La colonisation : Oeuvre négative et crime contre l’humanité

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«On me parle de progrès, de ‘‘réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. (…) Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme (…).» Aimé Césaire (Immense écrivain )

Un coup d’éclair dans un ciel déjà électrisé par les affaires en France lors de l’élection présidentielle. Le candidat Emmanuel Macron de passage à Alger venu tâter le pouls indirectement de la perception algérienne de l’élection française eu égard aux liens de sang entre les deux peuples déclare au journal Echorouk News: «La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes.» Des propos qui ont déclenché des protestations de la part de la droite et de l’extrême droite.

On prête à Emmanuel Macron de vouloir capter potentiellement un électorat issu de l’émigration. Ce qui est sûr c’est qu’il va s’aliéner l’électorat de Droite, et celui du reliquat des rapatriés habitant le Sud de la France qui à des degrés divers ont souffert du déracinement et de cette fuite dans le chaos que même les dirigeants du FLN n’appréhendaient pas être aussi forte. C’était sans compter sur la politique de la terre brûlée mise en œuvre par l’OAS qui a tout fait pour créer les conditions du chaos mais aussi des révolutionnaires de la vingt cinquième heure qui voulant se rattraper se seraient rendus coupables d’exactions envers les Européens d’Algérie, ce qui a précipité le divorce définitif des deux communautés.

Les négationnistes niant l’évidence

Qui trouve-t-on dans le landerneau chauvin de la droite? Les positions de l’extrême droite sont connues à l’instar du guide Jean-Marie Le Pen tortionnaire devant l’Eternel et qui à titre d’exemple de ses multiples basses oeuvres, oublia son poignard lors d’une perquisition et un interrogatoire- torture à mort dans un appartement, poignard exhibé bien plus tard par le fils du torturé avec les initiales J.M Le Pen 1er R.e.p. Avec Le Pen tous les racistes revanchards et les petits pieds-noirs entraînés dans la tourmente et sensibles au discours de l’OAS qui a tout fait pour diviser les deux communautés, à l’indépendance commettant l’irréparable.

Parmi les enragés, il y a les émigrés de la deuxième ou troisième génération qui sont plus royalistes que le roi, on y trouve beaucoup d’Italiens, de Libanais, de Roumains, de Hongrois, d’Arméniens. La France c’est eux, il n’y a qu’eux qui doivent en parler. Le filon Algérie est porteur, il permet de capter des voix. A des degrés divers ils ont une histoire avec l’Algérie. Il y a Gérald Moussa Darmanin qui déclare: «Honte à Emmanuel Macron qui insulte la France à l’étranger: crachats inacceptables sur la tombe des français tirailleurs, supplétifs, harkis morts pour une France qu’ils aimaient.» «Son grand-père, Moussa Ouakid, né en 1907, d’origine algérienne, adjudant-chef dans l’armée française, fut fait prisonnier et a participé à la Libération en 1945 et participe ensuite à la Guerre d’Algérie dans l’armée française.» (1)

Il y a Christian Estrosi:

«Je suis bouleversé qu’une personnalité politique telle que Emmanuel Macron vienne aujourd’hui discréditer la grande histoire de France. Christian Estrosi, fils unique d’un immigrant italien, débute d’abord comme pilote de Grand Prix motocycliste ce qui lui vaudra plus tard le surnom de ‘motodidacte” (…)» (2)

Il y a naturellement la droite à la fois sensible au discours des races supérieures de la suprématie de la race blanche et quelque part croisés des temps modernes. Gérard Longuet et «souchien» en sera l’un des tenants :

«(…) Au printemps 1964, il prend part, en compagnie d’Alain Madelin, à la création du mouvement Occident, groupuscule d’extrême droite (…) Il rejoint le Groupe union défense (GUD), groupuscule d’extrême droite puis Ordre nouveau, (…) Après avoir manifesté par un bras d’honneur son opposition personnelle à la demande formulée par l’Algérie d’«une reconnaissance franche des crimes perpétrés» par le colonialisme français, Gérard Longuet a expliqué: «La France n’a pas à avoir honte de sa présence en Algérie pendant la colonisation.» (3)
L’autre exemple nous est donné par François Fillon et sa haine viscérale de l’Islam. Il n’est que de lire sa dernière logorrhée, un brûlot où il donne sa vision de l’Islam certes, en y mettant les formes, mais on sent le parti pris irréductible.

