Légalité contre légitimité: Gbagbo n’est pas un putschiste

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Depuis quelques jours, la couverture des médias est unanime : Alassane Dramane Ouattara a gagné l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire et Laurent Gbagbo tente de se maintenir au pouvoir contre le résultat des urnes.

Cette lecture des évènements nie la complexité et la spécificité de ce scrutin, le réduisant à une énième forfaiture d’un président-dictateur africain et renforçant l’image d’une Afrique composée de Républiques bananières décidément bien mal parties.

En prenant position de manière si nette et si partiale, l’ONU, l’Europe et la France en particulier, trop contente de donner des leçons à un Président qui s’était opposé à elle, ne font qu’attiser les rancœurs et les haines, et n’aide pas à une solution pacifique.

Ouattara connaissait les règles

Mettons les choses au clair tout de suite : tout le monde a conscience qu’Alassane Ouattara aurait dû gagner ces élections. Mais est-ce à l’ancienne puissance colonisatrice de proclamer les résultats ?

On reproche souvent aux dirigeants africains de ne pas respecter le droit, les constitutions et aujourd’hui on exige de la Côte d’Ivoire de proclamer son Président en dehors de tout cadre légal ? Une élection est une procédure juridique, pas une acclamation populaire.

Car la légalité est incontestablement du côté de Gbagbo. Ouattara connaissait les règles et les avait acceptées. Les médias français ne cessent de répéter que le Conseil constitutionnel est pro-Gbagbo, et ses décisions seraient en conséquent non-valides. CQFD.

Pourtant, le caractère partisan du Conseil constitutionnel français, que personne ne nie, n’autorise pas les médias français et encore moins les médias étrangers à rejeter ses décisions.

Le Conseil constitutionnel ivoirien est une institution souveraine. Passer outre représente un vrai danger pour la démocratie. Comme le disait Barack Obama a Accra, «l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions solides.»

Les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas tous des chefs de tribu clientélistes mais bien des magistrats compétents qui jugent en droit, avec la marge d’interprétation que leur autorise leur prérogative, exactement comme cela se passe en France.

Une CEI intègre, un Conseil constitutionnel partisan

Une vision binaire oppose une CEI -Commission électorale indépendante- intègre et un Conseil constitutionnel partisan. Mais quel média français, en dehors de RFI, a relayé que la CEI, est au deux tiers composée de partisans de Ouattarra ? Qui a informé que Youssouf Bakayoko, président de cette même CEI, est «pro-Ouattara» autant que Paul Yao N’Dré, le président du Conseil constitutionnel, est «pro-Gbagbo» ?

Où a-t-on pu lire que les résultats de la CEI proclamant la victoire de Ouattara ont été annoncés à partir de… son QG de campagne ? Quelle crédibilité donnerions-nous à une élection présidentielle française si ses résultats étaient délivrés du siège de l’UMP, rue de La Boétie ?

La réalité est pourtant simple : la plus haute institution de Côte d’Ivoire a décidé, au vu de différents éléments, d’annuler les résultats dans certains départements, comme cela se passe régulièrement en France, à Perpignan, à Corbeil-Essonnes, peut-être bientôt dans la région Ile-de-France. Rien ne nous permet de juger de la réalité ou non de ces fraudes, et de contester une décision qui a été prise en toute légalité.

Bien entendu, cette décision pose une question politique inévitable : en annulant en bloc les résultats de départements qui votent habituellement à plus de 80% pour le RDR de Ouattara, le Conseil constitutionnel a permis à Gbagbo de repasser en tête.

Or, fraude ou pas fraude, il est politiquement anormal (mais constitutionnellement valable) que certains départements n’aient pas pu exprimer leur vote. Laurent Gbagbo sait bien que sa défaite est trop large pour être imputée à de seules fraudes. Il s’oppose donc à l’idée de faire revoter ces départements.

Ne pas s’ingérer dans les affaires d’un Etat souverain

Pourtant, cette issue est la seule qui semble à même d’apaiser la Côte d’Ivoire. C’est sur ce point que pourraient jouer Ouattara et la communauté internationale. Il faut accepter le jeu institutionnel qui a invalidé certains résultats tout en déposant des recours pour faire revoter les habitants de Bouaké, Korhogo, Boundiali, Dabakala, Ferke, Katiola, Beoumi et Sakassou.

Il n’est pas normal que le vote de ces Ivoiriens ne soit pas pris en compte dans le résultat final. Quoi qu’on en dise, Laurent Gbagbo est un légaliste. Il respecte l’Etat de droit. Il est le seul président ivoirien à avoir accepté de perdre une élection -législative- en 2001 ouvrant une courte période de cohabitation avant l’irruption de la rébellion.

En tentant de s’imposer contre le droit, en revendiquant le soutien de la communauté internationale et de la France comme une source de légitimité, en nommant l’ex-chef de la rébellion, Guillaume Soro, Premier ministre, Alassane Ouattara joue un jeu très dangereux. Il donne raison rétrospectivement aux théories nationalistes de Gbagbo, il se présente comme le candidat de l’étranger qui veut s’imposer contre le cadre légal de son pays et il corrobore la théorie de ses accointances avec la rébellion. Laurent Gbagbo a beau jeu de dire maintenant aux Ivoiriens «Je vous l’avais bien dit».

Ni la France, ni l’ONU n’ont à s’ingérer dans les affaires d’un Etat souverain qui respecte le droit. Personne n’est intervenu de l’étranger pour demander la démission de Georges Bush en 2000, ou pour commenter le financement de la campagne de Balladur en 1995, voire même la nomination au ministère de l’Intégration d’un individu condamné pour injure raciale. On fait confiance à nos systèmes de régulation interne pour gérer les difficultés.

Le droit n’a pas été violé en Côte d’Ivoire. On peut commenter et critiquer une décision juridique sans menacer les institutions. On peut avoir un discours politique offensif sans contester le cadre constitutionnel. Mais ne nous permettons pas de parler de coup d’Etat quand les gendarmes français qui avaient tirés des balles meurtrières sur la foule en 2004 sont actuellement déployés dans les rues d’Abidjan.

Par Salmuek in Rue89.com le 7 décembre 2010

 

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