Nord-Mali: les djihadistes se font tout petits

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Les djihadistes, impopulaires, vivent dans la crainte, d’une intervention militaire.«Campement chez Jérôme». En contrebas de la principale route qui traverse la localité malienne de Douentza (située à la limite du nord et du sud), l’auberge, qui avant la crise attirait du monde, est maintenant vide. Pas un seul client! Ni même un chat! Son propriétaire, un Français qui a donné son prénom à l’établissement, est retourné depuis vivre sur ses terres françaises de Troyes (ouest de la France).

Douentza, la bourgade où les djihadistes sont moins visibles

Douentza n’est pas une ville. C’est un bourg situé à 800 kilomètres au nord de Bamako. Les maîtres des lieux sont les rebelles du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).

Ici, des scènes déjà vues ailleurs dans le nord du Mali, qui vit sous le joug des djihadistes. Ainsi, le marché de Douentza grouille de monde. Les étals sont plutôt bien achalandés. A l’est du marché, un gros camion sans immatriculation.

A l’arrière du mastodonte, une longue queue se dresse. Ce sont les commerçants grossistes qui font le rang pour acheter des marchandises. Les pâtes alimentaires venues directement d’Algérie ne coûtent rien.

Il n’y a plus de douane, et d’ailleurs, pour les djihadistes, l’islam refuse de percevoir des taxes. L’huile, les fruits, tout le contenu du camion disparaît en deux heures.

A Douentza, les djihadistes sont de moins en moins visibles.

«C’est la fête de la tabaski. Les moudjahidines (combattants) ont été faire la fête en brousse», affirme Abou Kata, l’un des chefs locaux du Mujao. Son nez bouge. Peut-être, ne dit-il pas toute la vérité.

Assis sur le capot d’un pick-up blanc, il est accroché au téléphone. Il parle en arabe. On devine au rictus qu’on lit sur son visage qu’il est préoccupé.

«— La communauté internationale est prête à vous faire la guerre. C’est un sujet de préoccupation pour vous ou pas?

— Pas du tout. On attend ici la communauté internationale. Dieu est avec nous», rapporte le traducteur de l’homme qui joue le rôle de préfet de police local.

Sur le terrain, la réalité est autre. Les djihadistes vivent dans la crainte d’une attaque. Dans le bled, ils avaient trois bases: à l’hôtel Ndouldi, au siège d’une ONG norvégienne, et dans le bâtiment de l’académie d’enseignement.

Les deux premiers endroits sont désormais déserts. Plusieurs cas de désertion ont été signalés.

«Il y a une semaine, les fous (appellation locale des chefs djihadistes) sont passés dans les quartiers pour fouiller des maisons, parce qu’ils pensaient que des moudjahidines (appellation locale des hommes de rang) ont fui pour se cacher dans les maisons. Ils ont cherché, ils n’ont rien trouvé», explique un habitant.

«Ce qui fait peur à ces fous-là, c’est quand on dit que des avions vont venir les bombarder. Ils ont vraiment peur. Ce n’est pas comme avant où ils n’avaient pas peur. Maintenant, ils ont peur, vraiment ils ont peur. Ça, je peux le dire», renchérit un autre habitant.

Selon deux témoins interrogés sur place, deux armes lourdes positionnées il y a encore une semaine au centre-ville, ont disparu. Il n’y a plus de véritable dispositif de sécurité dans la ville, comme si au premier coup de fusil, les djihadistes allaient décamper, à moins que ce ne soit une stratégie.

En tout cas, à Douentza, les djihadistes ne sont plus visibles. Ils se font pour le moment tout petits.

Pourquoi les islamistes ont peur

La pression de la communauté internationale est une autre source d’inquiétude pour les djihadistes. Le calendrier des rencontres militaires à Bamako, avant une éventuelle intervention, est maintenant connu.

Le 22 octobre 2012, une mission de l’Union européenne, chargée d’évaluer les besoins de l’armée malienne, a séjourné à Bamako. Elle fera des propositions, le 19 novembre prochain lors d’un Conseil des pays membres.

Du 28 octobre au 4 novembre, arrive à Bamako une mission de planification Cédéao, Union Africaine, Nations unies et partenaires en vue de rédiger le concept d’opération qui sera présenté au conseil de sécurité fin novembre.

Le 6 novembre, toujours à Bamako, réunion du Comité des chefs d’état-major élargie aux partenaires en vue d’entériner le concept. Un général français sera présent.

Le 15 novembre: la capitale malienne accueille une mission d’audit financier des forces armées maliennes.

Les djihadistes ne sont pas indifférents à tout ce remue-ménage. Ils ont beau recevoir du renfort (des étrangers, notamment des Soudanais et des Sahraouis sont bel et bien venus grossir leurs rangs, malgré les démentis de personnes de mauvaise foi ou de la part de personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans le désert), ce renfort n’est pas de nature à les protéger durablement.

