avec cette différence de taille : au théâtre, pure convention, acteurs et spectateurs sont conscients qu’il s’agit d’un jeu n’engageant pas la vie d’un homme. Et il était de cet avis. En fait, la thèse des policiers était que Oury Jalloh, les mains et les pieds en fer, comme je l’ai dit, avait pu tirer de sa poche un briquet et aurait allumé lui-même le feu. Faut-il rappeler qu’une première investigation avait eu lieu qui n’avait pas permis de remarquer quelque trace que ce fût d’un briquet, même en éclats dans la cellule, que par contre on y avait décelé la présence de carburant, qu’un briquet avait été découvert seulement à une seconde investigation, comme par miracle. On dit qu’à la première reconstitution, un homme avait joué le rôle de Oury Jalloh, pour voir si entravé comme il l’était, il pouvait sortir le briquet de sa poche, sans allumer le feu, bien sûr. Toujours en profane, je me demande si un prestidigitateur, même amateur ne serait pas en mesure de réaliser un tour pareil. À moins que Oury Jalloh ait été lui-même un habile prestidigitateur pour sortir un briquet de sa poche, les mains dans des entraves.

 Il aurait même fallu que le jeune Guinéen fût magicien ou sorcier pour dissimuler le briquet aux policiers lors de la fouille règlementaire en vigueur dans tous les lieux de garde-à-vue ou de détention avant d’être introduit dans la cellule. On peut admettre que les crépitements et les explosions que le bruitage de la reconstitution a su bien nous rendre présents ( nous sommes dans l’art de la re-présentation ), ainsi que la sonnerie de l’alarme feu automatique déclenché n’aient pas été entendus, mais nous avons du mal à croire que l’odeur de brûlé de la chair humaine, la chaleur et la fumée qui devaient déborder la cellule, même si elle était fermée n’aient atteint aucun être humain dans le voisinage, jusqu’à ce que les deux tiers du corps de la victime fussent consumés. Enfin, laissons la justice faire son travail et en profane, ne préjugeons de rien.

Mais ce qui m’a intéressé dans cette salle rectangulaire et haute du tribunal de Magdebourg aux murs blancs et austères, c’était d’observer le plus minutieusement possible le prévenu Schubert. Il comparaissait en homme libre. Assis à une table semblable à toutes les autres disposées en fer à cheval dans la salle, au premier rang de la partie réservée à la défense et à l’expertise ( deux médecins, un chimiste expert en incendie ), il semblait, de loin, un homme tranquille. Mais à l’observation, c’était un homme qui bougeait énormément et pour le suivre dans ses mouvements, il fallait avoir une camera et le filmer, ce qui, bien sûr est interdit ( l’une des conditions d’entrée dans la salle d’audience était de déposer appareil et téléphone portable à la porte, après la fouille réglementaire ). J’ai d’abord voulu noter le nombre de fois que le même geste revenait, mais j’y ai renoncé. Les changements étaient trop rapides et brusques; par exemple le geste qui consistait à se balayer le visage du plat de la main était répété 33 fois.
Donc, Schubert  assis, bougeait beaucoup, des parties du corps que l’on pouvait voir. Tête rectangulaire, cheveux blond beurre coupés court et taillés en brosse,  nez droit, yeux légèrement étirés qui pouvaient être vifs à certains moments, mais restaient la plupart du temps mi-clos, oreilles aux lobes larges et décollées, menton plutôt obtus, glabre…L’homme est un peu bedonnant mais pas épais. Il portait sur un jean, une chemise bleue sous une veste sombre. Ainsi habillé et assis, il ne se distinguait presque pas de ses avocats en noir( est-ce exprès? ), sauf qu’il ne portait pas de cravate. C’est seulement quand il s’était mis debout pour la première pause, les mains dans les poches, que l’on voyait nettement la différence dans son habillement et celui des avocats : sa veste, assez longue, mais logiquement plus courte que la robe des hommes de loi.
Schubert bougeait  du torse, des bras, des mains, des doigts… de la tête, du visage, de la bouche, des lèvres, des yeux…Ma position ne me permettait pas de voir ses pieds, au-dessous de la cuisse. Il bougeait des doigts ensemble balayant le visage, soutenant le front, ou écartés, le pouce appuyé sur les commissures des lèvres ou contre les tempes, les joues, l’index passant sur les lèvres et les caressant, dessinant le front à la naissance des cheveux, grattant le nez, les oreilles, les paupières, les arcades sourcilières… les doigts des deux mains croisés les uns dans les autres, posés sur sa bedaine ou réunis sous le menton …Il bougeait des bras qui se croisaient et se décroisaient, reposaient sur ses cuisses, se serraient au niveau de la poitrine comme un homme qui a froid ou une femme cachant ses seins…

