Le paradoxe de la croissance africaine

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Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, il est prévu que le taux de croissance en Afrique subsaharienne atteigne 5,3% en 2014, contre 4,7% l’année dernière. Comparé à d’autres blocs régionaux, la croissance prévue en Afrique subsaharienne la place au troisième rang, après celles de l’Asie de l’Est (7,2%) et de l’Asie du Sud (5,7%).Toutefois, le paradoxe de ces dernières années de croissance économique impressionnantes en Afrique est qu’elle a été accompagnée par la création de peu d’emploi, et cette tendance devrait se poursuivre.

De nombreux rapports ont attesté de l’existence de ce paradoxe. Ainsi, l’Organisation internationale du Travail souligne que 82% des travailleurs africains sont pauvres, parce qu’ils sont «coincés» dans le secteur informel de l’auto-emploi et n’ont pas de bons emplois salariés rémunérés. Un nouveau rapport des Nations Unies sur les perspectives économiques mondiales met en garde contre le danger de ce paradoxe qui est un problème dans de nombreux pays, à des degrés divers et pour des raisons différentes. En mai dernier, la Banque africaine de développement a mis en garde les gouvernements contre «l’instabilité politique» en raison de la flambée du chômage des jeunes. Environ 12 millions de jeunes entre dans la population active chaque année en Afrique et seulement un cinquième accèdent à un emploi. Raison pour laquelle tous les mois, nous entendons parler de jeunes désespérés noyés dans la Méditerranée en essayant de rejoindre l’Europe. Le printemps arabe, qui a renversé les gouvernements en Tunisie, en Libye et en Egypte, était une réaction au chômage anormalement élevé chez les jeunes.

Alors, pourquoi la croissance de l’emploi est si faible en Afrique alors que ses perspectives de croissance économique sont très bonnes, voire robustes ?

Tout d’abord, une grande partie de cette croissance économique «robuste» en Afrique, durant la dernière décennie, a été tirée par l’exportation de matières premières ou de ressources naturelles. McKinsey & Company estime que le boom des ressources représente 32% du PIB africain. Le problème avec une croissance tirée par les produits de base est qu’elle est fortement intensive en capital, avec peu d’impact sur l’emploi domestique.  En outre, rappelons que le développement économique découle de l’ajout de valeur aux ressources, pas seulement de leur exportation à l’état brut. C’est pourquoi l’économie de l’Angola a cru de 11,1% durant la décennie 2001-2010, soit le taux le plus rapide sur terre. Pourtant, 60 % des Angolais vivent dans l’extrême pauvreté. Les pays africains doivent désormais faciliter la croissance dans des secteurs clés intensifs en main-d’œuvre.

Ensuite, alors que l’Afrique a besoin d’investissements dans des secteurs tels que les infrastructures, la technologie et l’éducation, l’essentiel de ses ressources financières reste en fuite à l’étranger. En mai 2013, une étude conjointe de la Banque africaine de développement et du Global Financial Integrity a montré que, de 1980 à 2009, l’Afrique a perdu entre 1200 à 1400 milliards de dollars en flux financiers illicites : corruption, évasion fiscale et pots de vin. Ce montant représente plus de trois fois le montant total de l’aide étrangère reçue dans la même période et est vingt-huit fois plus élevé que les investissements directs étrangers annuels destinés à l’Afrique qui, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, ont atteint 50 milliards de dollars en 2012. L’Afrique supplie, alors qu’elle subit des fuites de capitaux, et qu’elle peut être considérée comme un créancier net si l’on réintègre la fuite des capitaux. En conséquence, si cette tendance était inversée, l’Afrique serait en mesure de résoudre tous ses problèmes économiques sans aide extérieure.

Enfin, il n’y a pas d’industrialisation, pas même dans la production agricole. Il devient plus cher de fabriquer des produits en Asie en raison de la hausse des coûts de la main-d’œuvre. Cela, présente des opportunités sans précédent pour l’Afrique qui a l’opportunité de se lancer dans le secteur manufacturier, une industrie intensive en main-d’œuvre qui pourrait résoudre le problème persistant et généralisé du chômage. En octobre dernier, la Banque africaine de développement a déclaré, à juste titre, que «l’industrialisation est une condition préalable pour la transformation économique de l’Afrique». L’industrie représente moins de 10 % du PIB en l’Afrique et emploie encore moins de ce pourcentage, une structure malsaine pour de nombreux pays riches en ressources. Quant à l’agriculture, sa part dans le PIB, selon les estimations de l’OCDE, est seulement de 12%,  alors qu’elle emploie plus de 60%. Cela montre que la richesse en Afrique n’est pas là où les gens se trouvent. C’est le paradoxe de l’«impressionnante» croissance économique de l’Afrique avec un marché du travail toujours atone.

S’attaquer à cette question complexe prendra du temps, des années ou même des décennies, mais les décideurs doivent comprendre  ces causes profondes et les limites du gouvernement dans la création annuelle d’emplois  comme une réponse à la crise. Les véritables causes sont de nature structurelle et doivent être traitées comme telles.

Obadias Ndaba est  analyste pour Libre Afrique

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