Mais il y a pire qu’eux, ce sont les gauchistes -pas tous heureusement- dans un langage ambigu se déclarent progressistes pour la liberté des peuples et contre la colonisation. Nous avons un échantillon avec le plus illustre d’entre eux, François Mitterrand, qui signa la mise à mort de près de 200 patriotes envoyés à la guillotine…

Massacre de masse ou génocide?

Apparemment le mot génocide est interdit pour qualifier les atrocités en Algérie, c’est dit-on une marque déposée pour qualifier les massacres de masse à l’endroit des Juifs sous le IIIe Reich. Le mot ayant été proposé par Raphaël Lemkin intellectuel juif rescapé des camps de la mort nazis. Benjami Stora utilisera le mot massacre de masse pour qualifier les millions de morts algériens depuis l’invasion coloniale, la colonisation proprement dite et la Révolution de Novembre de1954.

On ne peut mieux résumer cette période noire avec les mots de Jaurès citant Clemenceau le 27 mars 1908:

«On a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense, l’histoire de cette frénésie de meurtres et de rapines ne sera jamais connue, les Européens ayant trop de motifs pour faire le silence (…). Rien n’est plus contraire aux intérêts français que cette politique de barbarie.» Rappelons nous les enfumades des tribus d’Oued Riah du Dahra en mai-juin 1845. Avec Bugeaud, Cavaignac et Saint Arnaud, dont Victor Hugo a pu dire qu’il avait les états de service d’un chacal. Nous pouvons déduire ce que furent les massacres de masse en Algérie en ajoutant d’abord les dizaines de milliers de morts algériens sur les théâtres de guerre pour la France à partir de 1837, Pour rappel Les régiments de tirailleurs algériens écrivirent pour l’armée française parmi les pages les plus glorieuses de son histoire. Ils furent de tous les conflits au nombre de 11, ils participent à toutes les campagnes du Second Empire et de la IIIe République et de la IVe République» (4)

En 1854 lors du siège de Sébastopol (1853-1856) sur 2800 tirailleurs envoyés en Crimée, plus de 900 sont tués ou blessés. Durant la guerre de 1870-71, les trois régiments de tirailleurs (environ 9000 hommes) sont envoyés en France où ils combattent lors des batailles de Wissembourg et Froeschwiller-Woerth. Les régiments sont décimés et après Froeschwiller, le 2e Tirailleurs ne compte plus que 450 hommes valides sur 3000. Après la défaite de Sedan du 2 septembre 1870, un régiment de tirailleurs combat dans l’Armée de la Loire. Leurs pertes sont estimées à 5000 tués. La Marche des Tirailleurs ou Chant des Turcos relate l’exploit du 2e Régiment de Tirailleurs algériens à Froeschwiller le 6 août 1870. Les Tirailleurs chargèrent les canons prussiens et furent anéanti à 90%.» (4)

Si on y ajoute les dizaines de milliers de morts du carnage de mai 1945, le million de morts de la Révolution de Novembre 1954. C’est au total au bas mot 5 millions d’Algériens qui passèrent de vie à trépas pour des causes diverses: l’acharnement bestial de l’armée d’Afrique, les famines et la maladie qui eurent leurs dîmes de plus d’un million et demi de morts, ensuite les vies «offertes» pour la gloire et l’honneur de la France et enfin la répression du pouvoir colonial pendant une durée de 132 ans d’une occupation sans partage envers un peuple qui n’aspirait qu’à vivre dans la dignité. Un simple calcul -à titre indicatif- montre que pendant les 132 ans de l’invasion brutale d’un pays sans défense, et la colonisation criminelle soit 13500 mois, c’est en moyenne 360 morts par mois, 12 morts/jour ou encore un mort de mort violente toutes les deux heures pendant 132 ans.» (4)

Dès 2010 Fillon avait admis que la colonisation était un crime contre l’humanité

Curieusement, Fillon, qui tire à boulets rouges sur Macron, avait reconnu par deux fois que la colonisation était un crime contre l’humanité. En 2010, François Fillon Premier ministre avait procédé à une modification du droit pénal pour se conformer aux principes portés par la Cour Pénale Internationale stipulant que le crime de génocide, caractérisé par une volonté manifeste de nuire ou d’exterminer une population civile. Cela s’applique tout à fait à ce qui s’est passé en Algérie.