Il bougeait de la tête, donnant parfois l’impression de vouloir la faire basculer, retomber sur la table ou sur ses épaules, fuyant dans ses épaules, la tête qui, sans raison, se penchait à droite, à gauche, vers le bas comme s’il regardait quelque chose au sol, puis il ramenait son regard devant lui, sur sa table. Schubert bougeait du torse et à ces moments, on aurait dit qu’il se cachait, en retrait, derrière celui de son premier avocat, beaucoup plus épais au visage rond. Schubert bougeait de épaules, comme s’il eût voulu ouvrir sa poitrine pour y faire entrer sa tête, ses mains. Schubert bougeait de sa bouche mince qu’il retroussait, suçait. Ses yeux semblaient généralement dans le vague, car il ne regardait personne, ne voyait rien avec intérêt, sauf à deux ou trois moments: quand l’avocat de Oury Jalloh posait une question à l’expert en incendie, au moment où, dans la vidéo de la reconstitution, l’un des „ acteurs“ allumait le feu à l’aide d’un briquet. Les échanges entre Schubert et son avocat assis à côté étaient rares et brefs : deux, en trois heures, entre 9 heures et 12 heures. L’avocat ne regardait pas son client, ses yeux fixés plutôt sur ses collèges de la défense assis en face.

Mais, revenons aux mains et aux doigts de Schubert, plus importants peut-être que les autres parties de son corps: ses fétiches, si j’ose ainsi parler, c’étaient un carnet de notes à page blanche ouverte et un stylo, tantôt posé sur le carnet, tantôt à côté, tantôt serré entre ses doigts, tantôt utilisé pour pianoter sur le carnet en question ou sur la table. Deux fois seulement, Schubert avait très brièvement pris des notes lors de l’exposé de l’expert. Les mains et les doigts de Schubert étaient partout où ils pouvaient être, dans sa condition: visage comme s’il le cachait ou en effaçait quelque chose, une tache, en chassait un insecte qui le taquinait, en son milieu, dans sa partie gauche, dans sa partie droite, au front, au menton. Ils le grattaient, le pressaient, le tapotaient, le piquaient…Ils tournaient et retournaient le carnet dans tous les sens, y posaient le stylo verticalement, parallèlement, en diagonale… dessinant ainsi différentes figures géométriques, faisant briller les bagues dorées de l’objet.

En matière de brillance et de bague, un autre élément avait attiré mon attention, qui racontait en partie l’histoire de Schubert : son alliance au doigt. Schubert était un homme marié, qui avait des enfants, un foyer…Alliance qui brille, lumière sur un des doigts qui auraient peut-être commis l’un des actes les ténébreux du monde. Non, je ne veux pas le croire!

Laissons la justice faire son travail. Mais, à supposer que Schubert eût sorti un jour le briquet de sa poche ou de n’importe où, comme le soutiennent les amis de Oury  Jalloh, fait les gestes de doigts pour frotter ce briquet et allumer le feu dans la cellule, sous quelque prétexte que ce fût, animé par n’importe quel sentiment ( colère, haine ou amusement, curiosité..) que raconterait-il ensuite à sa femme et à ses enfants en rentrant à la maison?

Et ce matin du 22 septembre 2011, en se rasant, en se lavant, en se peignant, en s’habillant, et en prenant son petit-déjeuner, utilisant ces mêmes mains et ces mêmes doigts, que penserait-il, que dirait-il autour de lui?

