Pourquoi les Occidentaux ciblent particulièrement les médias russes ? [Luc Michel]

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La mesure a commencé par la presse russe, RT, TASS, SPUTNIK, dont le budget est modeste comparé à sa portée aussi symbolique qu’informationnelle

« Notre compte en France a été bloqué. Quant à d’autres pays, après cet incident en France, l’agence a pris des mesures pour y empêcher la suspension des émissions radio et en ligne, a indiqué jeudi la rédactrice en chef de Rossiya Segodnya, Margarita Simonian ».

Une nouvelle affaire intervient dans un contexte de tensions déjà très fortes entre les Occidentaux et la Russie qui s’affrontent dans le dossier ukrainien : la saisie ou mise sous séquestre des avoirs russes en Grande-Bretagne, France et Belgique. L’intégration par la Russie de la République autonome de Crimée (et de la Ville autonome de Sébastopol) en mars 2014, suivie du conflit dans l’est de l’Ukraine ouvert par Kiev, ont servit de prétexte aux Européens, sur ordres des Américains, à adopter des sanctions contre Moscou. En retour, le Kremlin a instauré un embargo sur les produits alimentaires européens et américains.

Voici une nouvelle affaire, provocation anti-russe hautement politisée, qui n’arrangera rien. A l’origine l’action de l’ex Groupe Ioukos de l’oligarque Khodorkovski, prédateur économico-financier et agent américain en Russie, qui voulait livrer le pétrole russe à Exxon et déstabiliser la reconstruction de l’Etat russe par le président Poutine …

QUI VEUT FAIRE TAIRE LA VOIX DE LA RUSSIE : LES MEDIAS RUSSES PARTICULIEREMENT CIBLES !

Des huissiers de justice français ont donc commencé à geler des actifs russes en France, en application d’une décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, et ce au moment même où se tient l’ouverture du Forum Economique de Saint-Pétersbourg. Ce qui n’est pas un hasard !

La mesure a commencé par la presse russe, RT, TASS, SPUTNIK, dont le budget est modeste comparé à sa portée aussi symbolique qu’informationnelle. « Le gouvernement français se plaint, à mots couverts, du succès des médias russes. Pourtant, il finance directement des médias français (France-télévision, France-24, et indirectement TV5) et indirectement via sa contribution au budget européen qui alimente des chaînes européennes de télévision. De ce point de vue, on ne peut accuser un pays de +faire de la propagande+ en France quand on fait exactement la même chose dans ce pays », commente Sputnik News. « Il est temps que les autorités françaises acceptent la présence sur leur territoire de chaînes étrangères comme un effet du pluralisme, s’ils se disent être attachés à des valeurs démocratiques. Et puisque les médias russes ne sont pas blâmés pour avoir violé la loi, ni de faire l’apologie de la haine ou du meurtre, ils ont le droit à la liberté d’expression », souligne encore l’Agence russe.

Ce jeudi déjà des huissiers de justice en France avaient bloqué le compte de l’agence Rossiya Segodnya. « Notre compte en France a été bloqué. Quant à d’autres pays, après cet incident en France, l’agence a pris des mesures pour y empêcher la suspension des émissions radio et en ligne », a indiqué jeudi la rédactrice en chef de Rossiya Segodnya, Margarita Simonian.

A cela s’ajoute des opérations de désinformation des médias occidentaux. « La France a saisi le bâtiment de l’agence Rossiya Sogdnya suite à ladite action », communique le magazine Forbes, citant une source proche des actionnaires de Ioukos. Pourtant, « malgré les affirmations des médias, le bâtiment de l’agence à Paris n’a pas été saisi, car Rossiya Segodnya ne possède pas de bâtiments dans la capitale française. Les locaux nécessaires au travail de son personnel ont été loués à la direction fédérale chargée de gérer les biens publics russes à l’étranger Goszagransobstennost », a annoncé le service de presse. « J’ignore quelles sont les sources utilisées par l’ex-société Ioukos, qui ont fourni au magnifique magazine Forbes les informations selon lesquelles le bâtiment de la chaîne RT a été saisi à Paris. Je déclare en toute responsabilité que RT n’a jamais possédé de bâtiment ni même de chaîne de télévision à Paris. Un grand salut aux journalistes de Forbes », a indiqué Mme Simonian à RIA Novosti.

