Kpatcha : L’interview qui a fait basculer sa vie

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Etait-il conscient qu’il provoquait tout un système sans le savoir ? Etait-il conscient que le pouvoir ne se partage pas ? Etait-il conscient que son frère Faure avait une autre conception de la fratrie que lui ? Avait-il dans sa vie écouté  les conseils du plus petit, du plus faible ? Autant de questions mais peu de réponses. L’intéressé Kpatcha est en prison. De sa prison, il doit être entrain de se mordre les doigts pour cette gaffe qui ne pardonne pas dans une dictature tropicalisée dont les racines sont vieilles de 40 ans. De ce système qui broie tout le monde et dont personne ne voit la vraie tête pensante. De ce système, qui a la capacité d’être à l’agonie et d’être capable de se relever sans le concours de personne !

En pleine campagne des législatives en 2007, le confrère Le Monde envoie son journaliste maison  et spécialiste de l’Afrique Philippe Bernard au Togo. Les ministres sous Eyadema qui ont connu le journaliste et les politiques de l’opposition sont au parfum de sa venue. Officiellement pour couvrir les élections législatives. Dans les faits, il fallait décrocher une interview d’un cador du RPT. Philippe Bernard par des connections (lui au moins est blanc) la tâche, lui est plus facile et il atterrit à  Kara, fief où Kpatcha a élu son QG pour les législatives. Un rendez-vous est pris. Kpatcha doit parler dans son salon feutré avec le journal le Monde, l’un des journaux les plus prestigieux de la France.

Face à face Philippe Bernard et Kpatcha Gnassingbé

L’immaturité et la naïveté politiques du plus « kabyè des kabyè » étaient de taille. A la question sur la dictature de son père, Kpatcha fait une erreur monumentale dans un Togo pas encore réconcilié : « Les gens regrettent le président Eyadéma, il était proche du peuple ».  Plus loin, « Je défends à 100 % l’héritage de mon père, poursuit-il. Il n’était pas contre la démocratie, mais il pensait qu’il fallait y aller doucement. Comme lui, je n’aime pas le désordre. Ici, la démocratie c’est tout de suite le régionalisme, le tribalisme. Le laisser-aller en Afrique, c’est le bordel »

Quand son frère Faure s’efforçait encore de polir le legs archaïque laissé par son défunt père, Kpatcha ne voyait rien qui ait fait basculer les vies de milliers  de familles togolaises. Le journaliste fini par se rendre à l’évidence que son interlocuteur ne connaissait rien de sa démarche. Il faut comme le métier nous l’apprend, « coincé » l’interviewé. En terme journalistique, Kpatcha est une bonne proie. Philippe l’accule jusqu’à le laisser lâcher le morçeau : « Mais si le pays arrivait à une situation de blocage politique, l’armée n’hésiterait pas à entrer en jeu ». L’homme qui le dit est encore ministre de la Défense, et le pouvoir de Faure est encore fragile, sinon très fragile.

Après lecture de l’interview qui a fait le tour du monde,les proches de Faure se frottent les mains. L’alibi pour le nettoyer et l’évincer est désormais acquit. Si  Kpatcha a étudié, il paraît qu’il  n’a pas fait de philosophie et n’a pas connu les livres d’Ernest Renan qui disent: « L’intention vaut l’acte ». Les chancelleries en poste à Lomé, les proches de Faure vont commençer par étudier tous les plans. Kpatcha n’est pas aimé du côté des blancs et Faure le sait. La Commission des Nations Unies parle de lui dans leur rapport. Celle de Koffigoh non plus n’est pas tendre. La Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) le voit comme un vrai parrain des massacres de 2005. Kpatcha doit lutter contre tous ces moulins à vent. Mais l’homme au fait n’était conscient de rien !

Faure est fin, Kpatcha est brute !