Et les mouvements, très vite enchaînés des différentes parties du corps de Schubert que je viens de décrire ( à peine ai-je eu le temps de noter un mouvement qu’il amorçait le suivant), que signifiaient-il? Schubert n’a pas dit un seul mot au cours de la séance, puisqu’il n’était pas interrogé. Dans ses brefs échanges avec son avocat, ses lèvres remuaient à peine, contrairement à ce que l’on constatait quand il était aux prises avec lui-même, dans sa dramaturgie intérieure, comme en ont tous les humains, surtout à des moments comme celui que nous vivions, celui qu’il vivait ( peut-on dire, la dramaturgie des êtres, anges ou monstres de son univers intérieur?). Le corps de Schubert parlait-il pour ceux qui pouvaient l’entendre? Que disait-il? Qu’il était un homme habitué à bouger et donc s’ennuyait de devoir s’asseoir et rester tranquille pendant son procès? Ou que c’était un homme qui, dans la situation où il se trouvait, était intérieurement agité, dérangé, peut-être tourmenté…Que ses mains et ses doigts le tourmentaient? Que lorsqu’il laissait choir sa tête à gauche, à droite ou devant lui ( comme sur le billot, attendant l’instant ultime de l’exécution ), il exprimait là un besoin humain de démissionner, de s’abandonner à je ne sais quel sort? Je pense au mot mina pour traduire démissionner : a na ta ( donner sa tête ). Qui est Schubert, l’homme qui bouge ( c’est une constatation, pas un jugement ) : un innocent qui s’ennuie à un procès qu’il ne mérite pas, qu’il ne comprend même pas? Un coupable à qui ses doigts, ses mains, sa tête, tout son corps pèsent? Qu’un feu intérieur dévore sans cesse? Avant l’acte ( au cas où il l’aurait commis ), est-ce ce même feu perpétuel qu’il tentait de calmer en allumant, ô paradoxe, l’incendie meurtrier? Un humain avec ses faiblesses, capable de craquer, de dire : je ne peux plus supporter ce poids? J’avoue qu’à un moment donné, le visage de Schubert m’était apparu comme celui de Hitler. Cependant, les différences physiques sont grandes et surtout, il n’a pas la petite moustache. Là, c’est moi qui reconnais m’être laissé égarer par un préjugé et devoir me ressaisir : rien ne permet d’assimiler Schubert à Hitler ou  à n’importe quel néo-nazi, comme le font les amis de Oury Jalloh en colère. Laissons la justice poursuivre son travail.

Pendant la pause-déjeuner, nous nous étions retrouvés, la cour, les avocats des deux parties ( sans robe, donc sans rôles ), experts et nous observateurs, à la cantine : j’ai cherché Schubert pour le voir de plus près, en vain. Est-ce la règle, la consigne?

En sortant du tribunal, pour me rendre à la gare, je passe près de la cathédrale de Magdebourg. Celle-ci revêt pour moi une signification particulière. En effet,  d’après mes lectures, y trône la statue d’un saint d’origine africaine, Saint Maurice, très vénéré dans la région depuis le Moyen Age. Maurice ( le nom tire son origine du peuple nord africain maure ; en Allemagne les Maures, Mohren, sont assimilés aux Noirs ), officier noir de l’armée romaine,  s’était converti au christianisme. Wikipedia nous dit à son propos : « Saint Maurice était officier de l’armée romaine. A cette époque, l’empereur Maximien avait décidé d’exterminer tous les chrétiens.

 Dans ce but, il envoya la légion de Maurice en Suisse.

Arrivés à pied d’œuvre, les six mille hommes, tous chrétiens, refusèrent d’obéir.
L’empereur les fit massacrer jusqu’au dernier.

