L’histoire de la Côte d’Ivoire en procès à La Haye [Par Justin Koné Katinan]

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Le prolongement de l’opposition houphouétisme et Gbagboïsme

Une semaine à peine après le début du procès du Président Laurent GBAGBO et du ministre Charles Blé Goudé, les traits distinctifs de l’histoire de la Côte d’Ivoire se révèlent tels qu’ils sont. Ce procès, sous ses apparences, est en réalité le procès de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui court depuis 1959. Trois parties sont présentes dans le prétoire de la CPI : le gaullisme, l’houphouétisme et le Gbagboïsme. Ces trois systèmes de gouvernance sont les acteurs de ce procès à travers trois hommes interposés :

Nicolas Sarkozy pour le gaullisme ;
Alassane Dramane Ouattara pour l’houphouétisme ;
Laurent GBAGBO, pour le gbagboïsme.

Mais pour rendre l’approche facile à comprendre, l’on peut en retenir deux : l’houphouétisme et le gbagboïsme, étant entendu que l’houphétisme constitue la traduction à l’échelle ivoirienne du gaullisme.

Faut-il le rappeler, le général de Gaulle, grand vainqueur à titre individuel de la deuxième guerre mondiale est, avant tout, un grand colonialiste qui a œuvré au maintien de l’empire colonial français. Il est également, en tant que militaire, un homme pragmatique. La conférence de Brazzaville de 1944 qu’il organise, avant même la fin officielle de la guerre, traduit cet esprit pragmatique. Cette conférence consacre, in fine, la poursuite de la colonisation en l’adaptant aux circonstances du moment induites par l’après-guerre. Tous les réajustements institutionnels et politiques qu’il porte à l’édifice colonial, d’abord en 1946 avec la loi cadre, puis en 1958 dans le cadre de la communauté, et enfin, en 1960, dans le cadre des pseudos indépendances participent du maintien de l’édifice colonial. Le gaullisme constitue, depuis lors, l’épine dorsale des relations franco-africaines joliment appelées Françafrique. Dans la réalité, le palais présidentiel ivoirien fonctionne par télécommande depuis Paris. Une cohorte de conseillers français est dépêchée pour encadrer les Présidents et les maintenir dans le schéma directeur tracé depuis de Gaulle. Or ce cadre directeur repose pour l’essentiel sur deux axes majeurs :

La violence de
l’Etat
La corruption de l’élite.

De ce point de vue, la période 2011 à 2016 sous Ouattara est la réplique de celle de 1959 à 1970 sous Houphouët. Les deux périodes sont marquées par la violence exercée sur toute l’opposition, laquelle violence se manifeste par l’emprisonnement et les assassinats de l’élite opposante. Par deux mouvements, en 1959 et en 1963, Houphouët élimine toute l’opposition au sein de son parti en envoyant en prison ou en éliminant physiquement ceux de ses opposants qui avaient tendance à contester sa gouvernance. Une telle épuration n’a pu se faire sans le soutien de ses conseillers français. L’objectif étant d’étouffer dans l’œuf toutes les velléités de remise en cause de l’ordre colonial français. Cette violence politique est doublée de l’achat des consciences de la partie faible de cette élite par un système de corruption institué et entretenu sous les conseils avisés des experts français qui en sont les véritables inspirateurs. Après la « pacification » par la violence vint la « pacification » par l’achat de conscience de la classe politique et intellectuelle ivoirienne. Au bout du compte, de 1959 à 1993, la Côte d’Ivoire a produit plusieurs générations d’élites corrompues et nourries à l’illusion du bien-être matériel que leur offre l’houphouétisme. L’élite corrompue se recrute à tous les paliers de la société ivoirienne. Aucun secteur n’y échappe. Les secteurs qui sont réputés, de par leur nature, être des poches de moralité sont en réalité gangrenés par la corruption. Dans l’armée, le treillis militaire sert de camouflage à une institution devenue très tôt sans repère morale. L’élite intellectuelle, surtout universitaire, n’y échappe pas.

Dans cette grisaille, un homme tente de forcer un éclairci. Laurent GBAGBO se veut porteur d’une politique de rupture sur de nombreux points par rapport à l’houphouétisme qu’il combat depuis 1970. L’opinion qui se cristallise autour de son combat s’élargit au fil du temps. Mais elle n’est pas homogène. Si le noyau dur veut rompre avec l’houphouétisme, chemin faisant, dans son sillage, elle entraine des personnes aux motivations diverses. Dans la réalité, l’houphouétisme est présent dans la mentalité d’une très bonne partie de la population ivoirienne endoctrinée pendant un demi-siècle. La conquête du pouvoir par le FPI ne motive pas tous les compagnons de Laurent GBAGBO de la même manière. Certains rêvent de remplacer l’élite corrompue au pouvoir afin de devenir, eux aussi, par la corruption, la nouvelle élite financière. Très vite, le noyau dur et pur qui a créé le FPI autour d’un idéal commun se trouve isolé. Etant arrivé au pouvoir dans des conditions difficiles, l’ouverture qu’entreprend le Président Laurent GBAGBO attire une partie de la lie de la société ivoirienne corrompue par l’houphouétisme. Profitant de l’état de guerre, cette lie prend encrage dans la gouvernance du Président Laurent GBAGBO. Or chaque élite corrompue est toujours versatile. Elle ne supporte guère les difficultés. Elle vit pour le luxe et pour le lucre. Elle est prête à tout pour rester dans cette vie illusionniste. Elle n’a ni honneur, ni dignité. Elle chante comme un coq pour annoncer la beauté du jour qui se lève et, la nuit, elle hurle comme le hibou pour célébrer les ténèbres de sa conscience. Elle n’est ni diurne, ni nocturne. Elle est tout à la fois.
Quand l’adversité prend des grandes proportions, la lie houphouétiste au sein du pouvoir de Laurent GBAGBO s’organise, se solidifie conformément à sa nature pour aller vers le nouveau maître, afin de poursuivre le destin qui est celui d’une lie, comprise comme résidu d’un liquide et impropre à la consommation. Elle est constituée de jeunes, de vieux, de femmes, d’hommes, de civils, de militaires, en somme de toutes les composantes d’une société désorganisée, immorale et corrompue depuis plusieurs décennies. Ouattara l’a bien compris et l’on ne peut lui faire l’injure de se servir de cette lie pour parfaire son entreprise en Côte d’Ivoire. Il n’y a d’acheteur que parce qu’il y a matière à acheter.

