L’Amérique n’a plus la puissance nécessaire pour une politique hégémonique

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Historien, Justin Vaïsse est directeur de recherche au « Center on the United States and Europe » et chercheur à la Brookings Institution, à Washington. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier, «La politique étrangère de Barack Obama», vient d’être publié, en France. Pour «Les Echos», il fait le point sur les dossiers chauds de politique étrangère, à la veille du troisième débat des candidats à l’élection présidentielle

Existe-t-il une doctrine Obama ?

Au sens étroit, oui: elle consiste à réduire l’empreinte militaire des Etats-Unis, notamment au Moyen-Orient. Retrait d’Iraq, réduction des troupes en Afghanistan -après une montée en puissance temporaire-et touche très légère en Libye, le fameux ‘leadership de l’arrière’. Aux interventions terrestres lourdes, le président substitue les instruments de guerre nouveaux: cyber-attaques, drones et raids des forces spéciales, moins coûteux financièrement et politiquement.

Cette approche reflète le fait qu’à son arrivée au pouvoir, les Etats-Unis s’étaient concentrés depuis huit ans sur les questions de sécurité et avaient engagé deux guerres coûteuses au Moyen-Orient, au détriment du reste de leur politique étrangère. Or, pendant cette période, Washington a raté la naissance d’un monde nouveau: montée en puissance des pays émergents, et en particulier de ce géant qu’est la Chine, et diminution de la puissance relative des Etats-Unis. Il lui faut donc pivoter.

Pivoter de quelle façon ?

De plusieurs manières: des guerres au sol vers ces modalités d’intervention militaire plus légères, des questions de sécurité vers les questions diplomatiques globales et les dossiers économiques, enfin du Moyen-Orient vers le monde en émergence et en particulier la région Asie-Pacifique, négligée par Bush. Ce rééquilibrage, c’est la grande idée d’Obama. Elle a été contrariée par le « printemps arabe », qui l’a forcé à se réinvestir dans la région, et par l’Iran. La guerre, en Libye, confirme ce pivot: elle n’a coûté qu’environ, 900 millions de dollars, et largement reposé sur les alliés européens.

C’est ce que les Républicains appellent ‘mener de l’arrière’ ?

Oui, ils y voient une abdication condamnable de leadership, presque une lâcheté. En réalité, c’est plutôt judicieux: l’Amérique n’a plus la puissance nécessaire, pour avoir une politique hégémonique comme celle de George W. Bush, il faut trouver des modes d’action moins coûteux tout en restant efficaces. C’est une question d’image aussi, il convient d’éviter de s’aliéner le reste du monde.

Comment les Etats-Unis ont-ils vécu le « printemps arabe » ?

Obama voulait donc se désengager, autant qu’il est possible, du Moyen-Orient, où l’Amérique a usé ses forces sans que cette région soit aussi importante pour l’avenir des Etats-Unis que l’Asie par exemple. Cela a en partie conditionné sa réponse au printemps arabe. Il a agi avec un grand pragmatisme, faisant du sur-mesure, ce qui a pu apparaître comme un manque de cohérence politique et moral. Pourquoi intervenir en Libye et pas en Syrie? Pourquoi lâcher le régime égyptien et pas le régime de Bahreïn? Il a surtout voulu éviter les engrenages.

Les Républicains sont-ils plus interventionnistes ?

Dans le discours. Mais il existe également une bonne dose de pragmatisme chez Mitt Romney, et l’humeur de l’opinion publique, y compris républicaine, n’est pas à l’interventionnisme. S’il est élu, il sera prêt à adapter sa position en fonction des circonstances, ce qui est plutôt, dans ce contexte, une qualité. Son discours du 8 octobre montrait à la fois une rhétorique néoconservatrice très dure et, dans les points d’application, une grande prudence. Il n’annonce pas une zone d’exclusion aérienne en Syrie. Il ne s’engage pas à attaquer l’Iran. Sa seule vraie différence avec Obama est le budget de la défense, qu’il souhaite augmenter sensiblement. Le journaliste James Traub a parlé d’une doctrine Romney de «plus d’ennemis, moins d’amis». Il s’agit de secouer les alliés pour qu’ils se mobilisent et de parler plus durement à la Chine ou à la Russie.

Israël semble aussi être un sujet qui divise Républicains et Démocrates?

Israël est un des grands échecs d’Obama, en raison de la stratégie choisie. Il a voulu mettre de la distance entre l’Amérique et Israël pour pouvoir obtenir la coopération des Etats arabes et amorcer ainsi un cercle vertueux de concessions réciproques. Cela n’a pas marché parce que Netanyahu s’est braqué tout de suite, et qu’Obama a négligé l’arbitre véritable de cette stratégie, à savoir l’opinion publique israélienne. Au bout de deux ans, il est passé en mode «damage control». Les républicains reprochent au président d’avoir été un mauvais allié d’Israël, ce qui est absurde parce que ce pays n’a jamais reçu autant d’argent des Etats-Unis, pour sa sécurité.

Est-ce qu’il n’y a pas une certaine indifférence des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe ?

Les Etats-Unis s’intéressent à d’autres acteurs du système international quand ils posent problème ou offrent des solutions, ce qui n’était pas vraiment le cas de l’Europe au cours des deux premières années. A partir de 2011, Obama est un peu revenu de son enthousiasme pour les puissances émergentes, qui n’étaient pas tout à fait prêtes à jouer le rôle majeur qu’il leur réservait. L’initiative Brésil-Turquie sur le nucléaire iranien, qui venait directement contredire la ligne américaine, a bien montré les limites de cette stratégie. A l’inverse, les Européens ont soutenu Obama sur les grands dossiers. On l’a vu en Libye, sur le printemps arabe ou sur le dossier iranien, où les sanctions économiques européennes sont un élément crucial. Les européens font donc davantage partie de la solution aux problèmes du monde… en même temps qu’ils sont redevenus un problème pour les Etats-Unis, à cause de la crise de l’euro.

Virginie Robert

 

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