1. INTRODUCTION : MIKHAÏL GORBATCHEV, L’HOMME QUI A CRU A LA PAIX AVEC LE MONDE OCCIDENTAL
Face à la réalité de l’offensive militaire russe lancée le 24 février 2022[1] en Ukraine, ce pays semble est devenu un « alibi » pour des règlements de compte non soldés de la guerre froide entre l’Ouest et l’Est. La réalité, la crise sur le terrain a bel et bien débuté il y a plus de huit ans et le non-respect des engagements de l’OTAN de s’élargir à l’Est suite à des arrangements qui ont conduit à la « Perestroïka » et la « Glasnost » « du feu Président de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) Mikhaïl Gorbatchev[2]. Il s’agissait officiellement d’une « restructuration » et de l’introduction de plus de « transparence » dans le système. En fait, il y a bien eu des réformes stratégiques-, militaires, économiques, sociales, et culturelles de l’Union soviétique entre avril 1985 été décembre 1991. Mais, le succès ne fut pas au rendez-vous. En filigrane, cela devait favoriser le rapprochement avec le monde occidental, et une certaine démocratisation doublée d’un démantèlement de l’empire soviétique.
Le vibrant hommage rendu à ce dernier suite à son décès par le bloc occidental tranche avec le sentiment partagés des officiels russes, partagés entre un soupir de soulagement et un sentiment d’inacceptation d’un « traître[3] ».
Mikhaïl Gorbatchev, né le 2 mars 1931 et mort le 30 août 2022 à 91 ans, a voulu changer l’Union soviétique en croyant à la paix. Il a tenté d’ouvrir le système soviétique, ce pacifiquement, à la démocratie et à l’alternance politique, à l’instar du modèle occidental. Certains citoyens russes y ont cru et ont payé de leur vie les chemins tortueux de la liberté et de la démocratie en Russie.
Mais, c’est aussi l’homme qui a démantelé au maximum le système d’armement de l’Union soviétique suite à son éviction du pouvoir d’où d’ailleurs, la réaction inverse avec l’avancée technologique que constituent les armes supersoniques[4], -comme « Zircon », un missile marin « invisible »-, présentées par le Président russe Vladimir Putin[5]. Pour les officiels russes, le feu Président Gorbatchev aurait contribué au démantèlement de la Russie et restera un co-responsable de la décision de l’OTAN à s’élargir vers l’Est sans craindre des mesures de rétorsion. La guerre d’Ukraine peut d’ailleurs, en partie, s’expliquer à partir des conséquences des actes posées par Mikhaïl Gorbatchev. Aussi, l’Afrique, -chefs d’Etat et Peuples africains-, refusent les postures dualistes que souhaitent le monde occidental voulait lui imposer.
2. SORTIR DES POSTURES MANICHEENNES
Pour mieux saisir la position africaine sur les « opérations spéciales russes[6] » dites « la guerre d’Ukraine[7] », il faut nécessairement s’extraire de la posture en termes de bien et de mal, une posture manichéenne et vraisemblablement erronée. En effet, la situation asymétrique étant complexe, il est possible de mettre en valeur quatre éléments qui sont déterminants dans la position tant des chefs d’Etat africains que de leurs homologues de l’OTAN, y compris les principaux chefs d’Etat européens :
-
- la redéfinition de la problématique de rapport de forces et la position africaine ;
- les provocations de l’OTAN et les opérations spéciales russes : entre l’élargissement vers l’Est et la défense légitime russe ;
- l’échec de la diplomatie multilatérale et la marche forcée vers un monde multipolaire ; et
- le non-alignement et la neutralité de l’Afrique
3. REDEFINITION DU RAPPORT DE FORCES ET LA POSITION AFRICAINE
Il s’agit d’une guerre entre Occidentaux, ce qui à priori ne concerne pas l’Afrique. D’ailleurs toutes tentatives des officiels africains d’avancer vers un cessez-le-feu, avec ou sans diplomatie douce ou forte, n’a pas permis d’infléchir la position des belligérants au nom de trois : Russie, Ukraine et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
La position collective des chefs d’Etat africains est demeurée résolument simple :
- non-alignement, et
- observation d’une position de neutralité dynamique.
