Ce sont aujourd’hui les maîtres de l’arbitraire qui, à défaut de faire La Loi, la disent
A l’occasion de cette journée du 11 avril, officiellement consacrée au thème du respect des constitutions africaines, permettez-moi de vous adresser cette ébauche de réflexion sur ce qui m’apparaît comme le fond du problème.
La difficulté inhérente au concept même de « Constitutions africaines », c’est qu’il s’adosse à la prise en compte de modèles occidentaux tenus pour fiables, non seulement quant à la définition du contenu de ces constitutions, mais quant à la définition du cadre général de leur fonctionnement : cadre théorique de leur normativité, cadre pratique de leur mise en application.
Or il y a longtemps qu’en Occident, le droit en tant que science a dégénéré en une machine conceptuelle et argumentaire exclusivement destinée à contrer l’adversaire, c’est-à-dire à faire dans bien des cas barrage à l’exercice de la vraie justice.
Cela se vérifie dans la sphère privée, comme en témoigne la dérive américaine de la chasse aux vices de procédure, permettant à de puissants cabinets d’avocats d’assurer à coup sûr la victoire au plus riche – le délinquant de haut vol – sur un ministère public en situation d’infériorité financière chronique.
Cela se vérifie également et plus encore dans la sphère publique, où les rôles sont inversés : le Parquet disposant, comme on le constate à la Cour pénale internationale de la Haye, de moyens illimités pour faire traîner les procédures et déployer à l’infini le zèle de son acharnement juridique à l’encontre de prévenus innocents, tels SEM le Président Laurent Gbagbo.
En un mot, les conditions d’exercice de la justice et d’application du droit dont l’Occident travaille à imposer à tous les peuples la soi-disant exemplarité ne profitent en réalité qu’aux grands prédateurs de la finance et à leurs exécutants gouvernementaux, commanditaires objectifs de décisions ne reflétant que l’impuissance des lois à déjouer les manœuvres de ceux qui, avec le pouvoir d’intimider ou de corrompre les juges, se sont arrogé celui d’en décliner les implications au gré de leur bon vouloir.
Ce sont aujourd’hui les maîtres de l’arbitraire qui, à défaut de faire La Loi, la disent.
C’est la raison pour laquelle, en l’état actuel de dépendance intellectuelle – totalement infondée – des élites africaines à l’égard de leurs mentors occidentaux, le combat pour le « respect » des Constitutions me paraît être un combat d’arrière-garde.
Certes, le coup d’Etat du 11 avril 2011 n’a pu réussir qu’au prix d’une violation flagrante de la Constitution ivoirienne, mais le pire n’est pas là : le pire réside dans la manière dont une armée franco-ivoirienne de juristes au service du pouvoir ont réussi à légitimer constitutionnellement a posteriori l’innommable de ce viol collectif de la nation ivoirienne.
D’ailleurs, si les Français sont si fiers du mot le plus long de leur dictionnaire, « anticonstitutionnellement » – d’autant plus fiers qu’ils ne réfléchissent jamais à sa signification – n’est-ce pas justement parce qu’ils savent intuitivement, pour l’avoir expérimenté, que la Constitution, parce qu’elle cautionne l’insertion progressive des rouages législatifs permettant aux puissants de l’adapter aux exigences du moment – c’est-à-dire bien souvent de la contourner au détriment des intérêts du peuple –, porte en elle-même les germes de sa propre négation ?
En important le fruit hexagonal de leurs Constitutions respectives, les nations africaines se condamnent inexorablement à en voir le ver les ronger de l’intérieur, comme c’est précisément le cas de la constitution ivoirienne, violée hier et devenue aujourd’hui l’alibi hautement revendiqué de ses violeurs.
Tant que les Africains ne se seront pas décidés à réinventer, sinon le droit, mais tout au moins le cadre politique et social de sa mise en pratique; tant qu’ils n’auront pas érigé autour de leurs législations une muraille infranchissable : celle de leur refus catégorique de recevoir le moindre conseil émanant de l’une des officines de leurs « anciens » colonisateurs, le mot même de « respect » continuera à fonctionner comme le plus subtil des pièges tendu à leur crédulité par le diable en personne.
De cette décision dépend en partie l’avenir du monde où nous vivons. Frères ivoiriens, frères africains, nous avons besoin de vous, pour tourner, nous aussi, la page du droit du plus fort, et nous extraire du bourbier où nous ont enlisés ces vertueux manipulateurs de grands principes, qui, la main sur le cœur, nous mènent avec vous – en toute légalité, et au nom du « respect » des droits de l’homme ! – à l’abattoir.
Eliahou Abel