Faure abat ses premières cartes justes avant les élections de 2007. Ces ingénieurs en propagande déversent un torrent de tracts dans les camps. On simule sur des coups d’Etat. Le fameux tract dans lequel on cite Agbéyomé et certains ex-ministres de feu Eyadema de comploter contre Faure envahit le camp Général Eyadema. On sort coup sur coup deux voitures Rolls Royce qu’il aurait acheté à 500.000 dollars l’unité. Un canular ! Mêmes les presses privées et les journaux onlines se laissent aller au mensonge. On monte le baromètre de ses vrais -fausses vente de drogue afin d’attirer les chancelleries en poste à Lomé contre  lui. On tance Ingrid Awadé d’activer par une guerre farfelue d’impôts les relations qu’il aurait avec le libanais Nadjar.  Faure est dans un mutisme qui ne fait pas penser à  Kpatcha que quelque chose se trame contre lui. Les militaires sont réquisitionnés et mis en alerte maximale  pour un « faux coup d’Etat » qui n’existe que de nom au camp. Les intermédiaires de Kpatcha, eux, non plus ne sont pas innocents. On le gave d’une supériorité qu’il aurait sur son frère au sein de l’armée. On lui parle de l’amour que tout le grand peuple kabyè le vouerait. Les élections arrivent à grands pas et sont à son avantage. Il se fait élire à 85% et va à la rescousse de beaucoup de députés du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) dans le septentrion dont l’avenir dans les urnes  vacillaient. Il sort très satisfait des élections législatives de 2007 et en est le véritable vainqueur au RPT. Le confrère la Dépêche fait de lui leur petite  star.

Les mêmes qui le conseillaient d’être plus aimé et plus « Faure » que son frère Faure le conseille de prendre l’Assemblée Nationale. Dans les démocraties européennes, Kpatcha et sa légitimité de 85% à Kara pouvait l’ouvrir ces portes. Nous sommes au Togo. La légitimité est pour les faibles rôles. L’illégitimité pour les grands rôles. C’est en toute illégitimité teintée de quelques flaques de sang que nage son frère Faure. La rumeur s’empare au RPT. On raconte comment Kpatcha en toute légitimité peut devenir le numéro deux du Togo. La peur s’empare chez les pro-fauristes. Généraux, et officiers kabyès se partagent la famille Gnassingbé, mieux les deux frères. Chacun ment comme il peut dans l’espoir d’être aimé par Faure ou Kpatcha. Le camp Faure l’emporte par un mensonge de « coup d’Etat » ridicule qui resterait dans l’histoire du Togo comme le plus grand scandale d’Etat.

Les services secrets des pays étrangers profitent eux aussi des captures et écoutes téléphoniques entre Kpatcha et associés pour enfoncer le clou et mentir sur une préparation de coup d’Etat. Il ne restait qu’au commandant  Felix Kadhanga  d’aller ranger l’arsenal qu’il faut montrer au monde entier. Robert Bakaï, lui s’occupera du volet juridique avec des lacunes monstres qui ont fait dire au président du CAR Dodji Apevon à notre micro que le procureur était un « rigolo ». Faure  remerciera les menteurs « blancs » dans son discours à la nation. Dans les faits, chacun voulait se débarrasser de Kpatcha. Il était encore l’un de ses fils à ne rien comprendre du commerce entre diplomates et de pays à pays. Faure voulait pousser son demi-frère avec une histoire de drogue et de faux dans les bras des blancs. Ces mêmes blancs ne voulaient pas d’un prisonnier qui leur serait encombrant et coûteux. Finalement dans ce poker, les blancs ont réussi à pousser Faure vers une autre erreur en l’amenant à mettre dans ses geôles son propre frère.

Ce que Kpatcha a oublié…

On nous accuse au Lynx de ne pas assez tendre le micro au Rassemblement du peuple Togolais. Mais, non ! Depuis que nous nous sommes attelés à réparer ce tord et équilibrer l’information, nous avons butés sur un mur. Au RPT, on parle avec une autorisation d’après nos recoupements. Quand Gilbert Bawara l’ex-ministre de la coopération a voulu un « peu changer » les habitudes de la maison, en accordant des interviews aux journalistes quand il mange, ou quand il veut aller au lit, la suite, il fait partie des trois ministres à ne pas être rappelés ! Quand le Lynx a tenté avec des hauts dirigeants du RPT  pour des interviews nous avons entendus : « Je suis en réunion, je suis en réunion, je suis en réunion, je suis …. ». La règle est ainsi dans ce parti. Le brouillard est si grand au sein du RPT que personne ne veut être visible. « Pour solidarité gouvernementale, Kpatcha devrait décliner l’offre du confrère Philippe Bernard » assène un proche du RPT au Lynx.

Une analyse profonde nous amène à conclure que Kpatcha était tout, sauf un politique. Il était tout sauf un tacticien, un loup politique. Il croyait en la famille, à ses vertus. Faure croyait  au pouvoir, aux affaires et à l’argent. Et dans un monde qui ne pardonne plus, c’est ceux qui ont le pouvoir et l’argent qui peuvent se permettre de faire des erreurs et ne pas se retrouver pour longtemps dans les geôles

Camus Ali Lynx.info.

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