Cette histoire s’est passée en 290. A cet endroit, un monastère fut érigé qui donna naissance à la ville de Saint Maurice, en Suisse »

Il était donc est mort, martyr, de même que tous les membres de sa légion. À supposer que l’histoire de Saint Maurice relève de la Légende dorée, ne sommes-nous pas en train de vivre aujourd’hui, des histoires qui serviront demain à écrire la Légende dorée de notre siècle, à des fins apologétiques d’une religion déjà existante ou à inventer, en tout cas, d’une religion célébrant les valeurs humaines universelles, sans distinction de race, d’origine…?
Je dois faire encore une confession. Je ne suis pas exempt des préjugés comme presque tout le monde. En venant à Magdebourg, dans le train, je réfléchissais à l’article que je pourrais écrire après avoir assisté au procès. Je me disais : si des hommes ont eu le cynisme d’allumer le feu pour brûler vif un autre homme, ne pourrait-on pas penser d’eux qu’ils se mettaient en dehors de la société des hommes? Et, qu’appelle-t-on monstre? En réalité, j’avais commencé cette réflexion sur la définition du monstre depuis le massacre fou  perpétré le 22 juillet 2011 par Breivik en Norvège contre 69 de ses propres concitoyens, par haine des autres, en particulier des musulmans. Je me demande si, parlant d’un homme capable d’un tel acte, il fallait écrire « monstre » ( entre guillemets ) ou simplement monstre, sans guillemets. Mon article après le procès s’intitulerait donc «  Monstre » ou monstre? J’allais encore plus loin : un monstre est un être sans nom, n’appartenant à aucune espèce existante, puisque personne n’a jamais vu un monstre. Ni homme, ni animal, ni végétal, ni minéral. Comme souvent, en de pareils cas, pour retrouver une certaine profondeur dans ma pensée, je recours à la langue que j’ai parlée la première, dans laquelle j’ai fait mon apprentissage d’être pensant, d’homme, langue dans laquelle j’ai fait mes premiers balbutiements, mes premières bribes de réflexion, le mina. Dans cette langue, monstre se dit nukpekpe, littéralement la chose qu’on rencontre, c’est-à-dire, en fait, ce qu’il n’est pas souhaitable de rencontrer, ni à la maison, ni sur le chemin, ni dans la brousse, ni le jour, ni la nuit, ni à midi à cause de sa laideur, physique ou morale, à cause de l’horreur et de la répugnance qu’il inspire, la panique qu’il provoque, le danger de mort qu’il représente.

 Quand j’étais petit, je modelais dans l’argile certains de ces êtres ou choses difformes qui peuplaient les contes d’horreur et mes cauchemars d’enfant, êtres ou choses à plusieurs têtes, unijambistes ou à plusieurs membres,  pourvus de mains énormes dont un seul doigt peut écraser un homme, dotés d’un seul œil ou possédant une multitude d’yeux, étonnement petits ou extraordinairement grands par rapport à l’homme, généralement malveillants à l’égard des hommes, détenteurs de puissance mais pas très intelligents, méchants et bêtes comme on dit, leurs jeux favoris consistant à détruire les humains, à les perdre ou à les priver de leur liberté dont ils sont très jaloux. Mon arrière-grand-mère, élevée dans l’épouvante de ces êtres ou choses ( certains diront superstitions ) dont l’évocation donnait le frisson, les détruisait, me battait et m’interdisait formellement  de réaliser dans la maison des figurines de ces démons, pouvant apparaître sous une beauté trompeuse, mais par essence horriblement laids, busu ahovi kamasa (malheurs dont aucun sacrifice ne peut préserver les hommes, une fois qu’ils sont révélés ), ces zãbibi ( mot qui donnera peut-être zombi dans les religions noires des Caraïbes), horreurs de la nuit.

