Cette semaine sera décisive dans la vie politico-judiciaire togolaise. Le procès que tous les Togolais attendent depuis plus deux ans, se tiendra jeudi 1er septembre au Palais de Justice de Lomé. Selon les informations, la plupart des détenus réfutent les allégations contenues dans le procès-verbal. Ce qui promet un procès houleux et la fratrie risque de se déchirer davantage.
Que dit le procès-verbal ?
Comme nous l’avons écrit dans nos précédentes parutions, la clé USB fait partie des éléments de preuves contenus dans le fameux procès-verbal auquel ont eu accès aussi bien les avocats des détenus que ceux de l’Etat. Parmi les fichiers figurant sur la clé USB se trouve un projet de communiqué qui lui est attribué, dans lequel Kpatcha apporte son soutien à un coup d’État qu’il vient, dit-il, de « suivre avec une grande surprise mais avec beaucoup d’attention », avant de demander « à tous et à chacun d’éviter la chasse aux sorcières et les règlements de comptes », a écrit en son temps « Jeune Afrique ». On indique en outre qu’un plan de contrôle militaire de la capitale et une proclamation de prise du pouvoir par les forces armées était en préparation. Cette dernière fustige « le désordre » et « la gabegie » qui, selon les présumés putschistes, régneraient sur un pays « sans autorité visible », devenu « une grande plaque tournante de la drogue ».
D’après le procès-verbal, c’est la déposition d’Essozimna Gnassingbé dit Esso qui a confondu les principaux cerveaux du fameux putsch qui auraient fini par avouer les faits. Kpatcha Gnassingbé, qui sait que son demi-frère doit s’envoler pour une visite de travail en Chine cinq jours plus tard, raconte « Jeune Afrique », reçoit en sa résidence de Kégué (banlieue nord-est de Lomé) le commandant de gendarmerie Abi Atti, 46 ans, un Tchamba de Sotouboua, de retour de Côte d’Ivoire, où il sert au sein du contingent togolais de l’Onuci. Atti est un très proche de Kpatcha, qui l’a beaucoup aidé dans le passé et à qui il ne peut rien refuser. C’est aussi un militaire respecté dans l’armée. Lorsque Esso vient le chercher au bar Le Relais de la Caisse pour l’emmener dans son véhicule au domicile de celui qui n’est plus depuis décembre 2007 que le simple député de Kara, il ne sait rien de ce qui se trame. Tout juste se remémore-t-il une petite phrase mystérieuse de Kpatcha, il y a deux mois, alors que, permissionnaire à Lomé, il était venu lui rendre visite: « Je vais te confier une mission très importante. » Et quelle « mission »! En ce soir du 8 avril, dans le salon de l’honorable député, outre l’hôte et son invité, il y a là Essozimna et un certain Kouma Towbeli, 39 ans, un Kabyé de Pya, qui fait office de secrétaire particulier de Kpatcha. Après avoir fait asseoir le commandant Atti, le demi-frère du président expose son projet. Il s’agit, lui dit-il, de renverser Faure pendant son voyage en Chine en s’emparant de la radio, de la télévision et de la présidence, le tout sans effusion de sang et en respectant les institutions de la République. Puis de former un gouvernement de transition de dix-neuf membres composé de quatre militaires et de civils apolitiques sous la houlette de l’actuel Premier ministre, Gilbert Houngbo, lequel n’a pas, est-il besoin de le préciser, été consulté, encore moins mis au courant. Une structure parallèle, le « Comité national de rectification et de réconciliation », composée uniquement d’officiers et de sous-officiers sera mise en place pour surveiller le processus, l’objectif étant d’organiser dans un délai de deux ans une élection présidentielle « crédible et transparente » à laquelle Kpatcha, lui-même réinstallé entre-temps au fauteuil clé de ministre de la Défense, se portera candidat. Et le commandant Atti dans tout cela? « Tu seras le président de la transition », lui explique Kpatcha.
Il est aussi rapporté toujours dans le magazine panafricain que les « comploteurs » auraient juré sur la Bible et le Coran d’aller jusqu’au bout, et qu’« avant de se séparer, Kpatcha et Atti rédigent chacun un serment mutuel de fidélité dans lequel ils s’engagent à ne pas se trahir: « Je soussigné Kpatcha Gnassingbé m’engage solennellement devant Dieu et devant la tombe de mon père feu le président Eyadéma à apporter tout mon concours au commandant Atti pour la mission que nous avons entreprise ensemble », écrit l’ancien ministre de la Défense dans son message. Et à Atti de répondre : « Je lutterai de toutes mes forces à ses côtés. Je lui rendrai tous les honneurs dus à son titre et je ne manquerai jamais de respect pour sa personne en tout lieu et en toutes circonstances ».
« Décrit par son secrétaire Towbeli comme « un passionné des armes » qui a conservé chez lui « une partie du stock privé du feu président Eyadéma à Lomé II », Kpatcha avait à plusieurs reprises cherché à se procurer des munitions de 7,62 mm au Ghana voisin. Les a-t-il obtenues? », s’est demandé le journal qui a mentionné au passage les regrets de Kpatcha : « C’est moi qui ai mis Atti dans ces problèmes. Il ne savait rien quand il est rentré de mission en Côte d’Ivoire. Dans la vie, il arrive que l’on commette des erreurs ».
