La Commission électorale nationale autonome (Cena) a proclamé les résultats de la présidentielle du 13 mars 2011 au Bénin. En attendant la validation par la Cour constitutionnelle, le président Boni Yayi est donné vainqueur dès le premier tour avec 53,1% des suffrages. Mais l’opposition conteste et menace de descendre dans la rue.
Selon les grandes tendances des résultats officiels provisoires de la Cena, le président sortant Boni Yayi a totalisé 53,1% des voix contre 35,65% pour son grand rival Me Adrien Houngbédji, loin devant le troisième Abdoulaye Bio Tchané avec 6,28%, au nombre des 14 candidats en lice au départ.
Ces résultats ont été précédés par une houleuse bataille postélectorale. Le camp du président sortant, les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), et celui de Me Adrien Houngbédji, l’Union fait la nation (UN), s’envoyant à la figure leurs chiffres. L’un et l’autre revendiquant la victoire. Sur fond d’accusations envers le régime en place de fraudes massives qui ont entraîné au préalable des manifestations de l’opposition à la Cena.
L’opposition dénonce des fraudes
A peu de choses près, la proclamation des résultats officiels de la présidentielle béninoise s’est en effet déroulée dans un scénario à l’ivoirienne. Auparavant, Parfait Ahoyo, assistant de Me Adrien Houngbédji, et Clotaire Olihidé du secrétariat administratif permanent de la Cena, soupçonnés de travailler pour l’opposition, ont été arrêtés et conduits devant le procureur de la République. Et c’est même après une échauffourée entre certains membres qui voulaient donner les résultats et d’autres l’empêcher physiquement que la proclamation a eu lieu. Non sans l’appui des forces de l’ordre.
«Nous ne reconnaissons pas les résultats qu’il veut annoncer. Gnonlonfoun [Joseph Gnonlonfoun, le président de la Cena] et sa bande veulent mettre le pays à feu et à sang», a déclaré Edouard Aho, un membre de la Commission électorale proche de l’opposition.
Dans le contexte de tension qui a suivi le scrutin, l’Union fait la nation a prévenu le camp du président sortant qu’elle n’accepterait pas des résultats frauduleux. «Nous aurons deux présidents et nous allons chasser Boni Yayi de Cotonou», a déclaré le député Eric Houndété de l’UN. L’opposition dénonce, entre autres, des bureaux fictifs, des bourrages d’urnes, des votants dont le nombre dépasse celui des inscrits dans le département du Borgou d’où est originaire le président Boni Yayi, l’arrivée d’urnes non scellées à la Cena en provenance du même département, le transport de bulletins par hélicoptère à destination de sa ville natale de Tchaourou.
Le modèle démocratique entaché
De toute évidence, l’organisation de la présidentielle du 13 mars a connu d’énormes dysfonctionnements qui entachent aujourd’hui le modèle démocratique béninois. Il s’agit notamment de la non inscription de centaines de milliers d’électeurs sur le fichier électoral, la non publication de la liste électorale avant le vote conformément à la loi et bien d’autres ratés. Mais ce sont surtout les tricheries sous toutes les formes au moyen de la corruption qui font passer le Bénin du «laboratoire de la démocratie» à la «démocratie la plus corrompue» en Afrique. Fragilisant ainsi du coup nombre de ses institutions. Quand on sait que les institutions ne valent que ce que valent les hommes chargés de les diriger.
Toutes proportions gardées, c’est seulement du Front des organisations de la société civile (FORS) que les Béninois peuvent encore être fiers. En amont comme en aval, il a pleinement joué son rôle. Parfois sans être ni écouté ni bien compris. Selon que ses positions n’arrangeaient pas les uns et les autres. Une société civile qui a fort à faire pour sauver ce qui reste des acquis démocratiques issus de la Conférence nationale souveraine de février 1990 qui a ouvert la voie de l’apprentissage démocratique au Bénin. Après dix-sept ans de dictature et de parti unique.
Boni Yayi fête sa victoire
En attendant le verdict de la Cour constitutionnelle suite aux nombreux recours qu’elle aura à connaître, le camp du président sortant a déjà commencé à célébrer sa victoire. Une première dès le premier tour en vingt ans de démocratie et cinq élections. Pour Marcel de Souza, le porte-parole de Boni Yayi, les perdants doivent accepter leur défaite au lieu de jouer les mauvais perdants. Près de 2.000 partisans du président se sont massés devant son domicile à Cotonou peu après l’annonce des résultats provisoires.
A 58 ans, originaire de Tchaourou, au nord-est du Bénin, Boni Yayi, l’enfant de paysan, ne pouvait certainement pas imaginer un jour qu’il aurait un destin de banquier et de président. D’abord conseiller de l’ex-président Nicéphore Soglo, puis président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), il s’est fait élire en 2006 face à Me Adrien Houngbédji. Au grand dam de ce qu’on appelle la vieille classe politique dont les Béninois s’étaient lassés, pour cause de corruption. Mais contrairement à ce qu’ils attendaient, la corruption n’a pourtant pas régressé. Bien au contraire, elle s’est institutionnalisée avec des méthodes encore plus subtiles en cinq ans. Tant et si bien qu’on est tenté de conclure que les électeurs béninois sont en majorité à l’image de leurs dirigeants.
Les syndicats protestent
Avec cette réélection contestée, la situation sociopolitique va manifestement se crisper davantage. Surtout que les centrales syndicales s’en mêlent. «Si jamais ils osent tirer sur les gens comme à Abidjan, et bien ils verront ce peuple-là. Nous n’avons pas peur», a lancé Dieudonné Lokossou, le secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes (CSA) à la Bourse du travail. Ce qui laisse croire que les jours à venir risquent d’être très difficiles pour le Bénin. Un pays qui, au regard de cette présidentielle, a définitivement perdu l’un des oripeaux qui faisaient sa fierté dans toute l’Afrique: celui d’être le «laboratoire de la démocratie». Et il y a tout lieu de craindre qu’il se mette sur la mauvaise pente de la Côte d’Ivoire. Avec des conséquences dont nul ne saurait prédire à l’heure actuelle la portée.
«Si Yayi compte sur les militaires, l’armée n’est pas en dehors du peuple. Hormis leurs fusils, ils sont des hommes comme nous. Ils ne doivent pas oublier aussi qu’ils ont des femmes et des enfants et que ceux-ci ne sont pas des éléments des forces armées comme eux. Nous identifierons toux ceux qui vont oser tirer sur nous, et leurs familles paieront.» Ainsi s’exprimait un travailleur à Cotonou lorsque la Bourse du travail a été cernée par la police pour empêcher les travailleurs de manifester.
En visite au Bénin voisin le 18 mars, jour même de la proclamation des résultats, le président nigérian Goodluck Jonathan s’est permis de dire qu’il n’accepterait pas un conflit postélectoral au Bénin. Au moment où la Côte d’Ivoire est en proie à des violences postélectorales. Comme si le Bénin n’était pas un pays souverain et qu’il était un Etat du Nigeria ou à sa botte. Une déclaration tendancieuse et inadmissible que de nombreux Béninois n’ont pas du tout apprécié. Et c’est le moins que l’on puisse dire.
Marcus Boni Teiga