Le 28 janvier 2016 s’ouvre à la Haye le procès de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé. Et déjà d’Abidjan à Douala, fleurissent sur les réseaux sociaux, les anathèmes de procès de la honte et d’injustice internationale. Elaborée après les massacres de la seconde guerre mondiale, l’idée d’une justice internationale a pris forme en 1998 avec l’adoption du statut de Rome qui crée la Cour Pénale Internationale (CPI). Dix-huit ans après, l’esprit du statut de Rome a fait long feu. Certains pays (Chine, Israël, Inde …) n’ont pas signé le statut. D’autres (USA, Russie …) l’ont fait mais refusent tout processus de ratification.
La France qui a signé et ratifié le statut de Rome, s’est longtemps singularisée en se soustrayant à la compétence de la Cour pour l’une des catégories de crimes qui sont de son ressort: les crimes de guerre (Article 124 du traité de Rome). La volonté des grandes puissances de mettre leurs ressortissants au-delà des lois internationales a pour principal effet de faire de la CPI, un tribunal pour juger et condamner uniquement les crimes des autres. A ce jour, la Cour a ouvert une procédure d’enquête dans 9 cas. Tous en Afrique (Ouganda, République Démocratique du Congo, 2 cas en Centrafrique, Darfour, Kenya, Libye et Côte d’Ivoire, Mali).
Depuis sa création, la CPI n’est en réalité qu’une Cour Pénale Africaine. La protestation de l’Union Africaine, contestant « l’africanisation des poursuites de la Cour » est légitime. Les victimes des crimes contre l’humanité notamment en Irak (plus de 650 000 morts) méritent mieux que le silence qui leur est destiné. Il ne s’agit ni d’encourager l’impunité en Afrique ni de contester la compétence de la CPI sur le continent noir. Il est simplement question d’appeler de tous nos vœux, une justice internationale enfin égale pour tous. L’indépendance, l’impartialité, le droit à un procès équitable sont pourtant trois principes fondamentaux du système judiciaire international. La CPI, dans son fonctionnement doit être indépendante du pouvoir politique.
En Libye notamment, le Conseil de Sécurité a, dans la résolution 1970 du 26 février 2011, saisi le procureur de la CPI de la situation qui régnait en Libye depuis le 15 février 2011. Peu importe que la Libye n’ait pas signé le statut de Rome (l’affaire étant transmise ad hoc par le Conseil de Sécurité, point besoin de ratification du statut). Peu importe que trois des cinq membres permanents ne reconnaissent pas pour leurs ressortissants, la compétence de la Cour qu’ils souhaitent voir appliquer à d’autres.
Le 3 mars 2011, cinq jours à peine après la saisine de la Cour par le Conseil de Sécurité, le procureur décide de l’ouverture d’une enquête sur la situation en Libye. Sait-il que le déferrement par le Conseil de Sécurité d’une situation ne déclenche pas systématiquement une enquête de la CPI? Sait-il aussi que les textes du statut de Rome donnent au procureur le pouvoir et le temps d’apprécier par le biais d’un examen approfondi des données préliminaires, s’il existe un motif raisonnable de procéder à une enquête? En Côte d’Ivoire, la guerre a fait plusieurs milliers de morts depuis 2002, et une rébellion partie du Burkina Faso voisin.
Le président ivoirien Laurent Gbagbo a le 18 avril 2003 déclaré accepter la compétence de la Cour pour que le procureur enquête sur les nombreuses exactions commises en zone rebelle. Mais il faut attendre 2011, et l’intervention militaire de la France aux côtés d’un des belligérants pour voir le procureur aussitôt s’autosaisir (deuxième cas d’auto-saisine du procureur après le Kenya. Il y aura un 3ème cas : l’ouverture de la 2ème situation en RCA); en ouvrant une enquête visant exclusivement l’autre partie. Peu importe que la Côte d’Ivoire n’ait ratifié le statut de Rome que le 15 février 2013.
À ce jour, cinq ans après la crise post-électorale, trois mandats ont été émis par la CPI; visant uniquement le camp de l’ancien président ivoirien. À Duekoué pourtant, Amnesty International raconte que les forces fidèles à Alassane Ouattara, le président alors reconnu par la communauté internationale, ont ordonné » aux hommes et aux jeunes de s’aligner et leur ont demandé de décliner leurs prénoms et nom et de présenter leur carte d’identité…. » La suite est connue de tous. Ils ont été massacrés. Plus de 800 morts en moins de 48 heures. Coupables d’appartenir à l’ethnie Guéré, réputée favorable au président Gbagbo. Dans cette ville située à 500 kms d’Abidjan, les rescapés attendent encore les enquêteurs de la CPI.
Concernant le droit à un procès équitable. N’importe quel étudiant en droit est en mesure d’en décliner les corollaires que sont la présomption d’innocence et le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Il faut croire que les règles établies par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme se dissipent dans les brumes du pénitentiaire de Scheveningen. En juin 2013, lors de l’audience de confirmation des charges, les juges de la CPI ont jugé insuffisantes les preuves pour débuter un procès contre le président Gbagbo. Mais plutôt que de libérer ce dernier, la décision a été prise de le maintenir en détention; le temps que le procureur fasse ses preuves.
Et même lorsque le malheur frappe à sa porte, il ne se trouve aucune âme charitable pour permettre au présumé innocent Laurent Gbagbo de conduire sa mère jusqu’à sa dernière demeure. Faut-il dès lors comprendre les réticences de certains États vis-à-vis de la CPI? Est-ce la raison pour laquelle les Etats-Unis souhaitent mettre leurs ressortissants à l’abri des poursuites de la Cour? Soucieuse de sa souveraineté, la Russie refuse toute ratification du statut de Rome. Inquiète du rôle politique que peut jouer le procureur de la Cour, la Chine refuse catégoriquement de signer le statut.
Le principe de subsidiarité permet pourtant aux Etats de conserver, à titre principal, la responsabilité de poursuivre et juger les crimes les plus graves. La CPI n’est compétente qu’en cas de défaillance ou de mauvaise volonté des Etats. Il n’y a qu’en Afrique que des États (Ouganda, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine dans un cas et le Mali) renoncent à leur souveraineté judiciaire et déférent à la Cour des situations concernant des faits s’étant déroulés sur leur territoire.
Il n’y a qu’en Côte d’Ivoire qu’un régime organise d’abord sa propre défaillance (en limitant sa compétence aux seuls crimes économiques) pour déporter ses principaux adversaires politiques à la CPI. Avant de brandir finalement sa souveraineté judiciaire pour anticiper d’hypothétiques futurs mandats concernant ses propres partisans. A ne poursuivre, ne juger qu’un seul camp, la CPI légitime une justice des vainqueurs. Elle donne du grain à moudre à la jeunesse africaine qui dénonce de Douala à Abidjan, un procès de la honte.
Anicet DJEHOURY
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