La Syrie et la Russie sont-elles plus démocratiques que les États-Unis ?

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« Assad est un dictateur ». J’entends beaucoup cette phrase : aux infos, lors de conversations personnelles avec des gens et dans la bouche des auditeurs de l’émission de radio que je coanime. Mais je suis toujours décontenancé à chaque fois que je l’entends. Pour être totalement honnête, je crois que je devrais démarrer avec une abomination : je ne pense pas nécessairement qu’un dictateur soit une mauvaise chose. Prenez le temps de vous calmer avant que je ne poursuive.

Le mot « dictateur » vient de la Rome antique, où la fonction de dictateur était tenue par un individu à l’origine pour une période de 6 mois, et dans le but exprès d’accomplir une mission spécifique. Caius Jules César porta ce mandat à une année entière avant d’être élu dictator perpetuo – dictateur à vie.

Comme pour n’importe quelle fonction publique, il est possible d’abuser de cette position, telle que le fit Sylla dans la Rome antique. Mais ce n’est pas toujours le cas. Si les bonnes intentions d’un dirigeant envers le peuple sont sincères et s’il bénéficie de son soutien, « une dictature bienveillante » comporte plusieurs avantages par rapport à un système où l’équipe dirigeante change tous les quatre ans ou presque. Par exemple, un système à court terme favorise des objectifs à court terme. Quelle est l’utilité d’une planification à long terme si vous êtes flanqués à la porte dans quelques années seulement ? C’est le problème que rencontra César : ses ennemis de l’oligarchie aristocratique réactionnaire pouvaient tout simplement abroger les lois ou annuler les projets qu’il avait amorcés alors qu’il était en fonction. À quoi bon tenter de réaliser des changements bénéfiques durables dans un gouvernement de ce type ? Tant qu’un dirigeant continue de satisfaire au critère qui consiste à prendre de sages décisions qui bénéficient à l’état, pourquoi ne pas le conserver au pouvoir aussi longtemps que possible plutôt que de le remplacer après quelques années par un médiocre rabatteur du monde des affaires.

Mais même si ce terme avait une signification très spécifique dans la Rome antique, de nos jours il tend à évoquer des images du « méchant dictateur » : généralement un homme qui gouverne à vie (ou a minima pendant des décennies), exerce beaucoup de pouvoir et, le plus important, opprime son peuple. Si telle est votre définition, alors bien sûr qu’un dictateur serait une mauvaise chose simplement parce que, par définition, cette personne serait malveillante. Mais y a-t-il quoi que ce soit de mal, en théorie, dans le fait de servir à vie ou d’exercer beaucoup de pouvoir ?

Même dans les « démocraties » occidentales, il n’est pas exceptionnel que des dirigeants gouvernent pendant des périodes prolongées. Au Canada, les Premiers ministres William Lyon Mackenzie King et Sir John A. Macdonald ont respectivement servi 21,5 ans et 19 ans. Plus récemment, le père de l’actuel premier ministre Justin Trudeau, Pierre Trudeau, a servi 15,5 ans.

Aujourd’hui, le Syrien Bachar el-Assad sert son pays en tant que président depuis plus de 15 ans. Le Russe Vladimir Poutine a servi en tant que président ou Premier ministre depuis un peu plus de 16 ans. L’Islandais Ólafur Ragnar Grímsson est président depuis plus de 19 ans. L’Islande est-elle une dictature ? Si oui, ils font quelque chose de bien. Tout récemment, par exemple, ils ont emprisonné 26 autres banquiers pour le rôle qu’ils ont joué dans la crise financière de 2008. Bonne chance pour obtenir ce genre de justice dans n’importe laquelle des « plus grandes démocraties du monde ».