« Fillon oublie ce qu’il disait lui-même récemment: «Cette repentance permanente est indigne d’un candidat à la présidence de la République», a réagi François Fillon, au cours d’un meeting à Compiègne, ce mercredi 15 février. Il qualifiait lui-même la colonisation et l’esclavage d”abomination» dans une interview accordée la semaine dernière au Quotidien de la Réunion. Également interrogé sur le passé colonial de la France par la chaîne Reunion 1er, François Fillon avait, là aussi, lié colonisation et esclavage pour les dénoncer vigoureusement: «Que cela soit la colonisation ou que cela soit l’esclavage. L’esclavage est le crime le plus abominable qui n’ait jamais été commis par l’humanité». Déjà, en octobre 2016 sur France 2, François Fillon, à l’époque candidat à la primaire, avait été interpellé par un syndicaliste guadeloupéen, «Bien sûr que la colonisation est aujourd’hui, avec les critères qui sont les nôtres, un crime. Bien sûr» avait-il expliqué.» (5)

Oui, la colonisation est un crime contre l’humanité

«Pour Bruno Guigue, la réaction chauvine suscitée par ses propos, en tout cas, montre que le révisionnisme colonial fait partie de l’ADN de la droite française. Il faut les entendre fulminer, ces humanistes à géométrie variable, lorsque cette page sinistre de l’histoire de France est pointée du doigt.(…)Contre ces impostures réactionnaires, il faut relire ce qu’écrivait Aimé Césaire en 1955 dans son magnifique ´´Discours sur le colonialisme´´. Il citait le colonel de Montagnac, l’un des conquérants de l’Algérie: «Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes.» Il donnait la parole au comte d’Herisson: «Il est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis´´.(…) Partout, la conquête coloniale fut effroyable. Le colonisateur au drapeau tricolore l’a déshonoré, ce drapeau. Il l’a noyé dans le sang des peuples martyrisés par ceux qui prétendaient leur apporter la civilisation au bout du fusil.(…)». (6)

«Pour l’historien Benyamin Stora, Emmanuel Macron a pris soin de rappeler la face civilisatrice, par effraction, de la colonisation. Ce n’est pas la première fois qu’un homme politique tient des propos analogues – sans aller jusqu’à la qualification de crime contre l’humanité. En 2007, Nicolas Sarkozy avait condamné fortement la colonisation ainsi que François Hollande. Du coup, cela tend à politiser le débat et à en faire une affaire franco-française. A la question «La colonisation est-elle un crime contre l’humanité?» Benjamin Stora répond: «Cela fait très longtemps que les historiens ont apporté la preuve de massacres, de crimes, de tortures durant la longue période de la colonisation » (7).

Benjamin Stora nous informe que Michel Rocard avait tenté de faire jugé un criminel parmi tant d’autres en vain :

« En 1959,écrit-il Michel Rocard publiait un rapport concluant à des déplacements de 2 millions de paysans en Algérie. Mais la France a construit un système juridique qui fait qu’aucune plainte ne peut aboutir et que cette période ne peut être jugée. Il est indispensable, pour qu’un crime contre l’humanité soit reconnu, qu’un Etat ou un particulier dépose plainte. C’est ce qu’avait tenté de faire Rocard en attaquant en 1986 Jean-Marie Le Pen pour torture pendant la guerre d’Algérie. Mais, en raison des lois d’amnistie votées dans les années 1960, aucune plainte ne peut aboutir. Seules des poursuites devant des tribunaux internationaux pourraient débloquer le processus ». (7)
« C’est un problème d’autant plus insoluble qu’en France, dès que l’on prononce les mots «crimes contre l’humanité», le débat se clôt ou se politise. Il est quasiment interdit d’évoquer tout acte de violence commis par la France pendant la colonisation. On oppose immédiatement l’apport des «Lumières», l’oeuvre civilisatrice de la France… Or, en matière de colonisation, la France a bâti un faux modèle républicain: elle a proclamé le principe d’égalité, mais ne l’a que rarement mis en pratique. Les «crimes contre l’humanité» incluent aussi bien des génocides comme la Shoah ou celui des Arméniens que des massacres de masse perpétrés en Afrique ou en Algérie.» (7)
La colonisation «crime contre l’humanité»: Pourquoi Macron a raison

C’est la conviction de Bruno-Roger Petit qui nous explique pourquoi Macron a raison:

