LOME, Lomé le dit: elle « rejette la famille Gnassingbé ». Lomé le dit : elle en a « marre de la misère ». Un parfum d’amertume flotte dimanche sur la capitale togolaise, fief de l’opposition, au lendemain de la réélection du président Faure Gnassingbé.
Dans le quartier de Bè, les plus bouillants s’agglutinent autour du siège de l’Union des Forces du changement (UFC) dont le candidat, Jean-Pierre Fabre, a obtenu entre 52% et 82% dans les cinq communes de Lomé.
En mina, la langue du sud, un homme harangue la foule: « Même si on n’est que trois, on ira jusqu’au bout », « le départ de Faure ou la mort! » Robe fleurie et visage buriné, une spectatrice, Charlotte Zigga, se lance soudain dans une petite diatribe face à des journalistes: « Moi-même, je vais manifester, sans rien dans les mains, jusqu’à ce qu’on prenne le pouvoir.
Lomé rejette la famille Gnassingbé au pouvoir depuis 43 ans ». « Eyadéma (au pouvoir de 1967 à 2005) n’était pas bon. Vraiment, il n’a rien fait pour le développement et nous terrorisait. Et maintenant, on nous dit que son fils va rester encore cinq ans (au pouvoir)? Mais Lomé l’a dit: elle ne veut pas de lui », affirme cette mère de trois enfants, âgée de 53 ans.
Un peu plus loin, sous un auvent, des jeunes hommes patientent, debout. « On est prêt pour aller manifester, on n’attend que le signal », déclame Reohson Koffi, 25 ans. Lomé la frondeuse semblait pourtant s’être calmée depuis 2005, fatiguée qu’elle était de la violence qui avait tué 400 à 500 personnes selon l’ONU, après la première élection contestée de Faure Gnassingbé, ex-ministre des Mines de son père. Mais la première présidence du « petit » (Faure) – crédité d’avoir décrispé la vie politique, créé 14.000 emplois de fonctionnaires ou bien encore favorisé la gratuité des frais de scolarité pour le primaire – n’a pas convaincu ici. « Il n’a rien fait pour nous, rien de rien », lâche Charlotte.
Et la plupart des Loméens interrogés par l’AFP restent persuadés que le RPT, le parti au pouvoir, a « fabriqué » les résultats de la présidentielle. Selon les chiffres officiels, Faure Gnassingbé a recueilli 60,92% des voix. Parmi les plus calmes – et les plus résignés – Joël Ayi déclare qu' »il n’a même pas voté ».
Dans la fraîcheur du cybercafé climatisé où il est employé, le jeune homme constate: « Ici, on est toujours pour l’UFC mais c’est toujours comme ça, c’est le RPT qui remporte l’élection ». Dans certains bureaux de la capitale, les votants n’atteignaient même pas la moitié du nombre des inscrits. Ce qui fait dire au pouvoir comme à l’opposition que l’UFC n’a pas fait le plein de ses voix. « C’est parce que les gens n’y croyaient plus, ou bien parce qu’ils avaient quitté le quartier la semaine dernière pour se rendre au village ou à l’extérieur du pays.
Ils avaient trop peur des violences », assure Joël. Sur l’immense plage orangée de Lomé, bordée de palmiers, parmi les centaines d’hommes qui couraient sur le sable dès 07H00, les partisans de l’UFC vidangeaient dimanche leur rancœur. Tous n’étaient pas en rage. Tous n’étaient pas déterminés à s’en aller manifester. Mais la plupart proclament, comme l’instituteur Augustin Djibon, 39 ans, en avoir « marre de la misère »: « Cette fois, on croyait bien que les choses allaient changer, mais non… »
Exhibant leur index noirci par le vote, une quinzaine de jeunes joggeurs se poussaient du coude pour parler: « Hier soir (samedi), il y a des mamans qui pleuraient après l’annonce des résultats. Et nous, on a peur de notre avenir tellement il est sombre! », s’exclamait Kodjo, nouveau votant de 18 ans.
Laurence BOUTREUX