Certes, Grímsson ne détient pas « tout le pouvoir ». Mais Mouammar Kadhafi, qui a dirigé la Libye pendant 42 ans avant de se faire assassiner, avait sans doute beaucoup plus de « pouvoir » que quelqu’un comme Grímsson. Et contrairement à l’image qui nous est présentée en Occident, il a pratiquement créé un état utopique comparé à n’importe où ailleurs sur la planète : logement abordable, électricité gratuite, éducation et soins médicaux, travaux publiques importants, et davantage. Bien entendu, la Libye n’a plus rien de tout cela ; l’OTAN et les États-Unis l’ont détruite au nom de la liberté et de la démocratie. Pour plus d’informations, consultez ces articles :

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Mais revenons à Assad. Aujourd’hui, le député du parti communiste russe, Alexandre Iouchtchenko, a déclaré à l’agence de presse TASS qu’Assad « est prêt à discuter de modifications à la constitution, à organiser des élections parlementaires, et si le peuple syrien le juge nécessaire, à organiser des élections présidentielles ». Iouchtchenko faisait partie d’une délégation russe arrivée à Damas vendredi et accompagnée d’une expédition d’aide humanitaire comprenant des médicaments et de la nourriture pour les enfants.

Selon Iouchtchenko, qui a rencontré le président syrien à Damas, Assad est « totalement confiant en ses chances [de victoire]» si des élections devaient avoir lieu.

Lors de la rencontre, le dirigeant syrien a mis l’accent sur le fait que « le combat contre le terrorisme deviendra le fondement d’un monde nouveau et juste basé sur la souveraineté et la coopération ».

Assad est extrêmement populaire en Syrie, mais les médias ou les politiciens occidentaux n’accordent aucun crédit à ce fait. La raison en est simple : les États-Unis veulent qu’Assad parte. Pour ce faire, ils ont formé des terroristes, les ont armés et financés pour faire à la Syrie ce qu’ils ont fait à la Libye. Et ils nous rebattent les oreilles avec la soi-disant « opposition modérée » qu’ils soutiennent. Mais le problème, c’est que les Syriens ne soutiennent pas cette « opposition ». Elle n’existe même pas en tant que telle. Tous les groupes armés contre lesquels lutte l’armée d’Assad utilisent les mêmes méthodes terroristes et veulent la même chose – un « état islamique ». Soutenir ce genre de groupes – c’est-à-dire œuvrer pour s’assurer qu’ils s’emparent du gouvernement syrien – reviendrait à ce que la Russie finance, arme et entraîne le Green Party aux États-Unis pour attaquer la Maison-Blanche et prendre les rênes du pouvoir – si le Green Party était un groupe religieux radical de coupeurs de tête extrémistes, on s’entend.

Soutenir n’importe quelle opposition étrangère est par principe totalement antidémocratique. Rien que suggérer qu’il soit acceptable de dire à un autre pays que son dirigeant démocratiquement élu « doit partir » devrait insulter l’intelligence de toute personne douée de raison sur cette planète. Cela viole totalement le présumé fondement de la démocratie : la volonté du peuple. Et non seulement cela, mais l’« opposition » que soutient l’Occident en Syrie est littéralement terroriste ! J’en suis sidéré. Et je dois avouer que je ne sais pas comment les Russes gardent leur sang-froid. Par exemple, après le discours de Poutine à la séance plénière de la conférence Valdaï de cette année à Sotchi, Niel Buckley du Financial Times a posé cette question : « Puis-je vous demander d’utiliser ce forum pour me dire plus concrètement et en détail comment vous envisagez la forme d’un quelconque processus de paix et d’un accord éventuel en Syrie ? La Russie est-elle prête à accepter, par exemple, un partage de la Syrie ? M.Assad devra-t-il finalement se retirer ? Et s’il le fait, quelle sorte de dirigeant pourrait le remplacer ? »

La réponse de Poutine :

Au sujet du départ obligé ou non d’Assad, j’ai déjà dit plusieurs fois que je pense qu’il est incorrect de ne serait-ce que poser cette question. Comment pouvons-nous demander ou décider, depuis l’extérieur, si tel ou tel dirigeant d’un pays devrait rester ou partir ? C’est au peuple syrien d’en décider. Permettez-moi cependant d’ajouter que nous devons être certains que ce gouvernement soit constitué selon des procédures démocratiques transparentes. Nous pouvons parler d’exercer une sorte de surveillance internationale de ces procédures, y compris des procédures électorales, mais ce contrôle doit être objectif et, encore plus important, il ne doit pas comporter de parti pris en faveur d’un pays ou groupe de pays quelconque.