Dans les gares, la vue des poubelles posées çà et là me donna cette idée : pour le tri des ordures, la poubelle comprend des parties réservées aux papiers, aux verres, aux emballages puis, au reste qui n’est pas défini, Restmüll en allemand, waste en anglais et déchets en français. Déchet déchu de la nature humaine, perdu pour lui-même, pour sa famille, pour son pays, pour l’humanité. Ainsi, un déchet qui n’est même pas un animal, pas un végétal, pas un minéral est un être né ou une chose qui existe pour rien, qui aura existé pour rien : les soins, l’éducation, la nourriture, l’affection pour en faire un homme…l’uniforme pour un faire un policier…tout ce qu’on qu’on lui donné, n’a servi à rien ( si, bien sûr, c’est lui qui a tué son prochain de cette façon atroce et inhumaine ). Déchet, échec,   si toutefois c’est lui qui a commis le crime . Toujours en mina, on dirait d’un tel ( objet ou être ?) : e da ( il a manqué, il a basculé, il a rompu un équilibre, il est raté ) ou encore e da le se dji ( Se, c’est la loi, mais c’est aussi l’âme, le destin et parfois la divinité créatrice qui l’a envoyé dans ce monde pour réaliser une œuvre humaine…) : il a basculé dans l’inhumain, il a manqué à la loi humaine, il a raté son destin d’homme, il a perdu son âme. Jésus interrogeait ainsi un jour son auditoire «  Et, que sert-il à un homme de gagner tout un monde, s’il venait à perdre son âme? Que donnerait un homme en échange de son âme ». Ce ne serait ni un « monstre » ( avec guillemets ),ni un monstre, sans guillemets. Ce serait le néant personnifié. Et maintenant après avoir vu Schubert au procès, je me remets moi-même en cause : ne m’étais-je pas simplement laissé aller à des préjugés? Le néant n’as de nom. Or, Schubert en a un: Schubert. Le néant ne bouge pas. Or, Schubert bouge et même, il bouge sans cesse.

Il m’est revenu à la pensée, une réflexion du juge Steinhof qui, en première instance, avait prononcé l’acquittement de Schubert et de son collègue, puisqu’ils étaient deux coaccusés: «  L’Allemagne n’est pas une république bananière pour que des policiers y brûlent vifs des hommes ». Je crois maintenant avoir compris ce juge. Laissant de côté les institutions démocratiques de la République Fédérale d’Allemagne, la religion chrétienne des Allemands,les grands philosophes allemands, la littérature allemande, les grandes découvertes de savants allemands, les beaux arts allemands, la musique allemande… je ne prendrai que l’alliance que porte Schubert au doigt et qui scintillait quand il bougeait incessamment : les instituons sociales et morales, les valeurs allemandes se trouvent contenues dans ce symbole. Et la justice est faite pour défendre ces institutions. «  La justice élève une nation », dit le livre des Proverbes . Que fait alors une fausse justice? Elle peut aussi élever la nation, mais faussement. Je m’interroge : et si la sentence prononcée en première instance, celle du juge Steinhof qui clame que l’Allemagne n’est pas une république bananière, si cette sentence n’élevait la nation que pour les apparences, ne la protégeait au fond que faussement? Oui, l’État policé était là : les juges, le procureur, les avocats, les experts dans les différents domaines requis, les observateurs nationaux et internationaux, les organisations de défense des Droits de l’Homme. Moi-même, ma présence à ce procès en qualité d’observateur international, je la dois à l’existence l’État policé. Mais, si tout cela était fait juste pour sauver les apparences? Je n’ose pas parler de comédie. Qu’est-ce qui est pire : reconnaître qu’un homme a été brûlé vif par d’autres hommes ( si on est convaincu qu’ils ont commis ce crime ) et élever ainsi réellement la nation, ou protéger des criminels et condamner par cet acte la nation, ses valeurs, sa civilisation à l’autodafé?

Schubert bouge encore. Je me permets ce tour tautologique : un homme qui bouge est un homme vivant. Mais, pendant combien de temps bougera-t-il encore? Jusqu’en janvier 2012? Bougera-t-il comme un homme vivant, normal ou comme un homme que dévore un feu intérieur? Tout dépend : s’il est faussement acquitté, il ne bougera peut-être plus, mais alors, il deviendra réellement le néant. Mais si la vérité éclate quelle qu’elle soit et  que tout le monde l’accepte, quelle qu’elle soit ( répétons-le ), ce ne sera pas seulement Schubert qui sera sauvé pour la société humaine ( même reconnu coupable et conduit en prison ), mais aussi c’est aussi la nation allemande qui sera élevée. L’Humanité qui sortira du tribunal grandie.

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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