« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » René Char, Les feuillets d’hypnos (1946)
Le Togo se serait illustré par son opposition supposée à l’agression que l’État français, dissimulé derrière la CEDEAO, s’apprête à perpétrer contre le Niger. La réalité de l’agitation impérialiste n’échappe à personne. La France veut perpétuer sa main-mise sur les ressources de ce qu’il est convenu d’appeler son pré-carré, au détriment des peuples et de leur bien-être.
Le « coup » du Togo est remarquable. Tout le mérite reviendrait à M. Gnassingbé, présenté désormais comme un authentique panafricain. C’est du moins ce que tente de faire accroire les tenants d’un certain « panafricanisme » naturalisé. Le vacarme des vuvuzelas ne doit pas masquer l’essentiel : M. Gnassingbé est aussi panafricain que le Dalaï-lama est Pape de l’Église catholique. Les laudateurs stipendiés de la nouvelle posture du régime togolais voient du courage et même de la lucidité dans la nouvelle orientation diplomatique du Togo. Il n’en est rien.
Jusqu’à l’opposition togolaise, l’une des plus médiocres du continent, subjuguée et même tétanisée par l’aboiement des nouveaux chiens de garde lâchés dans l’arène médiatique. Alléchés par les moyens colossaux alloués à la nouvelle ligne de propagande étatique, leur mission est de diffuser à longueur d’antenne le venin sulfureux d’un panafricanisme frelaté de circonstance.
Ne nous y trompons pas. Il s’agit d’un écran de fumée destiné à masquer le changement de pied de la dictature togolaise et à négocier en douceur la perpétuation du régime des Gnassingbé. M. Gnassingbé est un réactionnaire proactif. Le paradoxe n’est qu’apparent. Le chef de l’État togolais assume crânement l’oxymore. Il joue la survie d’une des pires dictatures au monde. À peu de frais. Mieux, en s’octroyant au passage le désormais indispensable vernis panafricaniste, antidote supposé aux coups d’État militaires. Bien essayé.
En vérité, l’attitude de Lomé 2 doit être saisie dans le changement d’alliance stratégique que je signalais il y a quelques mois : Révolution Togolaise / Le Tour De Garde : Des Barbelés US sur le Togo – 30 avril 2023. Faure Gnassingbé et son régime ont changé de maître et donc de protecteur de leur longévité au pouvoir. Sous ce prisme, la diplomatie togolaise s’éclaire d’un jour nouveau. Une décision politique n’est lisible que par sa temporalité et son opportunité. Lomé 2 a compris que la France joue depuis la crise malienne sa propre survie en Afrique. Très affaiblie, Paris paraît désormais incapable de garantir la longévité ad vitam æternam du régime des Gnassingbé. Il faut d’urgence changer de parapluie. Les prises de position de Faure Gnassingbé, loin d’être l’expression d’un courage ou d’une prise de conscience des intérêts du peuple, n’est que la tentative d’un régime vomi de persister dans son être sous la protection d’une nouvelle puissance tutélaire.
La diplomatie togolaise est à présent alignée sur l’agenda des USA. Pour s’en convaincre, il faut suivre les évolutions de la position américaine dans la crise nigérienne et les adaptations opérées par l’exécutif togolais. Au premier sommet de la CEDEAO, M. Gnassingbé a signé dans un mutisme remarqué la menace de guerre et les sanctions iniques adoptées par l’organisation. Pour cause : la position américaine n’était pas encore lisible ce 30 juillet 2023. Elle se précisera avec la visite le 7 août de Madame Victoria Nuland à Niamey, aux nouvelles autorités issues du coup d’État du 26 juillet 2023. La rencontre avec le général Tiany a avorté. Qu’à cela ne tienne. On enverra dès le lendemain, M. Gnassingbé auprès du nouvel homme fort du Niger, dans une mission faussement secrète, porteur du message que la rencontre avortée de Mme Nuland n’a pas permis de délivrer de vive voix aux nouvelles autorités nigériennes.