Que Dieu le bénisse. Dans sa position, j’aurais été tenté de dire : « Pardon ?! Sur quelle foutue planète vivez-vous ? » Le nombre de suppositions impérialistes arrogantes sous-jacentes aux questions de Buckley montre seulement à quel point les Étasuniens blasés comme lui sont totalement dans une vision du monde complètement auto-centrée sur les États-Unis, où l’Empire a toujours raison, prend toutes les décisions et n’arrive même pas à concevoir que quelqu’un pourrait penser autrement. Sa première question était assez innocente : « À quoi ressemblera le processus de paix ? ». Mais qui serait responsable d’un partage de la Syrie ? Évidemment des puissances étrangères. Par quelle autorité Assad « devra »-t-il se retirer ? Évidemment celle des puissances étrangères. Qui déterminera « quelle sorte » de dirigeant le remplacera ? Évidemment des puissances étrangères. C’est du gros n’importe quoi. Comme l’indique Poutine, les réponses sont évidentes : des élections devraient être organisées et le peuple syrien décidera. Comment devrait-il en être autrement ?!

Il est ahurissant que des gens comme Buckley puissent allègrement accepter l’idée que des pays comme les États-Unis peuvent décider si oui ou non un dirigeant démocratiquement élu peut « rester ou partir », qu’ils peuvent décider des frontières d’une nation souveraine, qu’ils peuvent décider « quelle sorte » de dirigeant devrait remplacer celui qu’ils n’aiment pas. C’est totalement et absolument n’importe quoi.

Poutine a mis cela en perspective dans une autre réponse à Valdaï :

Un autre de nos collègues a dit qu’il est faux d’interpréter que les choses suggèrent que les États-Unis cherchent à changer le système politique et le gouvernement en Russie. Il m’est difficile d’être d’accord avec cet argument. Les États-Unis ont une loi qui concerne l’Ukraine, mais elle mentionne directement la Russie, et cette loi stipule que le but est la démocratisation de la Fédération russe. Imaginez simplement si nous inscrivions dans la loi russe que notre objectif est de démocratiser les États-Unis, bien qu’en principe nous pourrions le faire, et laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Il y a des justifications à cela. Tout le monde sait qu’à deux occasions dans l’histoire étasunienne, un président est parvenu au pouvoir avec le vote de la majorité des membres du collège électoral mais la minorité des votants. Est-ce démocratique ? Non, la démocratie c’est le pouvoir du peuple, la volonté de la majorité. Comment quelqu’un peut-il être élu à la plus haute fonction du pays par seulement une minorité de votants ? C’est un problème dans votre constitution, mais nous ne demandons pas à ce que vous changiez votre constitution.

Nous pouvons en débattre éternellement, mais qu’un pays écrive ce genre de choses dans ses lois nationales et finance l’opposition nationale [d’un autre pays] […] Il est normal d’avoir une opposition mais celle-ci doit subsister grâce à ses propres ressources, et qu’un pays dépense ouvertement des milliards à la soutenir, est-ce une pratique politique normale ? Cela aidera-t-il à ériger un esprit de confiance entre États ? Je ne le pense pas.

Je me dois d’être d’accord avec Poutine. En fait, lorsqu’il s’agit d’élections et des dirigeants élus qui en résultent, la Russie et la Syrie semblent beaucoup plus démocratiques que les États-Unis d’Amérique. Prenez, par exemple, l’élection présidentielle de 2000 aux États-Unis :

54,2% de la population sont allés voter

dont 47,87% ont voté pour Bush (48,38% pour Gore)

Autrement dit, sur la totalité des électeurs, 25,9% ont voté pour Bush. Bien entendu, il a gagné malgré le fait que Gore disposait de plus de voix, comme l’a souligné Poutine. Mais pouvez-vous imaginer un journaliste russe poser une question pareille à David Cameron ?

« M. Cameron, étant donné l’horrible abus de pouvoir du régime Obama, la violence à l’encontre des manifestants pacifiques et l’assassinat de civils par les services de sécurité appelés « police », comment envisagez-vous la forme d’un quelconque processus de paix et d’un accord éventuel aux États-Unis ? Le Royaume-Uni est-il prêt à accepter, par exemple, un partage des États-Unis ? M. Obama devra-t-il finalement se retirer ? Et s’il le fait, quelle sorte de dirigeant pourrait le remplacer ? »
Invraisemblable.

