Ivoiriens, la Côte-d’Ivoire vous parle: «mon passé vient embêter mon présent» (Professeur Samba Diakité)

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Enfant, je représentais l’espoir; j’étais un être pur et sans malice. Ma vulnérabilité face au danger et ma fragilité rendaient le futur imprévisible. J’ai été soumise de force, ma virginité m’a été arrachée de manière violente avant que je n’atteigne l’âge de la puberté. Je me suis battue. Pourtant, j’ai perdu face aux nouveaux venus. Le combat était illégal. Je n’avais pour armes que mes larmes tandis que leurs armes étaient la pioche de nos âmes. Chaque cri me poussait vers la Liberté. Chaque nouveauté m’amenait à la découverte de mes émotions. Chaque apprentissage me conduisait à la perte de mon innocence et au gain de connaissance, chassant l’insécurité de ma nature en tant que jeune nation. C’est avec toute cette expérience que j’acquis mon indépendance et progressai vers la maturité. Tranquillement, je devrais, m’intégrer à la culture de ma société, me soumettre aux exigences de mon peuple. Mes valeurs, mes choix et ma différence définiront qui je suis. Ma réalité, c’est les responsabilités, le travail, le développement et les ambitions.

La vie est un combat entre les rêves et les limites, les idées et les déceptions, ainsi que la raison et le désir. Vais-je trouver ma voie? Vais-je choisir la dépendance et l’anéantissement de soi ou la folie et la raison ? Tant de pressions me forcent à légitimer ma raison pour donner raison à la raison; c’est en quelque sorte une obligation; tant de tumultes m’obligent à m’arc- bouter sans jamais me casser. Hier, mes enfants se sont entretués; j’entends encore les cris du corridor de Yamoussoukro, le silence de Nahibly, les craquements des flammes de Yopougon, les lamentations d’Agban et d’Akouedo, les sanglots de Tanda et de Man. Certains de mes enfants sont devenus apatrides dans ma propre maison; d’autres se sont exilés et d’autres encore déportés loin de mes regards.

Dites –leur que je les aime, qu’ils me manquent, que j’ai l’envie de les prendre et les garder dans la chaleur de mes seins maternels et je sais aussi que je leur manque. Aujourd’hui, encore, je suffoque sous le poids des charges de ceux qui sont restés , sur place, près de moi. Certains d’entre eux me tirent dessus, d’autres me désobéissent, m’insultent, d’autres encore ont des intentions incestueuses du fait de l’apparente embellie de mon visage qui scintille comme le soleil de minuit; la pointure de mes tétins et mes seins dressés comme l’unique papaye dans un champs de célibataires affamés , donnent l’envie aux bambins et aux talons rugueux de le regarder avec faste, de le toucher passionnément, de le malaxer avec dextérité et de le sucer à satiété telle une fourmi dans un pot de miel; la forme « calebassée » de mes fesses branle tout séducteur aux abois et sa belle mélodie appelle les plus grandes convoitises et laisse ouvrir des braguettes. Ne dites pas d’eux qu’ils sont des enfants indignes; il n’y a pas d’enfants indignes que ne mette au monde une mère digne; il n’y a que des enfants qui se perdent ou qui se fâchent. Mon devoir est de retrouver les uns et de contenter les autres. J’ai pardonné à tous; j’ai pensé avoir conjuré le mauvais sort; j’ai fait des libations; j’ai versé l’eau au Nord et le whisky au Sud. Mais, il faut qu’ils apprennent à se pardonner mutuellement.

Je sais que j’ai commis des erreurs, des fautes. Je n’ai pas appris à mes enfants que l’opulence précède l’indigence, que l’avancement d’une nation ne se limite pas à la bureaucratie, que tout travail bien fait nourrit son homme. Mère, je n’ai pas été prévoyante dans la gestion de mes enfants et dans l’utilisation des capitaux au moment où j’étais bien grasse, doublée d’une autorité sans pareil. Ce que je me reproche, c’est de vous avoir fait croire que je suis une mère laitière dont le sein ne se tarirait jamais, une cabane à sucre dont seules certaines familles ont l’égoïste droit de vider sans penser aux autres. Aussi devrais-je vous montrer que le civisme n’est pas le suivisme-dromadaire, que le vivre-ensemble n’est pas le vivre- en- sabre pour vivre-en –sable. Toutefois, ce début d’anxiété ne doit pas troubler mon existence, car je dois relever des défis, accomplir mes devoirs et mettre en place des institutions fortes pour que tous soient égaux devant la loi, afin d’éviter des frustrations, de peur de devenir moi-même un hors-la- loi, la génitrice, productrice d’injustices. Des sentiments comme l’insécurité peuvent se transformer trop facilement en stress, peur et angoisse. Le temps me rattrape, mon passé vient embêter mon présent, je reprends conscience et l’incertitude me ronge à nouveau. C’est une dure période de questionnement et de remise en doute, produisant ainsi un choc et un vide en moi. C’est avec étonnement et émerveillement que je découvre de nouveaux savoirs, de nouveaux pouvoirs et j’en appelle à de nouveaux devoirs. Les heures, les minutes et les secondes s’écoulent sans cesse. Hier, je n’étais qu’une simple pensée en germination, une nation muette aimée et mal-aimée à la fois. Aujourd’hui, je suis une nation adulte, une génération consciente, et demain, je serai l’avenir de l’Afrique, le sommet du monde, la Côte qui se fait voir à distance et qui se protège contre les intempéries de toutes sortes tel un Éléphant qui défend ses petits contre l’acharnement des braconniers.

Professeur Samba DIAKITÉ

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