Le président Vladimir Poutine a signé le 26 décembre une nouvelle doctrine militaire pour les forces armées russes. Le document considère l’expansion de l’OTAN et les efforts entrepris pour déstabiliser la Russie et les pays avoisinants comme les menaces les plus graves pour sa sécurité.
Comme contre-mesures, le document préconise une accélération du développement de l’armée russe, une militarisation accrue de toute la société et le développement de la coopération militaire avec les autres pays du BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud) et d’autres Etats d’Amérique latine.
La nouvelle doctrine militaire est la réponse à l’encerclement délibéré de la Russie par l’OTAN et à la guerre économique que l’UE et les Etats-Unis livrent à ce pays. Depuis le début de la crise en Ukraine, délibérément provoquée par l’Allemagne et les Etats-Unis dans le but d’accroître la pression sur la Russie et d’initier un nouveau partage de type colonial de l’ancienne Union soviétique, les tensions géopolitiques entre la Russie et les puissances de l’OTAN n’ont cessé de s’intensifier.
Le parlement ukrainien a voté, au début de la semaine dernière, en faveur de démarches pour adhérer à l’OTAN, renonçant officiellement au statut de pays non-aligné – une provocation ouverte à l’égard de la Russie. A la suite de quoi, le vice-ministre russe de la Défense, Anatoly Antonov, a averti que si l’Ukraine rejoignait l’OTAN, la Russie pourrait rompre toutes ses relations avec l’alliance militaire.
La nouvelle doctrine militaire a été développée par de hauts gradés et des responsables des services de renseignement sous la conduite de Nikolai Patrushev. Entre 1999 et 2008, Patrushev a été directeur du Service fédéral de sécurité de la Fédération russe (FSB). Depuis 2008, il est secrétaire du Conseil de sécurité national. Le président Poutine a signé le document en qualité de commandant suprême des forces armées russes. D’anciens généraux et officiers ont fait l’éloge de la réévaluation de la sécurité nationale dans les grands organes de presse russes.
Selon le site web du Conseil de sécurité national, la nouvelle stratégie prend en considération « le changement de nature des dangers et des menaces militaires. » Ces menaces ont été démontrées par « la situation en Ukraine » et par « les événements survenus en Afrique du Nord, en Syrie, en Irak et en Afghanistan. »
La direction russe a réagi à la pression grandissante de l’OTAN par un mélange de menaces et d’offres de coopération. Les nouvelles directives militaires ont un ton nettement plus tranchant que la doctrine précédente de 2010, tout en soulignant leur caractère défensif. L’intervention militaire ne devrait être envisagée explicitement qu’après que tous les moyens non militaires aient été mis en œuvre. Le document insiste à plusieurs reprises sur l’importance de l’ONU et souligne la volonté de la Russie de coopérer avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
En même temps, la Russie se réserve le droit d’une frappe nucléaire préemptive en cas de danger imminent – émanant soit de l’arme nucléaire soit d’armes conventionnelles – pour l’existence de l’Etat. La Russie est dotée du deuxième plus grand arsenal nucléaire du monde.
Le Kremlin se réserve le droit d’intervenir militairement, tant dans le cas d’une attaque militaire contre la Russie elle-même que d’une attaque contre un allié militaire. Les principaux alliés militaires de la Russie incluent actuellement la Chine, la Biélorussie et le Kazakhstan.
Le gouvernement russe donne à l’expansion de l’OTAN l’importance d’une menace de premier ordre pour la sécurité nationale. La crise en Ukraine n’est pas nommément désignée mais un certain nombre de points font référence au danger que posent pays « déstabilisés » et membres potentiels de l’OTAN aux frontières russes pour la sécurité de la Russie.
L’expansion de l’OTAN à l’Est était également citée comme menace sécuritaire dans la doctrine militaire de 2000. Elle ne jouait pratiquement plus aucun rôle dix ans plus tard à l’époque du soi-disant « reset » des relations américano-russes, alors que Moscou recherchait résolument un rapprochement politique et militaire avec les Etats-Unis. Au lieu de cela, l’attention se concentrait sur la lutte contre le « terrorisme » en Russie et internationalement – un domaine où Moscou maintient encore ses offres de coopération avec les Etats-Unis et l’EU.