Maintenant, prenez l’élection présidentielle étasunienne de 2012 :

► 58,2% de la population sont allés voter

dont 51,06% ont voté pour Obama

donc, 29,7% des électeurs ont voté pour Obama

Ce n’est pas mal, ou du moins, pas aussi mauvais que l’élection de Bush.

Maintenant, traversons l’océan Atlantique et regardons les élections russes de 2012 :

65,25% de la population sont allés voter

dont 63,64% ont voté pour Obama

donc, 41,5% des électeurs russes ont en fait voté pour Poutine

Bien mieux ! Et encore mieux, 90% des Russes, qu’ils aient voté pour lui ou non, le soutiennent et pensent qu’il fait bien son boulot ! En revanche, la cote de confiance d’Obama se situe à environ 46 %— à peine la base d’un soutien populaire.

Et Assad ? Bon nombre de détracteurs en pantoufles de ce « dictateur » ne savent probablement pas qu’il a été réélu tout juste l’année dernière, après 3 ans de guerre contre les mercenaires étrangers. Aux élections de 2014 :

► 73,42% de la population sont allés voter

dont 88,7% ont voté pour Assad

donc, 65% des Syriens ont voté pour Assad

C’était en plein milieu d’une crise des réfugiés. Tandis que de nombreux pays ont permis aux Syriens au sein de leurs frontières de voter à leurs ambassades respectives, la Belgique, le Canada, l’Égypte, la France, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Émirats Arabes Unis et les États-Unis n’ont pas permis que des élections soient organisées dans leurs ambassades syriennes.

Deux Syriens sur trois ont voté pour Assad. Un Étasunien sur quatre a voté pour Bush. Un Étasunien sur trois a voté pour Obama. Il y a manifestement quelque chose qui cloche dans ce tableau. Peut-être n’est-ce que moi. Peut-être la démocratie c’est quand une minorité de gens vote pour la personne au pouvoir. Soit c’est cela, soit la Syrie est plus démocratique que les États-Unis.

Si la Syrie organise assez rapidement des élections, cela constituera un nouveau coup de maître dans la guerre contre l’impérialisme et le terrorisme des États-Unis et de l’OTAN. Tout politicien occidental important est obligé de répéter bêtement les points de discussion approuvés : « Assad est un dictateur. Il tue son peuple. Il doit partir. » Ce ne sont que des mensonges ou des diffamations, évidemment. Mais avec la présence de la Syrie et de la Russie aux infos, c’est le moment idéal pour une élection syrienne libre et démocratique. Assad sait qu’il gagnera, parce qu’il a lui aussi la cote de confiance du niveau de Poutine dans son pays. Que pourront alors dire les États-Unis ? Ils devront refuser ouvertement de soutenir la démocratie en Syrie – au nom de la démocratie pour la Syrie. Ce ne sera pas la première fois qu’ils se feront prendre à leur propre piège mensonger. La Russie et la Syrie ont déjà dévoilé les hypocrites meurtriers éhontés qu’ils sont en leur faisant défendre publiquement les terroristes qui opèrent en Syrie.

Poutine a laissé une chance aux Étasuniens (il leur laisse toujours des occasions, tout comme César donnait l’occasion à ses ennemis de revenir à la raison, du début à la fin). Si leur lutte contre le terrorisme est sincère, alors qu’ils donnent un coup de main. Mais ils ne le feront pas. Et ils ne le feront pas parce qu’ils ne peuvent pas. Leur lutte contre le terrorisme n’a jamais été sincère. En fait, ils ont activement soutenu, créé et exploité le terrorisme tout du long. Cela devient désormais visible pour le monde entier. Et c’est une bonne chose pour la vraie liberté et la vraie démocratie

Harrison Koehli

Harrison Koehli est originaire d’Edmonton, dans l’Alberta (Canada). Diplômé en musique, Harrison est éditeur pour Red Pill Press et le magazine Dot Connector, et a été invité à plusieurs émissions de radio nord américaines, en reconnaissance de ses contributions à l’avancement de l’étude de la ponérologie. Quand il n’est pas pris par l’édition ou l’écriture, Harrison dévore des livres et travaille au Rabbit Hole, un disquaire/libraire indépendant. Outre la musique et la lecture, Harrison aime le tabac et le bacon (les deux souvent en même temps) et n’aime pas les téléphones portables, les légumes et les fascistes.

http://fr.sott.net

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