Des allégations de coup d’Etat rejetées
Au départ, beaucoup de diplomates ont accordé du crédit aux allégations d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Surtout qu’au cours de l’enquête préliminaire, il est rapporté que c’était l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique au Togo qui a éventé le complot. « Selon une source proche du chef de l’État, ce sont les services de renseignements de l’ambassade américaine à Lomé – auxquels Kpatcha aurait imprudemment confié son projet et auprès desquels il a ensuite tenté en vain de trouver refuge – qui, après avoir fait mine de l’encourager, ont prévenu Faure Gnassingbé de l’imminence du putsch « fratricide ». Dans sa déposition aux gendarmes chargés de l’enquête, le commandant Atti aurait été explicite à ce sujet: « Le ministre Kpatcha m’a dit qu’il a reçu l’ambassadeur des États-Unis chez lui et qu’il est soutenu par les Américains. Il m’a dit qu’il leur a soumis une liste des officiers pouvant assurer la transition et que j’ai été préféré par ces derniers, parce que je ne suis pas entaché du problème de trafic de drogue ou de violation des droits de l’homme» », a révélé « Jeune Afrique ». Interrogé sur ce point le 28 avril par les enquêteurs du Service de recherches et d’investigations de la gendarmerie togolaise, a poursuivi le magazine, le demi-frère du président aura cette réponse sibylline: « Les Américains n’ont jamais pensé à faire quoi que ce soit. Si j’ai demandé à Atti s’ils l’avaient contacté en Côte d’Ivoire, c’était pour savoir quels étaient ses contacts ». Et chose curieuse, un fonctionnaire togolais de l’ambassade des Etats-Unis avait été arrêté à l’époque et libéré quelques jours plus tard en catimini ; depuis lors, il fait la pluie et le beau temps dans la représentation américaine au Togo. Seule l’ancienne ambassadrice Patricia Hawkins sait le rôle qu’elle a joué dans le fameux putsch de Pâques.
Mais au fil des mois, les diplomates accrédités au Togo se sont ravisés et ont compris qu’il n’y avait rien de sérieux dans ce qui s’était passé. Ils se sont rendus compte qu’il s’agit juste d’une tragédie grecque dans laquelle l’un des héritiers use des manœuvres pour se débarrasser des autres. « Cette affaire de coup d’Etat est un dossier vide. Les deux fils du président Eyadema ne s’entendaient plus depuis un bon moment mais Kpatcha Gnassingbé entretenait de bons rapports avec les officiers des FAT bien qu’il soit débarqué du ministère de la Défense après les législatives de 2007. Craignant la fronde qui se faisait de plus en plus persistante au sein de la famille, Faure a profité de sa position pour éliminer son demi-frère. En fait, cette affaire de coup d’Etat était juste un alibi pour que Faure puisse placer ses pions à la tête des garnisons et rester le seul capitaine da ns le bateau », nous avait confié un diplomate.
De même, les avocats de Kpatcha Gnassingbé qui ont été constitués par son épouse n’ont cessé de marteler que le dossier est vide. Ce que confirment de plus en plus de sources proches du dossier. Selon les informations, tous les détenus plaident non coupables dans cette affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat. « Personne ne reconnaît avoir participé à quoi que ce soi. Ils disent qu’ils n’ont rien commencé et que tout ce qu’on leur reproche ne leur a jamais effleuré l’esprit », affirme l’une des sources.
A en croire les avocats qui ont eu à rencontrer jeudi dernier certains des détenus dont Kpatcha Gnassingbé, ceux-ci sont bien portants et ont la bonne mine. Cependant, beaucoup ont été victimes de traitements cruels, inhumains et dégradants. Est-ce à dire que c’est sous le coup de la torture que les aveux contenus dans le procès verbal ont été obtenus ? Réponse au Palais de la Justice de Lomé.
En outre, le délit de « groupement de malfaiteurs » est considéré par la famille des détenus comme cocasse. Tant il y a parmi les prévenus des gens qui ne se connaissaient pas et qui ne se sont découverts qu’après leur arrestation. Certains ont été interpellés juste sur un coup d’appel alors que d’autres l’ont été pour avoir eu leur numéro dans le répertoire du principal cerveau.
De tout ce qui précède, on tend vers un procès houleux et Faure Gnassingbé risque d’être in naturalibus si le Président de la Cour d’Appel, Abalo Pétchélébia, traduit dans les faits sa promesse d’organiser un procès équitable. Les familles des détenus attendent de voir avant d’y croire. Mais il est vivement souhaité qu’au nom de cette transparence proclamée, le procès soit retransmis en direct pour permettre à tous les Togolais de suivre les audiences. De même, il importe que la sécurité des avocats surtout ceux de la défense et des témoins soit assurée. L’autre crainte se trouve dans le camp de la défense où il y a un certain Djovi Gally qui a effectué son mercato politique en mai 2010 en devenant l’ami du bourreau de son client.
R. Kédjagni