L’APG et « ses réformes politiques » : une manœuvre pour conserver le pouvoir !

0

Aucun consensus n’est possible entre l’opposition démocratique et les tenants du régime sur les questions qui mettent en cause les intérêts vitaux des tenants du pouvoir ou sur les questions qui mettent en cause les intérêts de la masse des opposants. Le rejet du projet de loi sur les réformes en est la preuve. L’acceptation de l’APG par le régime n’est qu’une manœuvre de conservation du pouvoir.

Après des mois d’infructueux dialogues, l’Assemblée nationale issue des élections législatives 2013 a rejeté en bloc, le 30 juin dernier, le projet de loi portant sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles.

Expression de l’échec de la politique du « faire semblant », le rejet de ce projet de loi a déclenché une polémique inutile dans le pays. Qui est à l’origine de cet échec ? L’opposition et le pouvoir s’en renvoient la responsabilité. Échec de la politique du pouvoir ? Échec de la politique du courant majoritaire de l’opposition ? Ou encore, échec de l’APG ? Ces questions méritent d’être posées.

L’APG : Un accord aux conséquences désastreuses !

De toute évidence, le rejet du vote des parlementaires UNIR est la conséquence désastreuse et prévisible de l’APG (Accord politique global). Cet accord politique, prétendument consensuel, est intervenu en 2006 entre le pouvoir et le courant majoritaire de l’opposition. Ce dernier ne cesse d’en réclamer l’application et donne le sentiment que ledit accord est un « bon accord ». « Il n’y a pas de parfait accord au monde  » avions-nous entendu dire, un accord que les uns, considèrent désormais, comme étant au-dessus de la Constitution ! Une bien curieuse compréhension de la loi fondamentale dans une démocratie!

Pour rappel, l’APG avait été rédigé par Gilbert Bawara, l’actuel ministre de l’administration du Territoire, et Yaovi Agboyibo, leader de l’opposition et un adepte de la « cogestion ». Une formule acceptée et mise en œuvre pour la formation d’un gouvernement d’Union Nationale (voir les dispositions de l’article 4.1 du chapitre IV de l’APG). Il s’agit, par cet accord, de permettre au régime de se maintenir après les massacres perpétrés contre la population civile lors du coup de force du 5 février 2005. Le régime avait en effet besoin d’un accord de ce genre pour organiser les élections législatives afin de  « normaliser » à son profit la situation politique créée par ce coup de force.

Un accord contestable par conséquent. La CDPA-BT l’avait jugé inacceptable surtout parce qu’elle y avait vu un moyen de légitimer le pouvoir de Faure Gnassingbe. Pour la CDPA-BT, cet accord ne pouvait rien arranger, encore moins, permettre d’engager les réformes constitutionnelles et institutionnelles dans le pays.

Aujourd’hui, la volonté du régime de garder le pouvoir reste intacte et le rejet du projet de loi le montre bien. Ce rejet ouvre un boulevard au régime pour les prochaines échéances électorales. C’est évident. Si les deux parties signataires de l’APG étaient disposées à engager les réformes politiques, le Premier ministre issu des rangs de l’opposition, qui avait dirigé le gouvernement d’Union Nationale, les aurait réalisées.

Tout le débat ouvert depuis le dialogue Togo Télécom II met en évidence le fait que l’objectif de l’APG n’est pas de faire des réformes politiques pour changer de régime. Tout est en substance dans les dispositions des articles 3.1 et 3.2 du chapitre 3 de l’APG sur la poursuite des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Un paradoxe qu’il faut tout de même rappeler.

