La petite dose d’insolence

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Je reviens à la gifle.

Une bande d’imbéciles, une bande de criminels, de corrompus nous a pris en otages, nous mène par le bout du nez, nous assène des gifles, parfois  sans ménagement, parfois après avoir rusé avec des mots, toujours nous amollissant, lorsque la gifle nous est déjà administrée, par un baiser. Et nous nous laisserions toujours faire. Et nous la subirions toujours. Et nous chercherions, pour faire « politiquement correct », des mots  lénifiants pour parler de ces imbéciles, de ces criminels. Ce ne sont pas invectives pour des invectives. Il faut leur dire ce qu’ils sont, leur rappeler comment ils sont arrivés au pouvoir et par quels moyens ils y restent. Où est la désobéissance civile lancée par l’opposition, à laquelle nous avions cru? Où est le refus catégorique de dialogue avec cette bande? A la veille du cinquantième anniversaire de l’assassinat du président Sylvanus Olympio, seul vrai chef d’État togolais démocratiquement élu, donc seul homme vraiment digne de porter ce titre que seul confère le peuple souverain, pourquoi ne prenons-nous pas l’engagement, en ce mois de janvier 2013,individuellement et collectivement, de ne plus appeler personne par ces titres de Président de la République togolaise, de Chef d’État du Togo, jusqu’à ce que nous en ayant un, vrai, issu d’élections démocratiques? Pourquoi ne prenons-nous pas l’engagement de ne participer à aucune consultation électorale organisée par le pouvoir actuel dans les conditions qui ont toujours permis à ce dernier de se livrer à des fraudes et à des massacres en cas de contestations?

Oui, je sais que nous avons nos problèmes d’ego au sein du camp dit de l’opposition, que chacun court à la conquête de sièges, de postes. Je sais qu’il y a des divisions et j’en parle comme beaucoup de concitoyens. Je ne veux ici pas me livrer à des critiques contre cette opposition quelle qu’elle soit. Il appartient aux opposants, à tous les vrais opposants de construire l’unité de l’opposition au lieu de continuer à s’accuser mutuellement d’être  les auteurs de la division. Dans tous les cas, la division au sein de notre camp ne saurait devenir un prétexte pour rejoindre l’autre camp.  Je me rappelle une chanson du temps de la lutte pour l’indépendance, du temps de Sylvanus Olympio :

« Me si me le Ablɔɖe xa siame oo

Baba mia do nƐ

Me si me le Ablɔɖe xa siame o la

Baba mia do nƐ

( A celui qui n’est pas dans ce parti de l’indépendance

Nous dirons : gare!…)

Cet air, ces paroles, ainsi que d’autres de l’époque, sur le même sujet, me sont revenus quand j’ai vu, non sans émotion, sur le site Togocity, illustrant la déclaration du Parti des Travailleurs du Togo  deux images juxtaposées du père de l’indépendance du Togo, vivant, drapé dans un lokpo ( portrait officiel ) et en  costume mortuaire, couché dans son cercueil, sur un catafalque.

Ces images ne peuvent manquer de hanter le jour et la nuit, des centaines de milliers de Togolais, non seulement ceux qui l’ont connu, connu son époque, mais aussi tous ceux qui se représentent le grand tort qu’a causé son assassinat non élucidé jusqu’à ce jour à une nation qui commençait seulement à se construire à partir du 27 Avril 1960. Ces images ne manqueront pas non plus de préoccuper, par leur caractère emblématique, tous les esprits qui refusent la résignation, la magnifique quiétude des imbéciles, comme dirait le philosophe. Ceux-ci continueront de se poser la question de savoir si un jour au Togo, la prise du pouvoir et son exercice cesseront d’être une affaire de force, de violence, de sang et de supercherie.

L’homme qui se propose d’instaurer par décret la « réparation, la réconciliation, l’unité nationale… » ferait mieux de méditer d’abord, s’il en a les moyens spirituels et intellectuels, sur cette question-là.

