Michel Galy explose ! Le Roi Ouattara est nu, le Roi est mortel. Les scénarii qui se dégagent

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Depuis 2000, et en tout cas 2002 – avec un point culminant en 2010- 2011 – se poursuit une « guerre médiatique » qui ne dit pas son nom. Pour reprendre Gramsci, l’hégémonie dans le champ des idées et des représentations est un préalable à un changement politique, voire militaire. « Le pouvoir est une Idée », il n’est pas que ça, mais en dehors des appareils d’Etat formels et informels de la répression, il est bien plus fragile qu’on ne pense. Il dépend de représentations partagées – ou non, non seulement du pré- sent du pouvoir –, de la qualification que l’on donne au régime – dictature ou « démocratie irréversible », qu’ils disent – mais aussi de son avenir, ou de sa disparition.   «Le roi est nu», en tout cas mortel On postulera que la Côte d’Ivoire, à travers les images tragi-comiques de l’état de santé de son chef de l’Etat en exercice, vient de traverser une crise de représentation, celle du présent et de l’avenir du pouvoir. Des images publiques, des commentaires des réseaux sociaux mondialisés, des actes performatifs (« je suis là », « le pouvoir existe »), des négations, de la propagande et des méthodes de communication, des incohérences, des absences… se greffent sur un très vieux fonds, celui des représentations culturelles du pouvoir. A la fin d’Houphouët-Boigny, ne disait- on pas qu’il s’agissait déjà d’une effigie, d’un simulacre, qui partirait en fumée lors de sa disparition ? Cette interprétation « sorcière » du pouvoir, maléfique, « en double » dit-on sur les lagunes, vient d’être réactivée : de quoi « Ouattara » est-il le Nom, le Signifiant, en quelque sorte ? Y a-t-il un double, un sosie, une « photocopie» ? Un mort et un vivant ? Et si le dédoublement du personnage était déjà là, sur la durée ? Lequel est le bon ? Docteur Ouattara, ou Mister Alassane ? Celui des Occidentaux, l’homme du FMI, ou le « père de la rébellion », le responsable politique d’irréguliers dozos, de mercenaires, et donc d’actes de génocides à Duekoué, ailleurs de crimes de guerre ? Du point de vue anthropologique, on sait l’homologie entre le « corps du Souverain » et celui de l’Etat. Tout d’un coup par son retrait réitéré du territoire ivoirien, par ses absences physiques, le pouvoir de la rébellion, qu’on avait cru institutionnalisé, vacillait. Et même actuellement, on voit bien dans les chancelleries que le pouvoir est fragilisé, le FPI et les mouvements sociaux en pleine effervescence, si ce n’est reconquête. Les alliances extérieures sont tout aussi fragilisées : de cette situation incertaine, labile, le président français, sous l’influence des « Services », ne viendra pas avant des mois. Le Burkina Faso, la « base arrière » de Ouagadougou, où les chefs rebelles font construire et cachent le fruit de leurs rapines est aussi fragilisé : théorie à confirmer des « dominos démocratiques»? Un avenir incertain La question renouvelée de la légitimité, celle des alliances extérieures, celle des fiefs et de la « géopolitique » à l’ivoirienne : rien n’est résolu, tout redevient en débat. Il est par ailleurs probable qu’Hollande soit plus sur une « ligne Jospin », concernant la Cote d’Ivoire, que sur un interventionnisme à la Sarkozy. Plutôt un « laisser faire, laisser aller » (en termes sociaux démocrates : « ni ingérence, ni indifférence », après tout on ne leur en demande pas plus…) plutôt que la « démocratie par les bombes ». Malgré l’influence du « complexe militaro-colonial », la pente semble plus à accompagner les évolutions, comme lors de la chute de Bédié, que d’envoyer des hélicoptères d’assaut mitrailler des civils : pour les socialistes parisiens, pas d’autre « coup d’Etat franco-onusien » en vue ? Cela serait trop dire, quand un abîme s’ouvre devant le pouvoir, et peut être – référence foucaldienne oblige – devant les pouvoirs. Car si le « chef de l’Etat » actuel était trop diminué pour gouverner (ou disparaissait), qui ? Ce que les analystes n’ont pas vu, c’est que la question se pose sous l’angle légitimité vs léga- lité – et à tous les partis –, ce qui rend les incertitudes très dangereuses, et les factions prêtes à nouveau à recourir à la violence politico-militaire. Si l’on se place dans l’hypothèse d’élections ouvertes (et on en est loin…), nul ne voit Henri Konan Bédié diminué par l’âge et les addictions (mais l’addiction au pouvoir est un paramètre