Les articles 3.1 et 3.2 de l’APG

Pour rappel, selon l’Article 3.1, « Les Parties prenantes au Dialogue s’engagent à poursuivre toutes les réformes visant à consolider la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance. Toutes les Institutions issues du Dialogue et des prochaines élections législatives s’emploieront à mettre en œuvre les réformes permettant d’adopter des textes fondamentaux consensuels conformément à l’esprit de la Constitution d’octobre 1992 et du Code Électoral du 05 avril 2000 issu de l’Accord-cadre de Lomé…….. »

Et l’ Article 3.2, dispose : « Les Parties au Dialogue National engagent le Gouvernement à étudier les propositions de révision constitutionnelle, notamment le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier Ministre, les conditions d’éligibilité du Président de la République, la durée et la limitation des mandats présidentiels, l’institution d’un Sénat, la réforme de la Cour Constitutionnelle. Le Gouvernement prendra en charge ces propositions pour la prochaine législature…… »

Ces deux dispositions suffisent à elles seules pour montrer que réaliser un consensus sur des questions essentielles avec le régime n’est pas possible pour l’opposition démocratique et inversement. Bien que conscientes de cela, les parties prenantes ont laissé l’initiative au Gouvernement d’engager, d’étudier toutes propositions pour les prochaines législatures. Ce faisant, elles n’ont fait que repousser aux calendes grecques la question des réformes agitée de temps à autre, à la veille de chaque échéance électorale.
En mettant en avant l’esprit de la Constitution d’octobre 1992 repris dans l’Accord Cadre de Lomé, les rédacteurs dudit accord étaient plus préoccupés d’amener l’opposition à un semblant de consensus que d’engager de véritables réformes dans le pays. En tout cas, c’est le sentiment qui s’imposait lorsque, dans une fuite en avant, les deux parties se sont empressées d’organiser les élections législatives après la signature de cet accord en 2006.

L’APG et le vote de blocage à l’Assemblée nationale.

La CDPA-BT ne peut pas croire que les parties signataires de l’APG avaient la volonté d’engager des réformes politiques dans le pays. Si non, comment comprendre que, pour éviter le blocage à l’Assemblée nationale, elles n’aient pas été capables de proposer tout simplement le retour à la Constitution d’octobre 1992, celle-là même qui avait déjà fait l’objet d’un consensus national, et qui avait réglé la question de limitation de mandat et celle du mode de scrutin à deux tours dans ses articles 59 et 60 ?

L’article 59 dispose en effet que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats». Et l’article 60, évoqué plus tard encore dans l’accord cadre de Lomé en 1999, stipule clairement que « L’élection du Président de la République a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours… ».

Ces deux articles sont, on ne peut plus, claires. Le régime ne pouvait pas les ignorer pour les avoir supprimés dans la constitution de 2002 qu’il a unilatéralement modifiée. Il est insoutenable de faire croire que le régime avait fait une concession majeure à l’opposition parlementaire en introduisant l’article 60 comme additif pour compléter le projet initialement envoyé à l’Assemblée nationale. En fait, il l’a fait juste pour tenter d’avoir le soutien des parlementaires de l’opposition.

La fonction politique assignée à l’APG (il faut le souligner) n’était pas d’engager des réformes. Tout avait été mis en œuvre pour verrouiller le processus démocratique. Il faut donc le savoir. Et les députés de la majorité l’ont compris. Ils ont compris que le projet aurait pu recueillir le vote des 4/5 et être adopté s’ils mêlaient leurs voix à celles des députés de l’opposition. Ils ont donc rejeté en bloc ledit projet de loi pour être conforme à l’esprit de leur APG.

Il n’est donc pas possible de croire, dans ce jeu convenu auquel se sont livrés les députés de la majorité et de l’opposition, que les vrais raisons du rejet sont celles évoquées. Elles ne sont ni dans « l’intransigeance de l’opposition » ni dans « la surenchère, le manque de réalisme et un peu de démagogie » qui seraient à la base de l’absence de compromis et de consensus. Tous le savent.

Comme n’a cessé de le rappeler la CDPA-BT, aucun consensus n’est possible entre l’opposition démocratique et les tenants du régime sur les questions qui mettent en cause les intérêts vitaux des détenteurs actuels du pouvoir ou sur les questions qui mettent en cause les intérêts de la masse des opposants. Le rejet du projet de loi sur les réformes en est la preuve. L’acceptation de l’APG par le régime n’est qu’une manœuvre de conservation du pouvoir.

Paris, le 2 Août 2014

Pour la CDPA-BT,
Le Secrétaire de la Section de France
Emmanuel Boccovi

Partager

Laisser une réponse