Quand en 1990, Ouattara, embauché par le réseau françafricain pour préparer la relève de l’houphouétisme, arrive en Côte d’Ivoire, il découvre un terrain suffisamment propice à son ascension politique. Il bénéfice d’un solide enseignement de ceux qui ont conçu, dessiné et façonné la société ivoirienne suivant leur volonté et non celle du peuple ivoirien. Très vite, Ouattara, aidé par ses mandants, comprend qu’il peut prospérer en Côte d’Ivoire par la voie de la corruption. La société s’y prête. Alors, il y va de toutes ses forces, profitant de sa position privilégiée de Chef du gouvernement dans une période où le Chef de l’Etat lui-même est mourant. Les clients à l’achat de conscience sont nombreux dans le système d’Houphouët. Le noyau dur du régime au pouvoir actuellement en Côte d’Ivoire a été recruté pendant cette période, dans l’armée, dans le milieu universitaire et dans la haute administration. Ce sont des candidats à la facilité. Dans la foulée, des ténors de l’houphouétisme lui font allégeance grâce à la manne financière que lui ouvre sa position privilégiée dans l’Etat. En très peu de temps, Ouattara réussit à acheter une bonne partie de la conscience du PDCI et de la société ivoirienne. De ce point de vue, Ouattara est le miroir de notre société formatée à l’houphouétisme. C’est pourquoi, il ne se donne aucune peine pour se construire une nouvelle orientation de sa gouvernance. Il copie intégralement la gouvernance houphouétiste. Ouattara bâtit une économie d’illusion à coups d’emprunts énormes comme Houphouët l’a fait durant son règne. Une politique d’illusions entretenue par une propagande française pour faire du pseudo succès économique ivoirien la vitrine du succès de la politique française. Autant cette propagande française a exalté un miracle ivoirien dans les années 70, autant la même propagande française veut faire admettre le succès de l’économie ivoirienne sous Ouattara grâce aux méthodes dites de la cosmétique. Pour avoir été formatée au moule de l’houphouétisme, une opinion non négligeable en Côte d’Ivoire se laisse gagner par cette propagande. L’incompétence se couvre du beau qui crée l’illusion.

Au plan politique, les brimades violentes infligées au FPI sont les tentations, à lui (Ouattara), de pacifier la société politique ivoirienne comme, naguère, Houphouët l’avait fait. Les emprisonnements assortis d’ assassinats d’opposants ne sont que la réplique de l’houphouétisme. Ceux qui ne peuvent résister à la violence politique qui s’abat sur eux optent pour la collaboration ou se laissent tout simplement acheter.

Dès l’ors, pourquoi s’étonner que des généraux de notre armée, elle-même à la l’image de notre société, nourrie à l’houphouétisme déposent contre celui qui fut leur Chef. Pourquoi trouve-t-on injuste que des jeunes opportunistes et sans repère déposent contre le Président Laurent GBAGBO après lui avoir juré une fidélité infaillible, juste le temps d’un diner ou d’un déjeuner. C’est bien cela l’houphouétisme. La question n’est donc pas individuelle, elle est collective et se rapporte à toute la société ivoirienne.

C’est l’houphouétisme qui a envoyé Laurent GBAGBO à la CPI, c’est l’houphouétisme qui gangrène le parti qu’il a créé dans la douleur, c’est bien l’houphouétisme qui témoignera contre lui à la CPI. Depuis tout le temps GBAGBO a été la cible privilégiée de l’houphouétisme, le chiffon rouge qui agite la conscience de système bâti s sur la corruption et sur le faux. Le Gbagboïsme s’oppose à tout point de vue à l’houphouétisme et c’est cette opposition qui se poursuit à la CPI. Alors inutile de pleurnicher, nous en verrons certainement pire, mais c’est aussi cela l’intérêt de tout combat de rupture. Il se gagne dans la souffrance, les larmes et le sang ou se perd par couardise, et défaitisme. Or il faut que le Gbagboïsme l’emporte dans cette confrontation car tant que l’on n’aura pas soldé l’houphouétisme en Côte d’Ivoire, il est illusoire de croire que l’on peut créer une société ivoirienne solide et en rupture avec son passé de servilité.

Le ministre KONE Katinan Justin

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