Obiang « Pour développer l’Afrique, il ne faut pas compter sur les Occidentaux qui déstabilisent nos Etats »

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Certains dirigeants africains sont téléguidés par les puissances occidentales

 

Votre pays vient de célébrer le 45è anniversaire de son indépendance. Sous quel signe avez-vous placé cette célébration ?

Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation pour nous accompagner dans la célébration de ce moment important de la vie de la Guinée équatoriale. Nous devons travailler à léguer le leadership aux Africains […] L’Afrique est parvenue à un demi-siècle de sa souveraineté. Les dirigeants africains ne doivent plus avoir peur. Certes, nous n’allons pas résoudre tous nos problèmes par un tour de baguette magique, mais il faut y travailler.

Quel regard jetez-vous sur le chemin parcouru par la Guinée équatoriale jusqu’à ce jour et comment entrevoyez-vous l’avenir ?

Je vous remercie pour l’intérêt porté sur le passé de la Guinée équatoriale, son parcours et par ailleurs la trajectoire à prendre pour l’avenir. Nous avons profité de la célébration des 45 ans de l’indépendance de la Guinée équatoriale pour tenter de faire un bilan de l’histoire de notre pays. Notre pays a évolué en deux étapes.

Les premières années de notre indépendance ont été caractérisées par l’absence totale de développement. Pendant cette période, le pays, au lieu de se développer, est tombé dans le déclin. Ceci était dû au système politique qui s’était totalement écarté de l’opinion du peuple. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle beaucoup de citoyens équato-guinéens se sont vus obligés de se disperser à travers le monde. Il y avait un déficit criant d’infrastructures. Et le peu d’infrastructures laissées par les colons n’était pas entretenu. C’est bien simple : le pays n’avait ni eau, ni électricité, les écoles étaient fermées, les hôpitaux ne fonctionnaient pas normalement et le peuple était plongé dans la misère.

Après cette époque, notamment après la révolution (coup d’Etat, ndlr) nous nous sommes engagés à construire le pays. Ceci, à travers le programme économique développé par le gouvernement. Ce programme a été adapté et adopté au cours d’une conférence économique. Nous sommes donc en train de travailler pour faire émerger la Guinée équatoriale d’ici à 2020. Je pense que nous sommes en train d’atteindre les objectifs de ce programme. Aujourd’hui si vous jetez un regard, une grande partie du pays a été désenclavée. En Guinée équatoriale, presque toutes les routes sont goudronnées.

Pour mettre notre vaste programme en marche, nous sensibilisons notre peuple. Nous consolidons aussi les relations avec le monde international, notamment avec les pays africains. Notre priorité, c’est l’Afrique. Aujourd’hui, la voix de la Guinée équatoriale porte.

Notre pays a été l’unique nation à élever la voix contre les pays qui ont agressé la Libye et attaqué Kadhafi.

Nous remettons en cause la notion d’intervention humanitaire que la communauté internationale approuve. Ce nouveau concept, de notre point de vue, devrait se traduire par la mobilisation des ressources économiques au profit des nations qui souffrent et non faire la guerre à un pays souverain sous le couvert d’une intervention dite ‘humanitaire’.

Après Malabo 2, la Guinée équatoriale est engagée dans un processus de création d’une ville à Oyala. Cette nouvelle ville constitue-t-elle le symbole de votre nouvelle vision à l’instar de Brasilia au Brésil ou plus proche de nous, Abuja au Nigeria ?

Nous sommes en train de créer une petite ville au sud de l’île. Nous travaillons pour donner plus de facilités au peuple de la Guinée équatoriale, à désenclaver le pays. C’est à juste titre, si le gouvernement met un accent particulier sur le développement local. Tout cela, nous le faisons sur nos ressources propres. Toutefois, la Chine nous a aidés en nous accordant un prêt de 2 milliards de dollars (environ mille milliards F CFA). Partout dans le pays, nous avons engagé des programmes et nous devons les accomplir. Les ressources sont utilisées d’une façon rationnelle. Tout le développement que nous mettons en œuvre surprend d’ailleurs notre population.

