Après une garde à vue de près de 48 heures, le voici mis en examen. Pour défendre sa probité devant les Français, il est venu avec un document :
« Dans la justification de la mise en examen, il est indiqué que j’aurais été compromis de façon passive – c’est noté ici – pour favoriser les intérêts de l’État et du régime libyens. C’est une monstruosité ! J’ai été le seul chef de l’État qui a reçu les opposants de Kadhafi, qui s’est battu à l’ONU pour que nous ayons un mandat pour que ce dictateur parmi les plus sanglants qu’ait connus le XXème siècle, ne puisse plus continuer à imposer la terreur à son peuple. » [Gilles Bouleau – Nicolas Sarkozy, Soupçon de financement libyen – Nicolas Sarkozy contre-attaque, 22 mars 2018, 20 heures, TF1]
Nicolas Sarkozy confond deux périodes complètement opposées.
Selon le document, et monsieur Sarkozy le lit lui-même sans en contester le contenu… « j’aurais été compromis de façon passive » « pour favoriser les intérêts de l’État et du régime libyens ». Ce grief renvoie à 2007 et à un possible financement de sa campagne présidentielle par « l’État et le régime libyens » en échange de faveurs accordées à cet « État » et à ce « régime ».
Ici, nous avons un premier élément… Il y avait donc réellement un « État » en Libye. Contrairement aux affirmations rabâchées par une ribambelle de journalistes des médias mainstream, de politiques de tous bords, d’universitaires… tous-toutes plus arrogant(e)s ou malveillant(e)s les un(e)s que les autres, avant, pendant 2011, et encore après… Et donc, la guerre menée par la coalition occidentalo-golfico-sioniste, de mars à octobre 2011, a bien été une guerre contre un « État », l’État souverain de Libye, contre un « régime », le « régime » populaire et socialiste et, puisqu’il s’agissait d’un État des masses et d’un régime populaire et socialiste, contre un peuple, le peuple libyen.
Pour faire accepter, au bon peuple de France, cette destruction, il ne fallait surtout pas dire que la Libye était administrée dans le cadre d’un État des masses, statut qui produisait dans la réalité ce qu’il disait par le nom. À partir du moment où l’existence de l’État des masses était niée dans les médias mainstream, il était possible de le détruire. Après avoir instauré le chaos par les bombes, il fallait continuer à jacasser devant le bon peuple de France pour le persuader que ce chaos était dû, non pas aux bombes occidentalo-golfico-sionistes et à des opposants libyens et non libyens dénués de toute idée politique constructive pour l’avenir du pays, mais au fait que la Libye n’avait pas d’État !
Passons au second élément… À quelle occasion, face au journaliste, Nicolas Sarkozy aborde-t-il cette question de la guerre de 2011 ? Au moment où il lui faudrait répondre sur les origines du financement de sa campagne de 2007 et justifier les raisons de la venue du Guide révolutionnaire Muammar Gaddhafi et de la délégation libyenne à Paris en décembre de cette même année 2007…
Petit rappel… L’embargo occidentalo-onusien, qui était destiné à étrangler le peuple libyen pour le pousser à la révolte contre le Guide révolutionnaire, avait duré d’avril 1992 à septembre 2003. Deux ans après la levée de cet embargo, la Libye, qui restait riche de n’avoir pu dépenser tout l’argent qui lui venait du pétrole, dans l’achat d’avions par exemple, se trouvait en pleine expansion économique.
En 2005, donc, sous la présidence de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, pensait de plus en plus à se présenter aux élections présidentielles. Sur le conseil du fils de Muammar Gaddhafi, Saïf al-Islam, le FrancoLibanais, Ziad Takieddine, avait rencontré Nicolas Sarkozy en France. Il fut bientôt question d’une visite du ministre français en Libye et la préparation de cette visite allait être assurée par Saïf alIslam Gaddhafi, Ziad Takieddine, et Claude Guéant qui se rendrait plusieurs fois en Libye : ce qui a été confirmé par l’ambassadeur de France en Libye, Jean-Luc Sibiude.
En octobre 2005, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy se rendit dans l’État des masses, ce qui a été confirmé par Zohra Mansour, chargée des relations diplomatiques entre la France et la Libye, par Ahmed Gaddhaf El Dam, gendre et conseiller du Guide, et par l’ambassadeur Jean-Luc Sibiude (qui n’est pas parent avec la famille Gaddhafi). Doté de la double nationalité francolibanaise, Ziad Takieddine était l’homme tout désigné pour servir ici d’intermédiaire privilégié entre la France et la Libye lors de négociations sur les contrats d’armement. Il est donc aisé de comprendre pourquoi l’ex-président Sarkozy, un peu auparavant, a dit face à Gilles Bouleau : « D’abord, on m’impose un contrôle judiciaire m’intimant l’ordre de ne pas voir monsieur Takieddine. Permettez-moi de vous dire que je n’ai pas envie. » Voire… Car ils auraient tous deux beaucoup de choses à se dire et les magistrats chargés de l’instruction du dossier le savent.
