Sarkozy est retourné en campagne dès le jour de la passation des pouvoirs avec Hollande, surtout meurtri, blessé du fait qu’après la cérémonie, son successeur n’a pas daigné l’accompagner jusqu’à sa voiture et l’a laissé seul comme un grand, non, comme un petit, c’est pareil, sur le tapis…rouge, en compagnie de sa consolatrice Carla Bruni.
Quelle humiliation! Ni la claque qui l’attendait à la sortie du Palais de l’Élysée, ni le jogging auquel il s’était livré en rentrant chez lui une fois symboliquement débarrassé de son dernier costume de président ne lui ont permis de vider le trop plein d’amertume de son cœur. Une vengeance s’impose, devenue une hantise chez cet agité perpétuel, que depuis lors, il n’a cessé de ruminer, avec ses « amis » qui, évidemment se sont constitués en groupe restreint au sein de la classe dirigeante de l’UMP. Ajouter à l’amertume de la perte du pouvoir, tout récemment, la petite phrase de Hollande, prononcée au dernier Salon de l’agriculture que l’on pourrait croire innocente puisqu’elle se voulait humoristique et s’adressait à une petite fille qui lui parlait de Sarkozy: « Eh bien, tu ne le verras plus! ». Il n’en faut pas plus pour que toute la chapelle UMP se mette en ébullition. Chez nous, on dirait : « Vodoua gli », pour décrire la colère, la réaction violente des adeptes d’un couvent quand un des leurs à été insulté par un profane. Ressentiment, désir de vengeance, mesquinerie consistant à vouloir à tout prix détruire ce que l’adversaire tente de construire, surtout l’image que l’adversaire essaie, tant bien que mal de donner de lui-même… de défenseur de la liberté, des droits humains dans le monde ( ce que Sarkozy aimerait bien que l’on dise de lui, témoin le discours laudateur en son honneur d‘Ingrid Betancourt à la réunion des Amis de Sarkozy ) au fond, tout cela fait partie de la politique politicienne que Sarkozy ( il s’y connaît !) feint de regarder avec dédain, mais à laquelle, en fait, il n’a pas la force morale ou philosophique suffisante de renoncer, cela ne nous intéresse pas outre-mesure.
Un ami français m’a déclaré un jour, alors que nous parlions d’Eyadema : « chaque pays a les dirigeants qu’il mérite ». Sur ce plan, que ce soit Sarkozy ou que ce soit Hollande, ce sont les Français seuls qui peuvent dire qui ils méritent.
Mais, là où la phase actuelle du duel Sarkozy-Hollande ne peut nous laisser indifférents, c’est lorsqu’ils parlent de l’Afrique, et dans l’actualité brûlante, du Mali. Sarkozy qui, je l’ai dit, n’a pas fini d’être en campagne, « pas par envie » mais « par devoir », « uniquement parce qu’il s’agit de la France », a dans des propos publiés récemment, dans le magazine Valeurs actuelles émis l’interrogation : « Que fait-on là-bas?». Bien sûr que Hollande lui a répondu en développant l’argumentation que nous connaissons, des hommes et des femmes à libérer des exactions des Djihadistes, des biens culturels à sauver et surtout de l’État malien à sauvegarder. Il n’empêche que l’interrogation de Sarkozy, en dépit de son référent parfaitement subjectif, de l’englobé politicien rétrécissant de ce « on », nous interpelle en tant qu’Africains. Le « on » de cette phrase est bien loin d’englober les Maliens et les Français, et les Africains comme dans les premiers discours de Hollande et de Dioncounda Traoré qui eux, au tout début de l’intervention française, utilisaient le « nous ». Sarkozy aurait pu citer Jean Genet ( je ne doute pas qu’il le connaisse), non pas tout à fait dans le sens du dramaturge, mais dans son sens propre à lui, Sarkozy: « Que les Nègres se nègrent! » entre eux, c’est-à-dire qu’ils se comportent conformément aux idées reçues que l’on a d’eux et auxquelles eux-mêmes, parfois, stupidement s’identifient, que les uns amputent les autres, que certains détruisent leur propre État, qu’ils se massacrent les uns les autres… Que lui importe, puisqu’il ne s’agit pas de la France. Or, les présidents malien et français actuels ont déclaré : « Nous allons gagner…Nous avons remporté des victoires… ». Le « on » de Sarkozy signifie, sans conteste la France, les militaires français, le budget français, les avions et les blindés français… A cette dichotomie « on » vs « nous », correspond une distinction bien précise des espaces : là-bas vs ici. Du coup, tout risque de s’effriter car Sarkozy, même s’il n’est plus président, même si, parfois, il confond facilement sa propre personne et la France, est dans les sondages crédité d’une popularité auprès des militants de l’UMP égale à plus de 68 %. Ce qui risque de s’effriter, ce sont les 75% d’opinion favorable sur l’intervention française au Mali, pourcentage qui aujourd’hui serait déjà tombé à 65%. Il arrivera sûrement un moment où une majorité de Français se posera la question de Sarkozy ( remarquez que pendant le quinquennat de ce dernier, Laurent Fabius, l’actuel ministre des Affaires étrangères se posait la même question au sujet de la présence militaire française en Afghanistan, c’est de bonne guerre ), où une majorité de Français se demandera pourquoi des militaires français meurent « là-bas »( on en dénombre déjà quatre), pourquoi l’argent du contribuable français est gaspillé « là-bas » dans ce désert …
Les meilleures armes, les meilleurs moyens souvent usés par Sarkozy, cet animal politique ( ce n’est pas une insulte, mais une description des mœurs de la gent, en particulier de son âpreté à dévorer et de la ruse qu’elle met en œuvre, toujours à l’affût, pour se jeter sur sa proie ) sont le doute et la peur, pour pulvériser le bloc d’opinions favorables autour de l’offensive de Hollande au Mali, sa seule action qui, jusqu’ici rassemble une majorité de Français. Et Sarkozy veut détruire ce consensus pour la France! déclare-t-il. Visiblement, cet homme méprise ses compatriotes, à commencer par ceux de son propre camp qui pourraient lui ravir la vedette. Ce n’est pas seulement son premier ministre Fillon réduit au statut de collaborateur, mais c’est aussi le même Fillon, candidat à la tête de l’UMP et son rival Copé à qui il se croit investi du pouvoir de lancer un ultimatum à l’expiration duquel il les disqualifierait s’ils ne réussissaient pas à s’entendre à l’issue d’une élection litigieuse.