Baba! Non, bien sûr, il ne s’agit pas d’une attitude d’intolérance. Je suis contre l’intolérance, mais il faut que les jeux soient francs. Il s’agit de savoir dans quel camp on est et ce qu’on veut. Je ne m’adresse pas aux militants convaincus ou tout au moins déclarés du RPT-UNIR-UFC-AGO. Ils savent ce qu’ils veulent, ils ont fait leur choix, c’est leur droit. Je souhaite simplement qu’ils ne sèment pas sciemment la confusion, ne nous prennent pas pour des imbéciles en se présentant comme des opposants ou encore autre chose en « ant ».

Mais je m’adresse à ceux qui sont dans le camp de l’opposition, qui marchent avec l’opposition, allument des bougies aux dieux de la démocratie, mais sont prêts à la première occasion, à courir, la nuit ou en plein jour, allumer d’autres bougies à d’autres dieux, pour un siège, un poste, dans l’autre camp, avec le soutien de l’autre camp. Baba! Ce mot ne signifie pas seulement gare!, ne sert pas seulement à mettre en garde. Il exprime aussi la pitié. Ceux qui sont capables d’un tel comportement ne méritent que notre pitié, même installés dans des sièges de député ou dans des fauteuils ministériels, ou sur le trône le plus élevé du Togo, comme l’actuel usurpateur. Ils sont pitoyables, minables.

Dans le pays qui  «  coopère le plus avec nous » ( cela ne me regarde pas mais on peut tirer une leçon de l’histoire et puis, pour être Togolais, Africains, on n’est pas moins citoyens du village planétaire que les Depardieu, les Brigitte Bardot… ), un homme que beaucoup admiraient pour son talent, a voulu changer de pays de résidence ou même de pays tout court, pour payer moins d’impôts. Jusque là, ça va. C’est humain et même légitime. Un autre homme qui cherchait des moyens pour réduire la dette du pays a qualifié, non pas l’artiste, mais son comportement, de « minable ». Alors,  blessé, fâché, l’homme tant admiré lui  réplique en lui retournant l’insulte « minable » et en déclarant ne plus avoir la même patrie que lui. Cela devient vraiment minable, lorsque l’artiste talentueux entonne un hymne à la grande démocratie, parlant d’un pays où sévit un dictateur invétéré, parce que ce dernier lui a offert citoyenneté et passeport. Quand on en arrive à ce point , pour un mot, même blessant, quand on  voudrait changer de nationalité, de cette façon, n’est-ce pas vraiment minable, surtout lorsqu’on a la possibilité, sous un régime de liberté d’expression garantie pour tous les citoyens, de rendre injure pour injure et qu’on l’a déjà fait?

J’ai introduit par là une petite digression métaphorique dans ma pensée,  comme on dit dans l’art de la rhétorique traditionnelle  africaine.

Pour revenir à la pensée elle-même, je dirai que c’est minable de changer de camp, ou de faire semblant d’être dans un camp tout en courant aux avantages proposés par l’autre camp à la première occasion. Si nous croyons à la désobéissance civile, ne la désertons pas. Et, en ce qui me concerne, je vois mal ceux qui croient à la désobéissance civile continuer de donner du « Chef de l’État, Président de la République  à l’usurpateur ou en parlant de lui( ce que je n’ai jamais fait  une seule fois, depuis qu’il a pris le pouvoir en 2005 ).

Comment croyez-vous que Sylvanus l’aurait appelé? Peut-être simplement «  jeune homme ». Que lui aurait-il dit, le voyant là où il n’a pas le droit d’être? Jeune homme, intrus, dégage?

Et si un des actes de désobéissance civile consistait à ne réserver le titre de Chef de l’État qu’au vrai successeur de Sylvanus Olympio, élu dans des circonstances transparentes par le peuple souverain du Togo, comme le premier Chef d’État du Togo?

Est-ce la petite dose d’insolence qui nous manque? Celle qui animait Tunisiens, Egyptiens… Que nous serions pitoyables, minables si elle nous manquait  alors que nous proclamons la désobéissance civile. Cependant que dans nos langues, en mina, par exemple, la formule serait plus simple: « ÐekadjƐ, bu! »

C’est la force de le dire, la petite dose d’insolence active que je souhaite aux opposants cette année, après la santé.

Répétons :ÐekadjƐ, bu!

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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