La deuxième réunion de la CEDEAO du 10 août se passe alors que le régime togolais a plus de clarté sur la position américaine. Le département d’État affiche son attachement au retour à l’ordre constitutionnel, sans jamais endosser la qualification de coup d’État, tout en privilégiant la diplomatie comme voie de résolution de la crise. Le spectre de la guerre s’éloigne. Lomé 2 peut dès lors s’enhardir et prendre des positions osées, y compris la peu probable interdiction de survol de son espace aérien. La propagande manipulatrice du régime saluera néanmoins cette « décision » comme l’expression de la tempérance et du bon sens d’un leadership clairvoyant. Elle intervient juste après la confirmation par les USA, le 12 août 2023, de la nomination de madame Kathleen Fitzgibbon comme nouvelle ambassadrice auprès de la République du Niger. Paris est « lâchée » par Washington. Faure Gnassingbé peut tranquillement acter la trahison du maître français. Suivez l’agenda américain et vous comprendrez le soudain « courage » situationnel de M. Gnassingbé.
On est très loin du panafricanisme authentique qui postule la défense des peuples contre le joug colonial. Le régime des Gnassingbé n’a cure de l’émancipation du peuple. Sa seule boussole est et demeure la conservation héréditaire du pouvoir. La satrapie cherche simplement à persister dans son être. Faure Gnassingbé a endossé toutes les sanctions iniques imposées au peuple nigérien. Les transactions commerciales sont bien suspendues et le port de Lomé est fermé aux importations du Niger. On attend mieux du « panafricain » Gnassingbé. La position des véritables États panafricanistes, dont certains comme le Mali et le Burkina Faso ont annoncé leur co-belligérance en cas d’attaque armée de la CEDEAO, jure avec la posture des autorités togolaises. Une vraie différence de nature et non de niveau.
Les nouveaux accents panafricanistes sont plus à rechercher chez M. Biya dont la longévité au pouvoir fascine M. Gnassingbé. Comme son mentor, il a compris que permettre l’éclosion d’un bruyant discours pseudo panafricaniste, tourné vers la critique des dérives autoritaires des autres pays, peut être politiquement « rentable ». Une certaine chaîne de télévision s’est vu octroyée des moyens colossaux de propagande panafricaniste aux fins de divertir du peuple de l’oppression dictatoriale. Il s’agit aussi de soustraire à l’opposition ce thème porteur et rassembleur des aspirations profondes des peuples. Le pouvoir togolais a peur du vrai panafricanisme. Il enfourche son avatar pour le conjurer. « Il faut que tout change, pour que rien ne change », la célèbre réplique du Guépard de Visconti est devenue le nouveau credo de Lomé 2. Quitte à créer son propre panafricanisme. Quitte à en interdire l’expression aux rares opposants qui y voient la critique la plus aboutie de l’exploitation impérialiste française en complicité avec Lomé 2. Nous avons été témoins de l’incarcération sous des motifs fallacieux du seul opposant togolais qui portait réellement les thèmes panafricains en fustigeant la Françafrique. M. Djimon Oré a été jeté arbitrairement en prison sous le regard complice du reste de l’opposition togolaise.
Le panafricanisme des autorités togolaises est instrumental. Il est destiné à contrecarrer la diffusion de ce courant au sein de la population et son appropriation comme instrument idéologique de lutte. Les thèmes porteurs ne manquent pas : le scandale du franc CFA, l’ignominie de l’omniprésence militaire étrangère et surtout la persistance des accords coloniaux léonins qui saignent le pays.
Le peuple togolais est orphelin d’une représentation réelle. Coincé entre son oppresseur générationnel et une opposition complice, manifestement dépassée par les enjeux, il éclatera bientôt en éruption volcanique incontrôlable. M. Gnassingbé le sait et en nourrit une grande peur. Il est ébranlé par la succession de putschs contre les dictatures civiles de la Françafrique. Son panafricanisme de façade constitue la réponse qu’il tente d’imposer au forceps pour conjurer le sort. Changer de maître, tenir à distance les peuples et éviter le rapprochement de l’armée avec les schémas de libération que proposent les partenariats alternatifs chinois et russe. Telle est l’équation. Il y a fort à parier qu’elle ne suffira pas à endiguer la lame de fond de l’indépendance réelle des peuples.
Jean-Baptiste K.