La vraie question sous-jacente à la volonté du bloc occidental de forcer l’Afrique à prendre partie relève en fait d’une forme de déni de souveraineté des dirigeants africains. En effet, toutes décisions autonomes des dirigeants africains non favorables au bloc occidental est systématiquement considérées par les médias officiels comme relevant d’une influence « russe ».
Pourtant, l’Afrique n’a pas besoin d’influence extérieure (Russie, Chine, Turcs ou autres) pour que les dirigeants africains prennent position. Il suffit de rappeler que leur indignation, leur révolte et leur lutte pour leur liberté, le respect et la souveraineté ont débuté bien avant la Conférence de Berlin,1884-85, le partage de l’Afrique par le bloc occidental.
La réalité est que face à la désinformation et la guerre de communication de part et d’autre notamment sur la réalité sur le terrain, la position africaine demeure la plus sage pour l’avenir de ses ressortissants, surtout que personne ne doit oublier le racisme sélectif lors des évacuations des Africains bloqués en Ukraine.
4. UKRAINE : POUR LES PEUPLES AFRICAINS, C’EST LA GUERRE ENTRE L’OTAN ET LA RUSSIE
Dans les réseaux sociaux africains, il est bien question de la « guerre des Blancs » en référence aux trois guerres passées, à savoir :
- la guerre franco-allemande de 1870-1871, parfois appelée guerre franco-prussienne ;
- la guerre de 1914-1918 considérée comme la Première Guerre mondiale ou la Grande Guerre, qui demeure principalement un conflit militaire entre les puissances européennes, qui l’ont exporté en y entraînant des Africains ;
- la guerre de 1939-1945 dite la Deuxième Guerre mondiale qui résultait des exigences exorbitantes héritées d’un règlement insatisfaisant de la Première Guerre mondiale et qui a conduit à la montée du fascisme italien et du nazisme allemand, disputant puis inversant les ambitions expansionnistes et hégémoniques de ce ceux qui sont devenus des Alliés, et demeurent majoritaires au sein de l’OTAN.
La réalité de la guerre dite d’Ukraine est qu’il s’agit d’une guerre par personne interposée sur le sol ukrainien entre les pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et la Fédération de Russie. Il s’agit d’une organisation militaro-politique qui reposent sur la défense et le droit de préemption aux bénéfices des pays membres en matière de sécurité et de défense. Cette organisation peut intervenir avec ou sans l’approbation du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), soit en obtenant une résolution falsifiée ou pas (cas de l’Iran), soit en décidant d’interpréter une résolution (cas de la Libye) ou sans résolution, cas de l’Ukraine.
L’obligation de sécurité et de défense collectives de l’OTAN n’est tangible et possible que s’il existe un rapport de force asymétrique en faveur des pays de l’OTAN et, pour être clair, du pays qui dirige le commandement militaire, à savoir les Etats-Unis, qui d’ailleurs est le plus important contributeur financier.
Lorsqu’en face de l’OTAN, il y a un rapport de forces supérieures notamment avec les pays comme la Russie, la Chine, l’Inde ou la Corée du Nord, tous possédant la bombe atomique, et pour la Russie, des armes supersoniques, alors l’OTAN choisit d’engager les hostilités par des courroies de transmission, c’est le cas en Ukraine qui est devenu une sorte de base militaire qui ne disait pas son nom aux portes de la Fédération de Russie.
Auparavant, il faut bien noter que l’OTAN n’a respecté aucun de ses engagements concernant le non-élargissement[8] des membres de cette organisation vers l’Est, notamment les pays devenus indépendants, mais ayant fait partie de la zone d’influence russe conformément aux arrangements issus de la seconde guerre mondiale. En réalité, il s’agissait principalement d’une des principales promesses et d’engagements politiques du bloc occidental le feu Président russe Mikhaïl Gorbatchev en échange de ses « initiatives » et restructuration (Perestroïka) et de transparence (Glasnost) pour tenter de mettre fin à la guerre froide. Aujourd’hui, la question mérite d’être posée en Afrique : Est-ce que l’Occident a piégé Mikhaïl Gorbatchev ?
