Présidentielle 2020: Alassane Ouattara n’est pas éligible [ Par REDI MOKI, Avocat international]

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Le Conseil constitutionnel ivoirien, conformément à l’article 127 de la constitution, statuera sous peu sur l’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, et publiera la liste définitive de ceux qui seront retenus. Mais les juristes attitrés du RHDP prédisent déjà l’éligibilité de leur candidat, ADO, là où l’opposition estime que cette candidature est irrecevable.

Contrairement à ces arguties, la candidature du président Alassane OUATTARA tombe sous le coup de l’article 55 alinéa 1er de la constitution de 2016, qui interdit une 3è candidature à l’élection présidentielle , et plus exactement l’article 181 de ladite constitution qui consacre le principe de la continuité institutionnelle .

De la nouvelle constitution et de la nouvelle République

Les juristes du RHDP prétendent que la Loi N°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire , modifiée par la Loi Constitutionnelle N°2020-348 du 19 mars 2020 , aurait institué une nouvelle République . Ainsi, prétextent-ils , que les élections présidentielles du 31 octobre 2020 seraient la 1ère organisée sous la 3è République ; que le président ADO ne serait pas concerné par l’article 55 alinéa 1er de la constitution qui dispose que « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. ».

Pour apprécier les mérites argumentaires des juristes du RHDP, nous examineront d’abord si, au regard de la science juridique , il y a un lien entre une nouvelle constitution et une nouvelle République. En d’autres termes, si la constitution de 2016 a pu créer une 3è République. Et , ensuite, déterminer quelle est la nature juridique réelle de la Loi N°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire , modifiée par la Loi Constitutionnelle N°2020-348 du 19 mars 2020 , pour s’avoir s’il s’agit en réalité d’ une révision constitutionnelle ou d’une constitution autonome .

En effet, affirmer que la promulgation de la Constitution de 2016 équivaut a créé la 3è République, c’est confondre « Constitution » et « République », alors que ces deux notions traduisent des réalités juridiques différentes. La Constitution est un texte fondamental organisant les pouvoirs publics de l’État, et consacrant les libertés publiques. La République est quant à elle un régime politique que l’État organisé par une Constitution est appelé à mettre en œuvre, sur la base de spécificités permettant de l’opposer au régime monarchique par exemple [6]

À y regarder de plus près cependant, il existe bien une différence de niveaux entre République et Constitution, la première englobant le cas échéant la seconde. Ainsi, le changement de République correspond à un changement de régime, alors que l’écriture d’une nouvelle Constitution peut se faire à l’intérieur de celui-ci.

Ainsi, le changement de constitution ne donne pas naissance à une nouvelle République,

D’ailleurs, il faut s’interroger sur la nature de cette constitution.

Faut-il vraiment considérer la constitution de 2016 comme une Constitution autonome et distincte de la constitution de 2000 ? La question elle-même semble hérétique à raison de la procédure législative empruntée pour l’adoption et la promulgation de la Loi N°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire suscite l’intérêt de cette interrogation.

En effet, c’est la procédure de révision constitutionnelle des articles 124,125 et 126 de la constitution du 23 juillet 2000 qui a été utilisée pour l’adoption par voie référendaire de la Loi N°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire suscite l’intérêt de cette interrogation. La régularité des opérations référendaires a été contrôlée par le conseil constitutionnel , conformément à l’article 94 alinéa 1er de la constitution de 2000 , et la promulgation a été faite par le président de la République , conformément aux stipulations de la constitution du 23 juillet 2000..

Ainsi , la Loi N°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire , a été adoptée suivant les contraintes de forme et de fond de la constitution du 23 juillet 2000 . Il ne s’agit donc pas d’un pouvoir constituant originaire , mais bien comme un simple constituant dérivé devant respecter certaines conditions pour exercer légitimement sa compétence.

Au surplus, les changements opérés par cette « révision » constitutionnelle, appelée à tort nouvelle constitution de 2016, ne sont pas si importants. La souveraineté reste nationale et appartient toujours au Peuple ivoirien, les institutions majeures sont conservées avec un Président de la République élu, un Gouvernement nommé par lui et responsable devant lui, , un Conseil supérieur de la magistrature conservé, les techniques de rationalisation parlementaire se sont améliorées, par la création du Sénat , et la limitation du mandat présidentiel .

En définitive , l’argument selon lequel la constitution 2016 aurait institué une 3è République , n’est pas pertinent pour soustraire le candidat ADO de la limitation du mandat présidentiel prévu par l’article 55 alinéa 1er de la constitution . Cette impossibilité de briguer un 3è mandat consécutif, est soutenue par l’article 181 de la constitution de 2016.

De la continuité institutionnelle (Article 181 de la constitution)

L’article 181 de la constitution de 2016 dispose que « Jusqu’à la mise en place des nouvelles Institutions, les Institutions établies continuent d’exercer leurs fonctions et attributions conformément aux lois et règlements en vigueur. .». Ces dispositions maintiennent le 2è mandat du président de la République en fonction, au moment de l’entrée en vigueur de la constitution de 2016, dont le mandat présidentiel, tant dans son statut que dans ses attributions, est régi par la nouvelle constitution de 2016. C’est la consécration du principe de la continuité institutionnelle, dont l’objectif est d’assurer la continuité de l’Etat.