ambigu…) redevenir président. Et si Affi Nguessan a le vent en poupe, il n’est qu’un pouvoir « vicariant » (à la place de-), le président Laurent Gbagbo devant être ou non libéré, source d’incertitude fondamentale. Quant aux dissertations des constitutionnalistes, elles semblent dérisoires si l’on considère d’un côté l’illégitimité du pouvoir pour au moins la moitié du pays – et tout simplement si l’on envisage l’Histoire même de la Côte d’Ivoire : jamais une succession ne s’est passée dans l’ordre tranquille des textes. Et d’ailleurs, comment respecter une Constitution que la coalition au pouvoir, s’appuyant sur des puissances étrangères, a violé en refusant son instance suprême de légitimation : le Conseil Constitutionnel ? Il s’agit donc de rapports de force, dont la population – pour une part à l’aguet des mouvements du monde arabe, de la cyberguerre, voire de la guérilla urbaine – peut-être un des pôles. Ou non. L’essentiel se passant entre Guillaume Soro, le chef des chefs de guerre, se rengorgeant de ses fonctions parlementaires qui en font le successeur virtuel – et très virtuel… Et d’un ministre à la Pasqua, (…) tenant un des « Ministères de force », l’Intérieur : Hamed Bakayogo, responsable de l’archipel du Goulag ivoirien, des centres de tortures urbaines de la DST, est certainement l’âme damnée de Ouattara, et celui des basses œuvres : il ne peut en aucun cas être reconnu à l’international. Quant à Soro, le système judiciaire français se rapproche d’une interpellation ; et peut-être aussi celui, très contesté, de la justice internationale: les USA, notamment, le verraient bien, pour «rééquilibrage», à la CPI. Restent les corps parallèles, la « Seleka » ouattariste : dozos quasi pré- historiques et « FRCI » mercenaires et incontrôlés se verraient bien reprendre du service comme en 2011 : leur « programme » de meurtres, viols, pillages (qui s’est poursuivi, en mineur, de manière sporadique) signerait un scénario à la libérienne et sans doute une contre-violence. De fait l’armée ivoirienne – et volontairement pour Félix Houphouët-Boigny, qui ne voulait pas de coup d’Etat prétorien –, c’est encore et toujours le 43° BIMA et la « force Licorne ». Coup d’Etat et pillages ne se passent toujours que sous « couvert des Maîtres ». Des pouvoirs éclatés devant la faiblesse d’un simulacre C’est donc à la fois ce jeu entre trois blocs représentant chacun plus ou moins un tiers de l’électorat et alternativement alliés deux à deux et à la présence/absence des prétendants traditionnels qu’il faut penser. Mais dans un pays extraverti, l’inscription d’un million de Burkinabé et Sahéliens rebaptisés « apatrides » risque de mettre plus vite le feu aux poudres : une modification irréversible du corps électoral donnant à jamais des majorités au «clan Ouattara et à son bloc ne peut que reformer l’alliance FPI/PDCI, ces derniers ne pouvant assumer un suicide électoral historique.» Les scénarios à venir doivent intégrer comme « tiers » invisible » (en sus des blocs et des partis) la scène internationale. Jeu des alliances, quand l’Anschluss Burkina-Côte d’Ivoire renforce les doutes sur la nationalité de M. Ouattara. Quelle sera la place des USA, des pays de la CEDEAO, de l’Union africaine (Angola, Afrique du Sud, Nigeria…) ? Et surtout de la France, c’est à dire surtout de l’Elysée, du réseau militaire au cœur du pouvoir (et non seulement du Ministère de la Défense) et du Quai d’Orsay ? Au risque de décevoir les amateurs de scenarii simples et de solutions faciles, la multiplicité des acteurs augure plutôt d’une complexité accrue de la scène politique. D’autant qu’au delà du référant occidental, se trament des jeux complexes d’ethnicité, d’identité, de renouvellement des élites – selon de nouvelles catégories d’âge. A moins que pour suivre Michelet, le « peuple », cette entité multiforme (la « Multitude » dit Tonio Négri), indéfinissable et incontrôlable, prenne la rue et le pouvoir, qui en principe et en dernière instance, lui revient. Il serait alors probable que l’opposition aurait involontairement, pour se faire, créé une « situation » inédite, qui pourrait alors lui échapper en partie… Tout cela parce que lors d’une crise personnelle, amplifiée par la guerre médiatique et le vacillement de représentations, le pouvoir a bien révélé son manque de légitimité, suspendu à la vie ou la mort d’un homme : au-delà du Masque de l’Etat, un Simulacre. Michel Galy Politologue

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