«Emmanuel Macron a juridiquement tort, mais a-t-il politiquement raison? Le pénal suffit-il à caractériser le moral? Relisons Bel ami, ces pages d’introduction où Maupassant campe le personnage de Georges Duroy, déambulant dans Paris en quête de destin: «Et il se rappelait ses deux années d’Afrique, la façon dont il rançonnait les Arabes dans les petits postes du Sud. Et un sourire cruel et gai passa sur ses lèvres au souvenir d’une escapade qui avait coûté la vie à trois hommes de la tribu des Ouled-Alane et qui leur avait valu, à ses camarades et à lui, vingt poules, deux moutons et de l’or, et de quoi rire pendant six mois. On n’avait jamais trouvé les coupables, qu’on n’avait guère cherché d’ailleurs, l’Arabe étant un peu considéré comme la proie naturelle du soldat». Maupassant livre une anecdote. Que l’on devine vraie. Que l’on sait ordinaire, dans le sens où elle est répétée à l’infini depuis que la France s’est emparée de l’Algérie. Et que cela va encore durer soixante-dix ans. Comment dire mieux la colonisation française, sa violence et son injustice? Comment ne pas comprendre les traces laissées dans la conscience d’un peuple? Comment nier l’indélébile empreinte mémorielle?» (8)

Bruno Roger Petit poursuit:

«Emmanuel Macron raconte une histoire que bien des Français n’ont pas envie d’entendre. Parce qu’il la raconte du point de vue des victimes. (..)Après Vichy, la colonisation est le passé qui ne passe pas, et la polémique déclenchée par le propos de Macron en atteste. Alors haro sur Macron qui ne connaît pas le droit… «faute politique», «faute historique», «faute juridique» disent-ils. Mais il n’en est pas un pour dire «faute morale».(…) Quitte à oublier Clemenceau et son célèbre discours de 1885 qui, répondant à l’apologie des vertus de la colonisation énoncée par Jules Ferry, avait dressé cet impressionnant réquisitoire: «Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur! Voilà l’histoire de votre civilisation! Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l’Européen apporte avec lui: de l’alcool, de l’opium qu’il répand, qu’il impose s’il lui plaît. Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l’homme!»» (8)

Conclusion

« La colonisation déclare l’historien Pascal Blanchard, en soi n’est pas juridiquement un « crime contre l’humanité », ce n’est pas le même phénomène que l’esclavage. Même si les textes internationaux énoncent que « les crimes contre l’humanité doivent être commis par une puissance étatique qui pratique une politique d’hégémonie idéologique ». Par contre, certaines pages de l’Histoire de la colonisation, comme la conquête de l’Algérie, de 1830 à 1842, celle de l’Indochine, ou encore la grande révolte et sa répression en Nouvelle-Calédonie en 1878 et la guerre au Cameroun dans les années 1950, ont été de l’ordre de l’inacceptable, et donc du crime contre l’humanité au regard des « faits ». Y compris au regard du droit français, depuis la loi du 26 décembre 1964 où la notion de crime contre l’humanité fait son apparition dans le code pénal. On est dans un pays paradoxal avec 12 744 musées, mais il n’y en a aucun qui traite, parle ou appréhende l’Histoire coloniale. Quand l’Histoire ne peut pas rentrer au musée, c’est qu’elle est encore brûlante, manipulée aussi ou qu’elle n’a pas trouvé le temps de l’apaisement des mémoires. Elle reste donc dans le champ du politique, des manipulations de l’histoire et des mémoires en conflit ». (9)

Pour nous la colonisation fut un génocide dans la durée avec un traumatisme toujours actuel, cent trente deux ans après, nous n’arrivons pas à guérir de cette invasion d’un beau matin de juillet 1830, nous n’arrivons pas à faire notre deuil du fait de l’arrogance à géométrie variable de la puissance qui seule se croit autorisée à dicter la norme, de ce que c’est qu’un massacre, un génocide, une oeuvre positive.. qui est en réalité une oeuvre négative.

Nul doute que cette déclaration marquera un tournant, mais il est inutile d’attendre une quelconque repentance de la génération actuelle en France. L’Algérie se devrait de rester digne, et de ne pas verser dans la solution mercantile de miettes pour solde de tout compte. Elle devrait peut-être rassurer la France que la douleur algérienne n’est pas une pompe à finance qui commerce de la dignité des millions de morts pour avoir seulement lutté pour la liberté du pays.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

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