En effet, le principe de la continuité institutionnelle a été consacré en tant que tel par la Cour de justice des Communautés européennes, dans l’arrêt Klomp de 1969, pour assurer en cas de changement de législation, la continuité des structures juridiques de la Communauté.

Ainsi compris, la continuité du service public serait une émanation concrète de ce principe. Il s’avère particulièrement utile et nécessaire , lorsqu’une modification de l’architecture au sein d’un système juridique n’est pas accompagnée de mesures transitoires suffisantes. Son objectif est la nécessité de préserver l’’intérêt public péremptoire en préservant la continuité de l’Etat.

La Cour de justice de l’Union européenne, en réaffirmant le principe de continuité des structures juridiques confirme son rôle de garant de l’équilibre de l’ordre juridique de l’Union européenne. Grâce à la Cour de justice, la discontinuité formelle du droit de l’Union n’a pas entraîné de discontinuité matérielle de ce dernier.

Ainsi , avec la consécration du principe de la continuité institutionnelle par le constituant ivoirien, au travers de l’article 181 de la constitution, la question est de savoir si les dispositions de l’article 55 alinéa 1er de la constitution s’applique automatiquement au président en exercice en fonction , qui est candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020.

Effet, pour rappel, l’article 55 alinéa 1er dispose que le président de la République n’est rééligible qu’une seule fois. Ce qui interdit de prétendre à un 3 è mandat.

En premier lieu, il convient de rappeler que les dispositions de l’article 55 alinéa 1er de la constitution de 2016 sont la reprise de l’article 35 alinéa 1er de la constitution du 23 juillet 2000 qui dispose que « Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. ». Ces deux dispositions constitutionnelles poursuivent un même objectif, qui est la limitation du mandat présidentiel. . Ainsi, au moment de l’abrogation de la constitution de la constitution du 23 juillet 2000, le champ d’application qui lui était anciennement dévolu a été automatiquement transféré sous le régime de l’article 55 alinéa 1er de la constitution de 2016. Il serait donc contraire aux objectifs , ainsi qu’à la cohérence des deux constitutions (2000 et 2016) et inconciliable avec la continuité de l’ordre juridique de l’ Etat , prôné par l’article 183 de la nouvelle constitution de 2016 , que la Conseil constitutionnel ne puisse assurer l’application uniforme des normes qui se rattachaient à l’article 25 alinéa 1er de la constitution du 23 juillet 2000 et qui continuent de produire des effets même après son abrogation .

En outre, ces dispositions inscrites dans l’article 35 alinéa 1er de la constitution de 2000 avaient pour objectif d’empêcher un 3è mandat présidentiel consécutif. Cet objectif, maintenu sous l’empire de la constitution de 2016, en son article 55 alinéa 1er, doit être interprété de manière similaire par le Conseil constitutionnel. Il s’agit en l’espèce d’une volonté de maintenir le caractère républicain de l’Etat et de préserver l’ordre démocratique.

Si la constitution du 23 juillet 2000 a été abrogée, cela n’a en aucun cas remis en cause l’existence de l’ordre juridique de l’Etat et sa continuité. Ainsi, les structures juridiques soutenant et composant cet ordre juridique participent de cette continuité ainsi qu’à la cohérence du système. Dans cette optique, l’invocation du principe de continuité des structures juridiques se justifie également par la volonté de respecter les exigences liées aux principes de sécurité juridique et de protection de la forme républicaine de l’Etat , et du principe de l’égalité du suffrage..

Ainsi, la Conseil constitutionnel est tenue d’assurer le strict respect des droits et des obligations qui s’impose à l’Etat de Côte d’ivoire , découlant du bloc de constitutionnalité , à savoir le principe de l’égalité de tous devant la loi , dont le corolaire est l’égale accès aux fonctions publiques électives , et le respect de la forme Républicaine du Gouvernement .

En effet, le Conseil constitutionnel a une mission. Il interprète le bloc de constitutionnalité, mais il doit le faire en suivant certains critères abstraits. Il doit être l’interprète de ses convictions, la conscience même de la communauté dont il provient. Il n’est pas fait ici allusion à sa réactivité aux faits et évolutions sociaux mais à quelque chose de plus profond où l’aspect technique est diminué. Il est tenu de dépasser le schéma politique classique du parti au pouvoir, il doit se référer à quelque chose de “préexistant et unanimement commun et permanent, rejoignant ici l’idée traditionnelle du principe général de droit que le juge découvre. Comme l’affirmait Ronald Dworkin « le principe est “un standard qu’il faut appliquer, non pas parce qu’il assurera la survenue ou la protection d’une situation économique, politique ou sociale jugée désirable, mais parce qu’il a une existence dictée par la justice, l’équité ou quelque autre dimension de la morale ».

Pour clore mon intervention, il est erroné de croire que l’adoption et l’entrée en vigueur de la constitution du 08 novembre 2016 a pu créer une nouvelle République, mettant ‘les compteurs à zéro’, et permettant au président Alassane OUATTARA de briguer un 3è mandat. Car, son maintien en fonction, par suite de l’article 181 de la constitution de 2016, le soumet aux critères d’éligibilité de l’article 55 alinéa 1er, laquelle prend en compte la durée de sa fonction présidentielle entamée sous l’empire de la constitution de 2000, en application du principe de continuité institutionnelle.

Fait à Paris, le Jeudi 10 Septembre 2020

REDI MOKI
Avocat international

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