Dans son message de présentation des vœux pour l’année 2014, Alassane Dramane Ouattara nous a annoncé qu’en cette année de grâce 2014, il fera des miracles dans le pays et dans la sous région ouest africaine. Pour lui, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Des infrastructures en construction seront achevées et d’autres vont être engagées, toujours avec les mêmes propensions à la surfacturation et au gré à gré expressément voulu par le président, pressé comme il est de réaliser tous ses chantiers présentés comme prioritaires : troisième pont, échangeurs de la Riviera et de Marcory, autoroutes, ports et autres réhabilitations de centres de santé, d’écoles, d’universités etc. A partir de cette année, les Ivoiriens auront enfin de l’électricité et de l’eau à gogo, la couverture maladie universelle… La Côte d’Ivoire sera le premier pays africain à régler ses problèmes de fourniture d’eau et d’électricité et de santé. Ceci relève du miracle et tout est pour le mieux, pour lui, dans le meilleur des mondes.
Les premiers signes de l’émergence se verront avec le forum «Investir en Côte d’Ivoire» dont les seuls montants engagés dans l’affichage, la communication publicitaire sur les radios et télévisions internationales dénotent déjà du succès, avant même toute réforme des principes du Doing Business dans un pays dont l’Etat demeure encore désespérément défaillant et les libertés économiques étouffées. N’est-ce pas déjà un miracle ? Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes pour lui.
Il promet pour 2014, comme en 2013 et avant en 2012, d’amplifier la lutte contre la corruption, qui n’a pas encore commencé quand on voit les lauriers récoltés par notre pays au palmarès des Etats les plus corrompus du monde. Cela relève du miracle, vu que les principaux foyers de corruption sont dans son environnement immédiat et que le meilleur traitement qu’il leur a trouvé, c’est l’impunité. N’est-ce pas que pour lui, le poisson pourri d’abord par la queue et que tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Il promet une grande réforme du secteur de la sécurité, mais nous connaissons la chanson depuis le 11 avril 2011, avec les changements de cadres, les milliards programmés et dépensés, les réinsertions dont on nous bassine à longueur de journée mais qui nous laissent quand même avec les mêmes effectifs de supplétifs Dozos et d’ex combattants coupeurs de routes et braqueurs de toutes sortes. Sans un miracle, comment peut-il réussir ? Et dire que pour lui, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Il promet de continuer d’administrer les prix des produits agricoles que sont le cacao, le café, l’anacarde, le coton et de surtaxer l’hévéa et d’autres productions. Les paysans verront, grâce à lui et aux prélèvements qu’il leur impose, arriver la croissance dans leurs assiettes. Il compte réussir sans réformes du foncier rural et sans libéralisation des prix de produits agricoles, au moment où le marché international craint de se trouver en manque de produits dans la culture desquels notre pays s’est spécialisé avec des productions de 200 kg par hectare, là où nos concurrents émergents sont à plus de 2.000 kg par hectare, pour ne prendre que le cas du cacao. A moins d’un miracle, comment ferait-il ? Mais pour lui, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Il promet, avec une conception comptable de l’emploi, créer d’ici fin 2015 plus d’un million d’emplois pour les populations, rien qu’en s’endettant et en dépensant de l’argent public pour s’offrir des biens de consommation durable. A l’époque, les planificateurs français disaient «quand le bâtiment va, tout va». Aujourd’hui Ouattara lui dit «quand la dépense publique va, tout va». Lutter contre le chômage sur la base de malentendus relève du miracle. Tout est pour le mieux, pour lui, dans le meilleur des mondes.
Il promet, après la hausse du smig, d’augmenter les salaires des fonctionnaires, mais avec des incidences financières étalées sur cinq ans. Tout cela devrait-, dit-il, servir à augmenter le pouvoir d’achat des populations dans une période où il reconnaît lui-même que le coût de la vie a explosé. Sans accroissement de productivité, il impose des hausses de salaires que lui-même avait fait bloquer en 1990 alors qu’il était le premier ministre du tristement célèbre programme d’ajustement structurel qui nous aura conduit à la dévaluation du franc cfa. S’il n’y pas de miracle comment fera t’il pour ne pas se retrouver dans la situation du gouvernement ivoirien des années 1989-1990 ? Il faudra donc nécessairement un miracle pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Mais pour lui, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Il donne des ordres à la justice, assis face aux caméras de la Rti, qui est elle-même aux ordres, et instruit que les juges libèrent des prisonniers politiques. Sauf miracle, il est difficile de voir les juges ne pas exécuter ce qu’il leur a été ordonné en direct devant le monde entier. Tout n’est-il pas pour le mieux dans le meilleur des mondes pour nous tous, prisonniers aux chaines invisibles ?