Guerre interposée ou pas en Ukraine, piège ou pas, elle sert aussi la politique intérieure américaine en permettant dans le cadre de « budget groupé » ou « package », de faire voter par le Congrès américain d’énormes sommes d’argent sur une base bipartisane tout en relançant la production des usines d’armements aux Etats-Unis. Si cela soutient la croissance économique américaine dans le court terme, la soutenabilité d’une telle approche est remise en cause avec les conséquences en termes d’inflation et hausse généralisée des prix, dépendance de plus en plus manifeste de l’Union européenne avec des stratégies de diversification qui ont remis l’arrogance occidentale[9] en veilleuse.
Il ne fallait donc pas s’étonner que le Président français Emmanuel Macron qui a cru, pendant la pandémie du coronavirus COVID-19 et dérivés, gouverner la France avec des taux d’intérêts faibles, voire nul, sur l’endettement public se réveille avec une marge de manœuvre économique inexistante. Son aveu est extrait de ses analyses issues du Conseil des ministres du 24 août 2022 où il concluait à : « la fin de l’abondance, la fin de l’insouciance, la fin des évidences[10] ».
En réalité, pour le Peuple africain,
- l’abondance française venait en partie de l’échange inégal avec l’Afrique, notamment les matières premières à des coûts déloyaux pour le Peuple africain, dont notamment l’uranium pour les centrales nucléaires, etc. ;
- l’insouciance française tenait, entre autre, au soutien aux dirigeants africains autocrates, adeptes souvent de coups d’Etat constitutionnels et de lois liberticides et répressives[11] ;
- les évidences françaises pourraient faire référence à la suprématie culturelle de la langue française dans certains pays africains, l’imposition du Franc français en zone franc dénommé le Franc CFA, et la mainmise sur l’essentiel des grands contrats en Afrique où la France a encore ses entrées, avec ou sans des entreprises multinationales impliquées dans des affaires de corruption[12].
Mais que le partenariat entre la France et les pays africains soit considéré comme inégal n’est pas un « scoop ». Mais ce qui pose problème encore aujourd’hui, c’est que ce ne sont plus des intellectuels comme feu Mongo Béti[13] qui pose un diagnostic négatif et usurpateurs aux dépens du Peuple africain, mais le Peuple africain lui-même avec la Diaspora africaine. Tous arrivent à la conclusion que la France, à force de ne défendre que ses intérêts, cette France là des officiels politiques, jouent contre le Peuple africain, utilisant au passage les courroies de transmission que sont certains chefs d’Etat africains. Il n’y rien ici de « French bashing », mais d’un constat qui n’enlève rien au succès de quelques projets de développement de la France qui ont réussi ici et là en Afrique.
5. LES PROVOCATIONS DE L’OTAN ET LES OPERATIONS SPECIALES RUSSES : ENTRE L’ELARGISSEMENT VERS L’EST, l’AUTODETERMINATION UKRAINIENNE ET LA DEFENSE LEGITIME RUSSE, UNE GUERRE PAR PROCURATION
Dans les faits, c’est bien l’expansion de l’OTAN vers l’Est qui a conduit à l’intervention de la Russie en Ukraine. Ce sont les déploiements d’infrastructures militaires aux frontières de la Fédération de Russie qui expliquent principalement l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014. La guerre par télécommande et à distance de l’OTAN en Ukraine contre la Russie et une guerre par procuration.
Les sanctions occidentales contre la Fédération de Russie ont d’ailleurs permis à la Fédération de Russie d’organiser et de renforcer son indépendance vis-à-vis du monde occidental, au point d’avoir réussi au moins sur deux points : acquérir une supériorité militaire avec des armes supersoniques et renforcer la dépendance énergétique et alimentaire d’une partie importante du monde à son égard. Les sanctions occidentales ont contribué à accélérer l’avènement d’un monde multipolaire, dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie, et politiquement vers les pays membres ou sympathisants du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud). Aujourd’hui, chacun s’accorde en Russie comme parmi les dirigeants de l’OTAN et l’Union européenne que les sanctions occidentales sont contreproductives[14]. L’Occident s’est tiré une balle dans le pied en mettant en exergue sa dépendance chronique et systémique envers le monde qui l’entoure, tout en prônant le contraire et en donnant des leçons à tout le monde comme modèle à suivre.
Au moins cette fois-ci, certains Africains, courroies de transmission de l’Occident en Afrique, mais aussi valets d’un système qui empêche l’Afrique alternative de s’exprimer, devront changer de positions.