Parmi les « menaces militaires traditionnelles » énumérées dans le document il y a « la détérioration spectaculaire de la situation militaro-politique (relations internationales) et la création de conditions de recours à la violence armée, » l’« obstruction du travail du système de l’administration publique et militaire de la Fédération de Russie, » ainsi que les atteintes aux armes nucléaires du pays, la « construction et la préparation de formations militaires illégales » qui opèrent en Russie et dans les pays avoisinants et « la démonstration de force militaire durant des manœuvres sur le territoire d’Etats voisins de la Fédération de Russie et de ses alliés » – une situation qui s’est produite à maintes reprises avec les nombreux exercices provocateurs menés par l’OTAN en 2014.
Dans une section spéciale sont proposées des mesures préparant la Russie à une économie de guerre.
La doctrine militaire énumère de nombreux domaines relatifs à l’armée russe et devant être modernisés. En Crimée, par exemple, compte tenu de son importance stratégique, tant les troupes au sol que la flotte de la Mer noire doivent être mis à niveau. En Arctique, où la Russie veut extraire des ressources minérales, le potentiel militaire de la Russie sera également développé.
La doctrine souligne aussi que les réformes militaires promues par Poutine en 2013 devraient mises en œuvre. Des détails quant au réarmement militaire seront bientôt annoncés dans le nouveau programme relatif aux années 2016-2025.
Le programme massif d’armement exigé par la doctrine signifie une militarisation encore plus grande de la société russe. Face aux tensions sociales montantes, ce renforcement militaire vise aussi la classe ouvrière russe. L’« éducation patriotique des citoyens russes » par exemple, doit être renforcée et chaque citoyen russe doit être prêt à faire son service militaire. En Russie aussi, comme à l’Ouest, la « lutte contre le terrorisme », également mise en évidence dans la nouvelle doctrine militaire, sert de prétexte à l’accroissement des pouvoirs de l’Etat et à l’extension de l’appareil de surveillance qui est d’ores et déjà très vaste.
Le document recense la coopération militaire accrue avec les pays du BRICS et les pays d’Asie centrale et d’Amérique latine comme l’une des « principales tâches » de la Russie dans l’« atténuation et la prévention de l’impact des conflits armés ». La Russie souhaite également renforcer les relations avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, les deux régions dont la scission avait conduit en 2008 à une guerre avec la Géorgie. Le conflit figure toujours parmi l’un des nombreux conflits ethniques et nationaux de l’ère post-soviétique susceptible d’être provoqué à tout moment et portant en lui le potentiel d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie.
La défense des pays appartenant à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) serait renforcée. Ces Etats comprennent, aux côté de la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et la Biélorussie, ainsi qu’en tant qu’observateurs, l’Afghanistan et la Serbie. La coopération avec l’OTSC et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) serait également étendue.
La Russie veut de cette manière participer à « la création d’un nouveau modèle de sécurité dans la région du Pacifique. » Durant ces dernières années, cette région s’était trouvée au centre du soi-disant « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis au moyen duquel la Chine est systématiquement encerclée militairement. Les Etats-Unis sont en train de consolider leur alliance avec le Japon, les Philippines et l’Australie, entre autres.
En réaction, la Russie et la Chine ont à plusieurs reprises effectué des manoeuvres militaires en mer. En réponse à la crise en Ukraine et aux sanctions contre la Russie, Moscou et Beijing se sont rapprochés ces derniers mois, tant militairement qu’économiquement. (Voir : « La Chine défie la guerre économique des États-Unis contre la Russie »)
Conformément à la nouvelle doctrine militaire, le vice-ministre russe de la Défense Anatoly Antonov s’est rendu plusieurs fois ces dernières semaines en Asie du Sud-Est. Le magazine russe en ligne Gazeta.Ru a remarquéà ce sujet: « L’intensité des contacts avec le Vietnam, la Malaisie, la Birmanie et la Chine témoigne d’un début de tournant vers l’Asie. » Un observateur de la politique étrangère a dit au magazine que la Russie réagissait aux initiatives américaines dans la région: « La Russie se rapproche de la Chine et d’autres acteurs, alors que les intérêts des Etats-Unis se concentrent sur la Corée du Sud, les Philippines, le Japon et l’Australie. »
Moscou veut aussi élargir ses relations avec l’Amérique latine. Selon Antonov, le ministre de la Défense Sergeï Shoigu prévoit de se rendre cette année en Amérique latine. Le rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et Cuba représente également une initiative pour chasser la Russie de cette région du monde. La Russie avait traditionnellement entretenu d’étroites relations économiques et politiques, mais aussi militaires, avec Cuba.
Clara Weiss