Nombre d’entreprises nous font des propositions. Par exemple, une entreprise européenne nous a proposé la construction d’un chemin de fer. Mais la Guinée équatoriale est une petite nation qui n’a pas forcément besoin d’un chemin de fer qui traverse tout le pays. Nous avons rejeté ce projet qui coûte beaucoup d’argent. Nous préférons construire des routes. Elles nous permettent d’avoir accès à toutes les parties du pays. Nous avons donc rejeté catégoriquement ce type de projet qui coûte beaucoup d’argent.

Nous recevons beaucoup de projets qui viennent des pays occidentaux. Mais, nous les analysons minutieusement. Nous avons même des contentieux avec des pays qui sont venus avec des propositions et lorsque nous avons accepté, ils nous ont tendu un piège sans aller au bout de leur contrat. Ils nous ont plutôt conduits devant les tribunaux internationaux. Malheureusement, le constat que nous faisons est là : ils ne viennent pas pour nous aider, mais pour nous voler.

Ces divers chantiers ne menacent-ils pas l’environnement qui est devenu aujourd’hui un enjeu mondial ? Y a-t-il des mesures pour préserver la nature ?

Je vais vous prendre un exemple pour illustrer notre parti pris pour la protection de l’environnement. Vous avez visité la plateforme Punta Europa où est située l’industrie gazière. Tous ces macro-projets de transformation du gaz ont été mis sur pied parce que j’ai refusé de brûler le gaz (à travers des torchères, ndlr) comme on le fait dans la plupart des pays afin d’éviter la production de cumulus dans l’atmosphère. Nous avons donc exigé la transformation du gaz pour limiter les effets de pollution. L’une des solutions retenues a par exemple été de fabriquer de l’électricité grâce à ce gaz. Aujourd’hui, nous vendons le gaz liquéfié. C’est un bénéfice pour le pays. C’est une mesure de protection de l’environnement.

D’autres exemples : nous avons réglementé l’exploitation des ressources forestières. La priorité est donnée à la transformation du bois dans les zones autorisées. Nous protégeons nos eaux par une veille et la détection des produits polluants enfouis dans l’eau, etc. C’est vous dire que nous sommes pleinement conscients des enjeux environnementaux et notre développement ne se fait pas au détriment de la Nature.

La Guinée équatoriale fait l’objet de vives critiques concernant la vie politique. Des élections générales se sont déroulées en mai dernier [2013], quelle est la place de l’opposition dans le processus démocratique dans votre pays ?

L’introduction de la démocratie dans notre pays a débouché sur le multipartisme. Une convention a été mise en œuvre pour fixer le cadre, déterminer les possibilités de coalition, etc. D’ailleurs, les partis politiques ont ratifié ce pacte et ont du reste le loisir de le dénoncer à tout moment. Nous sommes dans une dynamique d’ouverture. La majorité des formations politiques sont en alliance avec le parti au pouvoir car elles ont observé que notre parti présente un programme positif, un projet de société de nature à impulser le développement et elles y ont librement adhéré. La plupart des leaders de l’opposition sont dans le gouvernement. Certains sont représentés au Sénat, à l’Assemblée nationale et dirigent des communes. Les partis politiques sans exclusive participent ainsi à l’animation de la scène politique.

Pourtant, la Guinée équatoriale est toujours perçue comme une dictature…

Il ne faut pas compter sur les Occidentaux qui nous menacent et veulent déstabiliser nos Etats. Nous n’attendons rien d’eux. Lors des dernières élections générales, j’ai refusé la présence des observateurs occidentaux mandatés sous le couvert de l’Union européenne. En revanche, nous avons accrédité les observateurs issus des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). L’Afrique doit se sentir comme une entité souveraine et indépendante.

Le président de la République de Guinée équatoriale a été désigné président d’honneur du Conseil africain des médias (Cam) et la ville de Malabo retenue pour en abriter le siège. En tant que président de la République, qu’est-ce que cela représente pour votre pays ?

C’est une reconnaissance de la politique panafricaine que le gouvernement équato-guinéen impulse en ce moment. La presse a un rôle prépondérant à jouer dans notre continent. Beaucoup de médias ont dénigré l’Afrique à travers de larges échos venus de l’Occident. La presse africaine doit dénoncer et répondre aux attaques que subit l’Afrique. Certains dirigeants africains sont téléguidés par les puissances occidentales.

