Le coup de Talon…

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Véritable camouflet pour la Françafrique, la large défaite enregistrée par Lionel Zinsou face à Patrice Talon à la présidentielle béninoise, marque le premier échec véritable de la France dans sa stratégie de recolonisation sournoise de l’Afrique de L’Ouest. Dans le contexte décérébrant de la Guerre contre le Terrorisme, ce non clair et sans bavure du corps électoral béninois est à savourer.

Parce qu’il convient de concevoir l’histoire sur un temps long et non de la décrypter en 140 caractères selon les règles de l’instantanéité et du storytelling de l’infotainment, caractéristiques déplorables des chaînes de désinformation en continu, il est utile de revenir brièvement sur la défaite de Lionel Zinsou, ou plus précisément sur la toute fraîche victoire de Patrice Talon à l’élection présidentielle béninoise.

Le 16 janvier 1977, « l’Opération Crevette », tentative de putsch menée par Bob Denard, barbouze-fonctionnaire représentant la France, se solde par un échec cinglant.
Les putschistes, mis en déroute au pied de la passerelle de leur avion qui vient de se poser sur le tarmac de l’aéroport de Cotonou, battent piteusement en retraite, et se voient dans l’obligation de redécoller afin de sauver leur peau et celle du pion se trouvant dans la carlingue, qu’ils comptaient réinstaller à la tête de l’ancien Dahomey.

C’est une gifle monumentale qui vient d’être assénée à la France impérialiste par les forces armées de ce pays, petit par sa superficie mais grand par un peuple dont l’insoumission ontologique (que d’aucuns qualifieraient de pathologique) fut incarnée par le Roi Béhanzin et ses Amazones.
Peu de gens se rappellent, ou beaucoup ont oublié, le nom du pantin que la France ambitionnait d’introniser par les armes à la tête de l’état béninois et se trouvant, tel un David Dacko, dans l’avion important un coup d’état estampillé Françafrique.
Cet homme s’appelle (car toujours vivant), Émile Derlin Zinsou et est, ironie de l’Histoire, l’oncle de Lionel Zinsou.

Ainsi l’inféodation à la France, l’à-plat-ventrisme, la trahison des intérêts supérieurs du peuple béninois sont affaire de famille…

Ce court détour effectué par les vicissitudes de l’histoire du Bénin que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, permet de remettre le baobab au centre du village et de prendre conscience de la valeur symbolique du coup de Talon asséné par le peuple béninois à l’ectoplasme politique qu’est Lionel Zinsou.

Car si les méthodes ont évolué et les pratiques se sont adoucies, le parachutage de ce valet de la finance internationale, véritable agent français en mission commandée, avait la saveur acide de l’impérialisme à la papa.

Une saveur matinée de l’acre goût du sang que les ivoiriens ont redécouverts en 2010, à la faveur du coup d’état ayant installé Alassane Ouattara, pion local de la France impérialiste, à la tête d’un état ivoirien redevenu excroissance administrative de l’ex-métropole.

Le 18 juin 2015, l’équation béninoise se présentait simple à la nomination de Zinsou au poste taillé sur mesure, et ex-nihilo, de Premier Ministre.

Il était à craindre que, nimbé de l’aura fabriquée par les médias français et la propagande éhontée, voire mensongère afférente, tel le serpent subjuguant Ève, il séduise le peuple béninois par de viles techniques marketing, le brouhaha médiatique et une campagne bling-bling, ces armes de lobotomisation massives lui dessinant l’opportunité de ravir la magistrature suprême.

Dans le théâtre d’ombre que sont les jeux politiques, le parachutage de l’ancienne plume de Laurent Fabius, co-rédacteur du rapport Védrine plaidant pour une recolonisation déguisée de l’Afrique, attachée viscéralement à son maître blanc, au point de considérer la Françafrique comme un mythe, son parachutage donc, s’opérait en pleine lumière.

Il apparaissait que la France, négligeant la forme, certes minimaliste, du respect à feindre envers des africains toujours en laisse mais convaincus d’être indépendants, avait unilatéralement décidé d’installer, tel un préfet nommé, son missi dominici.

Mal lui en a pris, puisque les béninois, préférant se faire déplumer par un des leurs, ont ostensiblement dédaigné l’offrande empoisonnée que représentait un Zinsou président.
La pomme ne tombant jamais loin de l’arbre, on ne peut que saluer la justesse du choix du peuple béninois.

Cependant, la victoire à la Pyrrhus de Patrice Talon, bien qu’incontestablement libératrice (Les béninois ne seront pas les perdreaux de l’année et pourront fièrement se réclamer du résultat du vote), est emblématique de la confiscation du bien commun, l’état béninois, par les forces ploutocrates qui n’ont d’intérêts que particuliers.
Talon, n’est pas un révolutionnaire visionnaire, il est d’ailleurs tout le contraire: c’est un homme d’affaire terre à terre.
Individualiste forcené par définition et destination, il promouvra invariablement une gestion favorable au capital et ne peut en rien être imaginé comme un contempteur de la division internationale du travail qui est à l’origine de son immense fortune.
Au-delà même de sa vision économique, il marque la promotion par l’exemple des valeurs délétères et mortifères de l’argent-roi dans des sociétés africaines qui sont, ne l’oublions pas, structurellement génératrices de pauvres et de pauvreté.

Aujourd’hui le Bénin compte plus d’indigents qu’au moment de sa factice indépendance et ne comptez pas sur Patrice Talon pour réduire le « gap », comme le nomment les anglo-saxons, entre ultra-riches et ultra-pauvres.
Ces considérations dûment dotées, garde-fous indispensables à des espérances irrationnelles dans l’action future de l’impétrant à la fonction présidentielle, il reste à savourer l’aspect symbolique et psychologique de sa victoire, véritable camouflet infligé à une France sur le retour dans la sous-région, que les africains patriotes contestent de plus en plus bruyamment.

Les époques changent, les préventions s’effacent. L’africain finira par surmonter ses dernières réticences et accepter de combattre frontalement une ex-puissance coloniale à nouveau menaçante, par tous les moyens mis à sa disposition, y compris par la force et la violence lorsque celles-ci s’avéreront nécessaire.

Félicitons chaudement le peuple béninois pour sa lucidité et sa clairvoyance, au regard de la puissante machine à décérébrer fonctionnant à plein régime, qu’un Yayi Boni, plus servile et courbé que jamais, avait enclenché.
En décidant de nommer Lionel Zinsou au poste de Premier Ministre, il se proposait de paver à l’avantage de ce dernier, une ligne droite et sans bosse jusqu’au palais présidentiel, mais les urnes ont révélé l’ampleur de sa méprise quant à la nature profonde de l’âme béninoise.

Yayi Boni a méconnu que ce peuple, par essence indompté et indomptable, n’a toujours pas digéré l’humiliation de la colonisation française et qu’à l’instar de la jeunesse africaine de ce début de XXIème siècle, est résolu à ne plus obéir aux injonctions du parti de l’étranger.
Ainsi, ce qui avait échoué par les armes en 1977 avait pour vocation de capoter lamentablement par la voie des urnes en 2016.

Voilà le principal enseignement et la leçon que les historiens consigneront à l’attention de la jeunesse béninoise, des générations futures et de l’Afrique toute entière…

Ahouansou Séyivé 

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