Les biens et les avoirs de l’agence d’information TASS ont également fait l’objet d’une saisie. « Les biens de TASS à l’étranger sont également visés par cette mesure répressive, car ils appartiennent à la Fédération de Russie. Nous avons entrepris les démarches nécessaires dans le cadre de la politique générale menée par l’Etat dans cette affaire. Nous ne voulons pas en révéler les détails », a déclaré à RIA Novosti un porte-parole de TASS.

Rappelons, que l’ambassadeur belge à Moscou, Alex Van Meeuwen, a été convoqué jeudi au Ministère des affaires étrangères de la Russie, à la suite de la saisie des actifs russes en Belgique. La diplomatie russe a annoncé que Moscou considère la saisie des actifs comme une violation grave du droit international et exige de prendre des mesures immédiates. La Russie n’a, néanmoins, pas encore entrepris de mesures pour agir en réponse aux agissements de la France et la Belgique.

Toutefois cela n’a pas empêché, Bertrand Chokrane, journaliste du Point (Paris) de comparer le gel des comptes, dont ceux de l’agence Rossiya Segodnya, à la fermeture de l’AFP à Moscou. « Cela relève malheureusement de l’absurdité de certaines décisions prises à l’encontre de la Russie depuis quelques mois maintenant. En effet, l’agence (Sputnik, ndlr) pourra continuer à diffuser des informations depuis la Russie par le net. C’est comme si la Russie décidait de fermer l’AFP à Moscou. C’est difficile, mais on y arrivera, à faire passer l’idée en France et en Europe, que la Russie est une solution et non un problème » a estimé le journaliste.

AFFAIRE IOUKOS: LA RUSSIE MENACE DE GELER A SON TOUR DES AVOIRS ETRANGERS SUR SON SOL

La Russie a menacé ce vendredi de « représailles tout pays qui oserait toucher ses avoirs à l’étranger », après le gel en France et en Belgique de comptes bancaires à la demande des ex-actionnaires de Ioukos, un groupe pétrolier russe démantelé au terme d’une affaire orchestrée depuis le Kremlin.

« Ceux qui s’aventureraient à faire ça (geler les avoirs russes, ndlr) doivent comprendre qu’il y aura des mesures de rétorsion », a prévenu vendredi le vice-ministre des Affaires étrangères Vassili Nebenzia. Dans la foulée, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a souligné que Moscou prendrait des mesures réciproques à celles appliquées dans les pays occidentaux, estimant qu’il s’agissait là de « la seule façon (pour Moscou) d’agir sur la scène internationale ». Les sociétés ou acteurs économiques russes touchés par les saisies belges et françaises ont donc « l’intention de demander à la justice russe le gel des avoirs des sociétés étrangères dont l’État (français, belge, ndlr) est actionnaire », a-t-il précisé.

Les saisies en France et en Belgique ont été réalisées ces dernières semaines en application de la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (sous contrôle occidental) qui a condamné l’État russe en juillet 2014 à verser une indemnité de 50 milliards de dollars (37 milliards d’euros) aux actionnaires du groupe pétrolier Ioukos. L’État russe avait été reconnu coupable par la Cour « d’avoir démantelé pour des raisons politiques ce groupe », alors propriété de l’oligarque et opposant au Kremlin Mikhaïl Khodorkovski, agissant pour livrer le pétrole russe aux américains du Groupe EXXON, qui, aujourd’hui à l’étranger (et gracié fort imprudemment par Poutine), « s’est réjoui de ces saisies sur son compte Twitter ».

En accord avec cette condamnation, « des mesures d’exécution de reconnaissance de la sentence ont été entreprises dans différents pays, dont le Royaume-Uni, la France et la Belgique », a déclaré à l’AFP Me Emmanuel Gaillard l’avocat à Paris de GML, la holding représentant l’ancien actionnaire majoritaire de Ioukos. En Belgique, parmi les comptes russes gelés figurent ceux de l’ambassade de Russie et de ses représentations permanentes auprès de l’UE et de l’Otan à Bruxelles, selon le ministère russe des Affaires étrangères. Des comptes dans une quarantaine de banques ont été gelés en France ainsi que « huit ou neuf immeubles », a précisé à l’AFP. On notera que les médias d’état russes ont été particulièrement ciblés, comptes, studios et bureaux. Tim Osborne, directeur exécutif de la GML, qui a ajouté que des procédures similaires étaient en cours en Grande-Bretagne et aux États-Unis et bientôt dans d’autres pays.