Le 16 mai 2007, Nicolas Sarkozy était élu à la présidence de la république française. Le 28 mai, il réservait sa première communication téléphonique, en tant que président, au Guide Muammar Gaddhafi. Il n’était pas question, à ce moment-là, de dictature en Libye et du « dictateur Kadhafi ». Nicolas Sarkozy : « Oui, monsieur le Guide. J’espère vous recevoir en France ou me rendre en Libye. »
En juillet, l’affaire des infirmières bulgares et du médecin dit palestinien, qui durait depuis des années, serait réglée par une négociatrice de choix, Cécilia Sarkozy : c’est elle qui rencontrerait le Guide en personne. Le 24 juillet, les infirmières bulgares et le médecin « palestinien » pouvaient quitter la Libye.
Le lendemain, 25 juillet, Nicolas Sarkozy se rendrait en Libye, escortée d’une importante délégation : Claude Guéant, une Rama Yade souriante, un Bernard Kouchner ébloui : « Il y a je ne sais pas combien de documents. Mais, qu’est-ce qu’on signe comme accords ! Oh, je ne m’en plains pas. » Dont des contrats sur l’armement.
En décembre 2007, Muammar Gaddhafi arrivait à Orly en compagnie d’une importante délégation libyenne, dont les femmes en armes, c’est-à-dire des militaires habilitées à la protection du Guide et de la Révolution. Bien évidemment, cette réception en France n’était ni du goût des membres du CRIF et de l’État sioniste, ni du goût des socialistes français, ni du goût de certains membre du RPR…
Lors de sa campagne présidentielle, en janvier 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré : « Je veux être le président de la France des droits de l’homme. » « Je ne veux pas être complice d’aucune dictature à travers le monde. » Quelques mois plus tard, la secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des droits de l’homme, Rama Yade, devait célébrer la journée internationale consacrée à ces droits, fixée au 10 décembre, jour de la visite officielle de Muammar Gaddhadi et de la délégation libyenne à Paris. Le ministre des Affaires étrangères et européennes (mai 2007novembre 2010), Bernard Kouchner, avait choisi ce jour d’arrivée de Muammar Gaddhafi et de la délégation libyenne à Paris pour se rendre en famille à Bruxelles (Belgique). Simple secrétaire d’État, Rama Yade ne pouvait guère être qu’en service commandé lorsque, de bon matin, ce jour-là, elle déclarait à un journal puis dans une radio : « La France n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant [terroriste ou pas]peut venir s’essuyer les pieds [du sang]de ses forfaits. » (Note : Les propos de Rama Yade ont été ensuite édulcorés : les mots qui ont été supprimés sont, ici, entre crochets.)
Sa sortie du studio de la radio allait être houleuse : sommée par Nicolas Sarkozy de se rendre à l’Élysée pour s’expliquer devant lui, Claude Guéant et Brice Hortefeux, ce serait une Rama Yade, au bord des larmes et faisant profil bas, qui participerait, un peu plus tard, à la cérémonie organisée autour des droits de l’homme.
Bien évidemment, Muammar Gaddhafi et la délégation libyenne, qui venaient en invité(e) sur le sol français, n’ont pas été ravi(e)s de cet accueil. L’avion Afriqiyah a atterri avec beaucoup de retard… La secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des droits de l’homme n’a vraiment pas facilité le travail de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, qui était chargée d’accueillir les Libyen(ne)s sur le tarmac de l’aéroport d’Orly et qui a dû attendre sous la pluie que l’avion voulût bien se poser… À partir des propos tenus par Rama Yade, il va sans dire que les contrats que la France espéraient signer avec la Libye se restreindraient à pas grand-chose.
Face au journaliste, en ce mois de mars 2018, lorsque Nicolas Sarkozy élude l’année 2007 pour dresser, lui-même, l’inventaire de ses mérites : « J’ai été le seul chef de l’État qui a reçu les opposants de Kadhafi, qui s’est battu à l’ONU pour que nous ayons un mandat pour que ce dictateur parmi les plus sanglants qu’ait connus le XXème siècle, ne puisse plus continuer à imposer la terreur à son peuple », cela renvoie à 2011 et à la guerre.
Nicolas Sarkozy, accolant deux périodes durant lesquelles il a eu un comportement opposé, ne peut se prévaloir de 2011, c’est-à-dire de l’époque où il a fait bombarder et détruire la Libye, où il a fait agresser le peuple libyen, et où il a donné l’ordre d’assassiner celui qui était devenu son pire ennemi, pour masquer 2007, c’est-à-dire l’époque antérieure où, ayant besoin de la Libye, il courtisait le « dictateur Kadhafi » et la « bande de Kadhafi »… « Monsieur Kadhafi, je suis enchanté de vous parler. Je n’ai pas oublié notre rencontre. Je garde un excellent souvenir de la qualité de vos analyses. Vous méritez amplement votre titre de Guide. » « Oui, monsieur le Guide. J’espère vous recevoir en France ou me rendre en Libye » « Je vous exprime mes respects et mon amitié, monsieur le Guide. »
Pour plus d’informations, voir mon ouvrage La Libye révolutionnaire dans le monde (19692011), Éditions Paroles Vives 2014, accessible en cliquant sur le lien
https://unefrancearefaire.com/2018/01/17/la-libye-revolutionnaire-dans-le-monde-1969-2011/
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