Un bon dosage de doute et de peur dont Sarkozy a le secret, dans l’esprit des Français et le tour est joué. En réalité, hormis le cadre institutionnel et les pratiques démocratiques de longue date, garde-fous pour empêcher ces hommes de donner libre cours à leurs instincts les plus bas, nous n’avons rien à envier à cette gent.
Les questions sont : Hollande, pourra-t-il toujours convaincre l’opinion avec les mêmes arguments contre Sarkozy et ses amis? Arrivera-t-il même à convaincre les Français et peut-être les Européens qu’éliminer les Djihadistes du Mali, du Maghreb, c’est protéger la France contre les attentats qui peuvent atteindre le territoire français, le territoire européen, enrayer les risques de prises d’otages français et européens « là-bas »? Dans mon article du 6 février j’ai bien prévu ce temps où il ne sera plus très aisé de dire « nous » sans préciser de qui on parle. Et j’avais aussi posé la question de savoir ce que fera le Mali, ce que fera l’Afrique quand ce moment viendra. Nul ne peut dire avec certitude quand ce moment viendra.
Je ne parle pas de l’annonce faite par Hollande d’amorcer le retrait des troupes françaises à partir de ce mois d’avril, (c’est l’aspect officiel de la chose) mais de ce moment surtout où certains soldats français, même s’ils reçoivent toujours l’ordre de leur hiérarchie de poursuivre la guerre, ne se sentiront plus le moral de combattre pour une cause qui ne les concerne pas directement. Que l’on ne se berce pas d’illusions en pensant que seuls les soldats tchadiens, aguerris aux combats dans les terrains désertiques, rocailleux, difficiles comme celui du nord-Mali pourront valablement remplacer l’armée française si tôt. Je parlais de respnsabilités. Fera-t-on accepter à Sarkozy qu’il en a une dans la situation actuelle au Mali? Non! Dans tous les cas, ne demandez pas à Sarkozy ce que « lui, président » ( pour parler comme Hollande ) avait fait « là-bas » pour susciter tant de ressentiments contre sa personne, surtout parmi les intellectuels du continent. Seule compte pour ce personnage la France! N’arrivant pas tout à fait à obtenir d’Amadou Toumani Touré dit ATT pour cette France ce que les autres chefs d’État des anciennes colonies lui concédaient facilement, à savoir, en particulier, de jouer les gendarmes anti-émigration, en représailles, il a délibérément et cyniquement créé à ATTT des difficultés qui ont largement contribué à la déconfiture de l’État malien. Sarkozy, conviendra-t-il que le gros des armes de l’arsenal saisi aux rebelles au Mali provient de la Libye après la chute de Kadhafi, une de ses plus éclatantes victoires ? Non! Car les Français ne demanderont aucun compte à Sarkozy quant à des situations qu’il a créées par ses actions pas tout à fait réfléchies dans leurs tenants et leurs aboutissants, dans une bonne partie de l’Afrique. À moins qu’il ait fait exprès. En apparence, Sarkozy est quitte, tout au moins aux yeux de ceux dont il espère le suffrage en 2017, pour prendre sa revanche sur Hollande. Les comptes, ce sont les Maliens et aussi les Africains qui ont une certaine conscience que le Mali n’est pas le seul pays concerné, qui les demanderont, non pas à Sarkozy, ni à Hollande, mais à nos dirigeants africains. On les tiendra pour responsables de ce qu’ils font ou de ce qu’ils ne font pas là-bas, ou plutôt ici et maintenant.
Et, est-il admissible que cinquante ans après la proclamation de nos indépendances, nous dépendions encore de l’ancienne métropole, au point que les rivalités entre ses politiciens, que dis-je, les mesquineries auxquelles ils se livrent à des fins de pouvoir, rejaillissent sur nous, sur la stabilité de nos États, sur la vie et la sécurité de nos populations?
Sénouvo Agbota ZINSOU