Selon de sources dignes de foi, les régions de Gao (nord-est) et Tombouctou (nord-ouest) seront les principales cibles en cas d’éventuelle intervention militaire.

Sur le terrain, on assiste à une réorganisation, à un repositionnement des combattants.

Si Douentza est une localité occupée par le Mujao, Tombouctou au nord-ouest n’est pas entre les mains de Ansar Dine, comme on l’entend, mais dans celles d’al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).

Le nouvel émir d’AQMI au Sahara, Yahya Abou Hamame y réside. C’est contraint, selon une bonne source sécuritaire, qu’il a accepté le poste. Des témoins l’ont reconnu à Tombouctou, le jour de la fête de tabaski à la prière. Il était à côté de Abou Zaid, l’autre grande figure d’AQMI. Tous deux sont de nationalité algérienne.

A Tombouctou, vit également Sanda Boumama. Illettré, analphabète de son état, il est le plus farfelu porte-parole d’Ansar Dine, qu’il n’a jamais véritablement représenté.

Plus au nord-est, la région de Gao. Le Mujao y règne avec, en son sein, des contradictions qui pourraient déboucher sur une scission.

Moktar Belmokhtar, autre figure d’AQMI, réside dans la même ville. Destitué par Droukdel, l’émir général d’AQMI, Belmokhtar fait de la résistance. Abandonné par une partie de ses troupes, il scelle actuellement une alliance avec une aile du Mujao pour survivre.

Il peut compter sur son beau-père Oumar Ould Hamaha, qui se fait désormais appeler «Chef-sécurité du djihad dans le nord du Mali».

Seulement, cet homme, dont les interviews dans la presse française, sont présentées comme des «scoops», ne représente plus grand-chose. Quasiment interdit de séjour à Tombouctou, il tente de s’accrocher au Mujao comme Belmoktar. Mais ils pourraient rapidement avoir en face une aile reconstituée des Touaregs du MNLA.

Le MNLA et Ansar Dine, alliés de la communauté internationale

Ces derniers envisagent de mener une attaque contre les localités de Gao et de Ansogo, située à 95 km de Gao.

«La raison est simple. Pour peser dans les négociations, il faut que le MNLA puisse contrôler une zone. C’est ce qu’il va tenter de faire», explique une source proche du dossier.

Reste la région située au nord-est du Mali, la région de Kidal. Le manitou de la situation y règne, Iyad Ag Ghali. C’est lui qui a organisé de main de maître la débâcle des Touaregs du MNLA. Il a actuellement récupéré dans ses rangs quelques dizaines d’entre eux,  «désiglés» MNLA.

Le porte-parolat de son mouvement Ansar Dine, basé par stratégie à Tombouctou, pourrait rapidement revenir à Kidal et être attribué à Hamada Ag Bibi, ancien porte-parole de l’Alliance pour le 23 mai 2007, du nom du groupe de touaregs qui s’est rebellé en 2007 et qui a fait semblant de rentrer dans les rangs à la suite d’une médiation algérienne.

Le plan d’Ansar Dine se dessine: pourquoi ne pas laisser effectivement le MNLA bouter le Mujao hors de Gao? L’avantage est double. Cela permettra de se détacher des djihadistes de Gao et d’avoir une ligne de démarcation entre Ansar Dine, et les djihadistes de Tombouctou, Gao étant au centre des régions de Kidal et de Tombouctou.

Résultats des courses, les islamistes «fréquentables» se retrouveront à Kidal. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances l’ont déjà décrété: on peut discuter avec Ansar Dine. Or Iyad Ag Ghali est le chef incontesté d’Ansar Dine.

Les islamistes chassés si possible de Gao, les frappes aériennes pourraient seulement se concentrer sur la région de Tombouctou. Gao épargné, Kidal épargné, il y aura moins de dégâts.

Dans le pire des cas, l’intervention militaire aura lieu à Gao et à Tombouctou, mais Kidal sera épargné, pour donner une chance aux négociations avec Iyad.

D’après nos informations, le Burkina Faso s’apprête a abriter un nouveau round des négociations. Ansar Dine sera à Ouagadougou, avec très probablement comme membre de la délégation Hamada Ag Bibi, qui prend officiellement du grade dans l’organigramme du mouvement.

Partisan à tout prix d’un accord de paix avec le gouvernement malien pour que Kidal reste au sein de la république, Hamada Ag Bibi, député déserteur de l’assemblée nationale du Mali, est selon son entourage immédiat, décidé à obtenir le rejet de l’application de la charia.

Serge Daniel

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