UNE SITUATION HAUTEMENT POLITISEE CONTRE LA RUSSIE

La Russie, qui a déjà exclu tout dédommagement, conteste le bien-fondé de la procédure, liant la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye à une volonté de nuire à Moscou. Qualifiant le gel des avoirs russes à l’étranger d' »illégal », M. Lavrov a dit « ne pas exclure que cela ait été fait exprès pour tomber lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg », qui a ouvert jeudi.

Pour le conseiller du Kremlin Andreï Belooussov, cité par l’agence de presse TASS, la situation est « hautement politisée ». « Nous espérons que le bon sens l’emportera et que tout ça n’ira pas trop loin », a-t-il déclaré.

Jeudi soir, le ministère russe des Affaires étrangères s’était fendu d’un communiqué dénonçant un « acte ouvertement inamical » de la Belgique et avait convoqué l’ambassadeur de Belgique en Russie pour obtenir des explications.

GEL DES COMPTES: ATTENTION AU RETOUR DE BATON

Dans le contexte du gel des actifs russes en France et en Belgique, si la Russie le décidait, elle pourrait causer plus de dommages à ces pays que l’inverse. Il y a actuellement près de 70 entreprises belges en Russie et encore plus d’entreprises françaises. La réponse de Moscou à la décision de la justice belge prévoyant une saisie des actifs russes en Belgique s’est avérée d’une sévérité sans précédent. Moscou pourrait entreprendre des mesures exceptionnelles comme par exemple le gel des biens de l’ambassade de la Belgique en Russie. La France et la Belgique ont des biens à perdre en Russie.

* Les entreprises belges en Russie :
Il y a près de 70 entreprises belges dans ce pays: le premier brasseur mondial, Anheuser-Busch InBev y possède 10 usines, le leader belge de la pétrochimie, Solvay, a une usine de production de polychlorure de vinyle dans la région de Nijni Novgorod, estimée à 1,5 milliard d’euros. Il y a également une usine de produits électrotechniques de l’entreprise Lamifil à Ouglitch (250Km au nord de Moscou), estimée à 850 millions d’euros et une usine de couvre-plancher laminé de l’entreprise Unilin estimée à 1,5 milliard d’euros, sans oublier les cinq complexes industriels du groupe verrier Glaverbel. De plus, un nombre important d’investisseurs belges ont placé leur argent dans le domaine pharmaceutique russe, ainsi que dans la production de chocolat et de matériels de construction.

* Les activités commerciales françaises en Russie :
Bien plus que leurs homologues belges, les Français sont très implantés sur le marché russe. La Société Générale est l’actionnaire majoritaire de la banque Rosbank ainsi que de sa filiale Rusfinance Bank. Elle possède également la totalité du capital des banques russes Delta Crédit, ALD Automotive et SG Insurance. Une partie du premier constructeur d’automobiles national russe Avtovaz appartient à l’alliance Renault-Nissan qui est rentrée dans le capital de l’entreprise. Le géant automobile français a également une usine d’assemblage de voitures à Moscou. Le groupe Peugot-Citroen possède une usine dans l’oblast de Kalouga. Pour Danon, la Russie est le deuxième marché le plus important à travers le monde. Il y a encore beaucoup d’autres entreprises françaises en Russie: L’Oréal, Auchan, Yves Rocher, Leroy Merlin et Decathlon.

GEL DES COMPTES RUSSES EN BELGIQUE: MOSCOU PROMET UNE RIPOSTE SEVERE

Suite au gel des comptes de l’ambassade russe en Belgique, ainsi que de ceux des représentations permanentes de Russie auprès de l’UE et de l’Otan à Bruxelles, Moscou déclare pouvoir appliquer des « mesures similaires » contre la mission diplomatique belge. Le ministère russe des Affaires étrangères a qualifié d’acte ouvertement inamical le gel des comptes de l’ambassade de Russie à Bruxelles et a convoqué jeudi l’ambassadeur de Belgique à Moscou, Alex Van Meeuwen, pour protester contre cette décision des autorités belges.

« Moscou considère cet incident comme un acte ouvertement inamical et une violation grossière des normes du droit international, Rosneft propose de bloquer les avoirs français en Russie
et exige que la partie belge prenne immédiatement des mesures visant à rétablir les droits souverains de la Fédération de Russie, violés en Belgique », lit-on dans le communiqué de la diplomatie russe, qui réclame des explications et n’exclut pas d’appliquer des « mesures similaires » contre la mission diplomatique belge.

Luc MICHEL
 

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