Il promet la création prochaine de l’Ivoirien nouveau, la grande trouvaille du mandat. Quand on connait ses méthodes brutales, on ne peut s’empêcher de penser à l’homme nouveau que promettait Staline. Et pour Trotsky cet «homme sera beaucoup plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne humaine s’élèvera au niveau d’Aristote, de Goethe, de Marx. Et au-dessus de cette crête de montagnes s’élèveront de nouveaux sommets.» Tout un programme donc, qui ne touche pas aux institutions et aux incitations. Pour Ouattara, il va falloir changer artificiellement la nature de l’Ivoirien, en ignorant le fait que celui-ci ne fait que s’adapter continuellement, régime après régime, et qu’il est d’abord un humain comme tous les autres humains. Lui nous propose un Ivoirien nouveau. «En définitive, il faut bâtir une Côte d’Ivoire nouvelle et un Ivoirien nouveau dans l’union, la discipline et le travail. Cet Ivoirien nouveau devra s’approprier les valeurs du travail et prendre conscience de son rôle dans notre société́. Ensemble, nous y parviendrons. Je sais que nous sommes capables de donner le meilleur de nous-mêmes pour notre chère patrie.» L’homme nouveau dans un pays nouveau. Trotskistes de tous les bords, unissez-vous! Pour eux, le pouvoir c’est la militarisation de l’économie et le centralisme démocratique. Interprété par Ouattara, c’est le pouvoir aux mains des Dozos, des com’zones et des ex combattants avec un régime civil de parti unique. Cette volonté, il l’exprime clairement : «Dans ma volonté de rassembler toutes les filles et tous les fils de notre pays, j’ai instruit le gouvernement de poursuivre le dialogue avec l’opposition.» Si ce n’est pas par miracle, comment peut-il y arriver? Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
A côté des miracles qu’il promet, Ouattara en a réalisé un, en direct à la télévision nationale que nous finançons tous mais qui n’est réservée qu’à lui et son clan. Alors qu’il est capable, lorsqu’il est en campagne à Man, à Bouaké, à Korhogo, à Yamousssoukro, à Sakassou et partout à l’étranger, d’annoncer que son vœu le plus cher est d’être candidat unique pour le Rhdp et de demander un second mandat aux électeurs, le président a fait le miracle de présenter ses vœux officiels de 2014 sans évoquer son désir le plus cher. Il n’y a rien en face n’est-ce pas ?
La conséquence immédiate de ce dernier miracle, le seul concret, c’est qu’il n’a pas souhaité de réformes institutionnelles pour nous dire comment il fera pour que sa candidature unique soit acceptée au Rhdp.
Il n’a pas formulé le vœu de modifier la Constitution en 2014 pour y faire inscrire la vice-présidence et les modalités de présentation des candidatures couplées d’un président et un vice-président sur le même ticket.
Il n’a pas, dans le même sens, jugé nécessaire de nous dire si en 2014, il fera une réforme de la commission électorale prétendue indépendante.
Il n’a pas souhaité nous dire s’il entamera et terminera le recensement général de la population et de l’habitat en 2014.
Il n’a pas formulé le vœu de voir établir, en 2014, une liste électorale qui actualiserait celle de 2009.
Le président-candidat pour 2015 a réalisé le miracle de s’adresser à nous, sans à aucun moment formuler le vœu de voir en 2014 la mise en place des conditions les meilleures pour le déroulement des élections à venir, pourtant actuellement objet de toutes les inquiétudes au plan national et international.
2014, année de tous les miracles commence bien avec le premier d’entre eux.
Le Dr. Ouattara nous fait penser au docteur Pangloss, ce grand personnage de précepteur du célèbre conte philosophique «Candide» de Voltaire, dont le nom signifie «tout en langue» et dont la politique consiste à répéter, de façon inutile et prescriptive, que «tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles».
Lider