6. L’OTAN TENTE DE S’ELARGIR EN AFRIQUE
L’autre réalité est que l’OTAN ne cherche pas seulement à s’élargir à l’Est, mais aussi en Afrique en promettant de remplir des obligations de sécurité et de défense collectives pour les pays qui ont choisi d’avoir un statut de « participants au Dialogue avec l’OTAN ». Voici, à ma connaissance, les 20 pays qui jouissent du statut d’Allié majeur non-membre de l’OTAN (Voir le tableau en référence)[15].
Trois des alliés majeurs non-membres de l’OTAN sont des pays africains. Il s’agit de l’Egypte, de la Tunisie et du Maroc.
Le nombre de pays qui participe au « Dialogue avec l’OTAN » est plus large que les pays officiellement non-membres de l’OTAN. Le terme consacré est « Allié majeur non-membre de l’OTAN ». Ce statut est délivré quasi-exclusivement par le Gouvernement américain pour désigner un pays qui est reconnu par l’Administration américaine comme un « proche allié des États-Unis » et qui travaille étroitement avec les forces armées américaine sans pourtant être membre de l’OTAN. Il apparaît que l’Algérie participe au Dialogue avec l’OTAN sans être un Allié majeur non-membre (AMNM) de l’OTAN.
Le statut d’Allié majeur non-membre de l’OTAN prépare une adhésion future de membre à part entière de l’OTAN. Israël qui a une relation spéciale avec les Etats-Unis est le 3e pays à avoir obtenu ce statut en 1989 et bénéficie de prérogatives plus élargies et dispose de ses propres relais en Afrique.
7. ECHEC DE LA DIPLOMATIE MULTILATERALE ET MARCHE FORCEE VERS UN MONDE MULTIPOLAIRE
Personne ne sait si les membres de l’OTAN ont bien fait de par régler leurs différends avec la Fédération de Russie par les voies diplomatiques, notamment au sein du Conseil de Sécurité. La voie empruntée conduit à une forme de guerre asymétrique entre la Russie et l’Ukraine, dont la durée va dépendre des avantages en politique intérieur qu’en tirent les Etats-Unis. Les appels qui se multiplient en Afrique et dans le monde pour une résolution pacifique du conflit en Ukraine risquent de dépendre de l’état de bonne ou mauvaise performance des Etats-Unis dans les mois à venir.
En effet, le vote de budget étant le privilège du Congrès américain, la guerre en Ukraine permet d’obtenir des consensus sur des enveloppes budgétaires « fourre-tout » et finançant principalement les usines d’armement américains[16], préservant des emplois aux Etats-Unis.
8. CONCLUSION : NON-ALIGNEMENT ET NEUTRALITÉ DE L’AFRIQUE
Les dirigeants africains, faiblement militairement, ou ayant sous-traités leur défense nationale ou continentale à des puissances extérieures à l’Afrique, la position de « non-aligné » et de « neutralité » demeure la posture qui permet de recevoir le moins de mesures de rétorsion en retour des pays engagés d’un côté ou de l’autre. Le véritable enjeu de cette guerre par interposition est la refondation d’un nouvel ordre géopolitique, militaire et géoéconomique mondial qui met à nue :
-
- La fin de l’hégémonie occidentale dans les rapports de force militaires et économiques qui se traduit par l’échec de la diplomatie multilatérale et les avancées accélérées vers un monde multipolaire en termes de rapport de force ;
- La prise de conscience des erreurs stratégiques de nombreux dirigeants africains dans leur choix militaire, sécuritaire, économique notamment alimentaires et de création de richesses non partagées ;
- La mise en cause de choix politiques des dirigeants africains par une société civile africaine de plus en plus consciente qui trouve des échos au sein des armées nationales, quand elles ne travaillent pas comme courroie de transmission pour les pays membres de l’OTAN ;
Il n’est pas impossible que cela puisse favoriser une prise de conscience élargie du Peuple africain et de sa Diaspora panafricaine pour se réorganiser afin de poursuivre pour certains, relancer pour d’autres, la lutte pour le retour de la liberté et de la souveraineté du Peuple africain en Afrique[17]. YEA.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
2 septembre 2022
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