L’hommage de Jean-Baptiste Placca à  » l’immense » Ben Soumahoro : «Il s’appelait Ben Soumahoro »

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Il avait quitté Konan Bédié presque sur la pointe des pieds, le divorce avec Ouattara aura été une rancune jusque dans la tombe.

François Mazet : Il était un journaliste de très grande qualité. Ce métier l’a mené à la politique. Mais ses choix, en politique, l’ont conduit en exil, à Accra, au Ghana, où il a rendu l’âme, cette semaine, à l’âge de 74 ans. Ben Soumahoro n’est plus.

Jean-Baptiste Placca : Il y avait, dans la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, en dépit du parti unique, un peu d’espace pour de l’excellent journalisme, et Ben Soumahoro avait su s’y glisser, au point de devenir un des plus grands noms, sinon le plus grand de l’histoire de la Télévision ivoirienne. Professionnel audacieux et inventif, brillant présentateur, il avait, dans les années 70, créé et inauguré, avec un jeune ministre des Finances, du nom de… Henri Konan Bédié, une émission sans complaisance, « Le fauteuil blanc », dans laquelle les personnalités politiques les plus en vue étaient passées sur le grill. Ben Soumahoro a connu la gloire et moult traversées du désert. Mais Houphouët-Boigny, en bon père de la nation, finissait toujours par le réhabiliter, parce que, disait-il, il ne fallait pas faire des aigris.

Il a également dirigé la RTI…

Absolument ! Devenu directeur général de la Télévision nationale, Ben Soumahoro créa, vers la fin des années 70, l’Orchestre de la RTI, qui servira de révélateur à quelques-uns des plus grands noms de la musique ivoirienne : François Lougah, Ernesto Djédjé, Alpha Blondy, Aïcha Koné, et bien d’autres, qui en inspireront d’autres encore, jusqu’à la toute dernière génération.
Ben Soumahoro avait convaincu « Le Vieux » de nommer, comme premier directeur de cet Orchestre, l’immense Manu Dibango, déjà auréolé du succès mondial de son célèbre Soul Makossa. Comme vous le savez, Manu est Camerounais, mais la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny était ouverte aux meilleurs, quelles que soient leurs origines. C’est, du reste, cette ouverture qui a permis de faire de ce pays une nation prospère, et même, un temps, la plus grande de toute l’Afrique occidentale et centrale.

Cet esprit d’ouverture qu’il avait, jadis, ne tranche-t-il pas quelque peu avec la persistance de Ben Soumahoro à dénier à Alassane Ouattara sa nationalité ivoirienne ?

Peut-être. Mais on sait aussi que, jusqu’à la fin de ses jours, Ben Soumahoro n’a cessé de clamer qu’il aimait tous les étrangers de Côte d’Ivoire, à l’exception d’Alassane Ouattara, qu’il accusait d’être prêt à recourir à toutes les violences, pour parvenir au pouvoir dans ce pays qui, de son point de vue, n’était pas le sien.

Après son départ de la RTI, on retrouve Ben Soumahoro dans un univers de douceur, avec la promotion du concours Miss Côte d’Ivoire. C’est ensuite qu’il s’engage en politique, avec, d’emblée, un fait d’armes, que l’Histoire retiendra probablement.

Quel est-il donc, ce fait d’armes ?

Ben Soumahoro était le professionnel que l’on voyait aux côtés de Henri Konan Bédié, au soir du 7 décembre 1993, lorsque celui-ci a débarqué sur le plateau de la première chaîne de la Télévision ivoirienne. Alors que défilait le générique du début du journal télévisé, Bédié fit son entrée sur le plateau. Après l’annonce du décès du président Félix Houphouët-Boigny, un peu plus tôt dans la journée, les Ivoiriens attendaient, avec anxiété, de savoir comment allait se dénouer la guerre ouverte entre le Premier ministre Ouattara et Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale, dauphin constitutionnel. Le présentateur, surpris, bafouille, ne sachant trop comment présenter l’invité surprise. Konan Bédié prend alors la parole et précise, à ses concitoyens, que le chef de l’Etat décédé, il était, ipso facto, le nouveau président de la République.

Ben Soumahoro, ancien directeur général de la RTI, aurait-il donc fait jouer sa connaissance de la maison pour s’assurer que rien ne vienne entacher la prestation présidentielle ?

Absolument ! Et, légitimement, il espérerait, en retour, une récompense appropriée. Mais il n’aura rien. Après un court délai de décence,il se rapprochera du RDR, alors piloté par Djenny Kobenan et Henriette Diabaté. Malheureusement pour lui, les Ouattara ne lui feront pas la place qu’il estimait devoir occuper dans leur galaxie politique.

Serait-ce de là que vient son amertume vis-à-vis du président Alassane Ouattara, qu’il a vilipendé jusqu’à son dernier souffle ?

Au passage, il décocha une pique vénéneuse à son camarade Ally Coulibaly, en reprochant aux Ouattara de préférer les serveurs de thé aux partenaires qui ont de la personnalité et des idées à revendre. Il avait quitté Konan Bédié presque sur la pointe des pieds, le divorce avec Ouattara aura été une rancune jusque dans la tombe.

Par Jean-Baptiste Placca

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