Il faudrait mettre fin à cette façon de faire. La presse africaine a un rôle crucial à jouer dans ce sens. Avec les médias africains, nous voulons que les Occidentaux connaissent mieux notre continent et le respectent. Nous devons travailler avec un sentiment d’appartenance à l’Afrique. J’ai d’ailleurs décidé d’appuyer le Conseil africain des médias avec un million de dollars. Je vous recommande d’aller également vers d’autres pays africains.

Quelle appréciation faites-vous au sujet de la Cour pénale internationale qui a épinglé des présidents africains et comment jugez-vous la position de l’Union africaine en rapport avec cette juridiction internationale ?

Lorsque j’étais président en exercice de l’Union africaine, j’ai proposé la création d’une Cour pénale africaine (Cpa) où on peut juger des Africains. L’ancien président de la commission de l’Ua, Jean Ping en est témoin. Je n’ai pas encore reçu l’avis de mes homologues africains. Je demande néanmoins que l’Union africaine crée cette Cour pénale africaine. Vous verrez que si cette cour est mise sur pied, la Cpi va disparaître. En ce qui la concerne, la Guinée équatoriale n’a pas ratifié les Accords de Rome car nous sommes contre la Cour pénale internationale. Le fait qu’on refuse le visa à Omar El Béchir (président du Soudan, ndlr) afin qu’il prenne part à l’Assemblée générale de l’Onu est un acte grave. Ce refus va à l’encontre des principes des Nations unies. Le fait de convoquer un chef d’Etat africain encore au pouvoir à la Cpi est aussi grave. Nous avons observé que seuls les Africains y sont jugés : Laurent Gbagbo, Charles Taylor…

Mais on oublie les crimes que les autres ont commis. L’Irak a été détruit au prétexte fallacieux qu’il détenait des armes de destruction massive. George Bush, président des Etats-Unis d’Amérique à cette époque, n’a jamais été traduit à la Cpi pour les crimes commis contre le peuple irakien. Je souhaitais que les Africains soient jugés en Afrique. Je n’ai pas vu des dirigeants asiatiques, [étasuniens] convoqués à la Cpi. C’est une mesure discriminatoire. Nous, Africains, sommes malmenés et considérés encore comme des esclaves. Cela doit cesser.

Le plan directeur de la Guinée équatoriale mis en place en 2008 au lendemain de la conférence économique, prévoit l’émergence du pays en 2020. Au regard de l’immensité de la tâche, pensez-vous sincèrement que cet objectif sera atteint ?

Notre objectif est de rendre concret notre programme. Nous travaillons à surmonter toutes les difficultés auxquelles nous faisons face. Notre ambition est de faire de la Guinée équatoriale un pays autosuffisant. Nous sommes en train de préparer une conférence sur l’industrialisation parce que nous voulons arrêter avec la dépendance aux producteurs étrangers. Car, si on ne parvient pas à une autoproduction, notre pays sera exposé et ne pourra pas atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. C’est un programme assez difficile, mais nous l’avons déjà fait.

Un autre problème aussi important est de trouver des mécanismes pour donner de l’emploi à la jeunesse, surtout celle qui est formée. L’un des problèmes qui crée l’instabilité dans les pays africains est le manque d’emploi. La conférence que nous nous proposons de faire, va permettre de voir comment la masse des jeunes désœuvrés peut s’auto-employer ou créer de petites et moyennes entreprises, susceptibles de recruter leurs compatriotes. Nous avons actuellement de grandes entreprises étrangères sur notre territoire. Nous les obligeons à s’associer aux entreprises nationales afin d’absorber la main d’œuvre locale.

Des centaines de jeunes Africains ont trouvé récemment la mort au large des côtes italiennes où ils tentaient une immigration. Selon vous, comment faire pour éviter la tragédie du genre de Lampedusa ?

Les dirigeants africains ont la responsabilité de trouver des conditions pour l’émancipation de la jeunesse. Je pose la question de savoir ce qu’il y a en Europe aujourd’hui. Nous devons créer des conditions de l’emploi aux jeunes en Afrique. Nombre d’Equato-guinéens immigrés hier, sont de retour au pays.

En tant que dirigeants, nous devons œuvrer à ce que nos citoyens restent dans nos pays. Il y va de la responsabilité de nos gouvernements. Nous avons décidé que toutes les entreprises étrangères recrutent 75% de la main d’œuvre locale. Aucun travailleur équato-guinéen ne doit souffrir de discrimination.

Le Messager

panafricain.tv 

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