Inédit: Voici comment la CPI s’est inspirée du Rwanda pour le procès contre Laurent Gbagbo… [ Par Michel Galy]

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Génocide et plan commun: Le cas rwandais appliqué à la Côte d’Ivoire par les procureurs de la Cour Pénale Internationale

« Sans [l’intervention militaire]il y aurait eu, en Côte d’Ivoire, un génocide pire qu’au Rwanda. Tel que c’était parti, on aurait pu avoir un million de personnes assassinées» – Alassanne Dramane Ouattara.

Si l’acte d’accusation du procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé à la CPI parait aux spécialistes de la Cote D’ivoire dénué de sens (commun), c ‘est que par un mécanisme propre aux institutions ou organismes internationaux, les arguments qu ils développent sont dupliqués d’ un autre contexte politologique et judiciaire : celui du Rwanda.

D’une part, il y a bien un mécanisme de duplication et de reproduction commun à bien des institutions onusiennes(mais aussi aux ONG), d’autre part des domaines variés sont concernés(ainsi , au delà de la justice, le monde de l’action humanitaire et celui du développement) ; enfin il faudrait aux responsables internationaux(mais aussi aux politiques et aux militants nationaux) une culture de Relations Internationales comparatiste, et nous allons le voir, pas uniquement pan-africaine.

Ainsi l’acte d ‘accusation se base sur un comparatisme biaisé(qui ne cite pas ses sources, ni le pays référent), mais aussi sur des thèses complotistes qui quelque part font l’impasse sur la vie politique à l’occidentale, les revendications nationalistes contre le néocolonialisme et les jeux mouvants de l’ethnicité.

Je me baserai donc sur la littérature politologique sur le génocide rwandais, en dégageant quelques traits forts, et en examinant comment ils ont été transposés artificiellement dans le contexte ivoirien , pour produire un acte d ‘accusation en porte à faux.

Ce faisant , je m’éloignerai bien évidement des thèses négationnistes et révisionnistes sur le Rwanda qui foisonnent hélas…et qui renvoient le cas ivoirien et le cas du président Gbagbo du coté des génocidaires et des dictateurs- ce que les dirigeants actuels ou passés(je pense à mes échanges fructueux avec le regretté Miaka Ouarto) du FPI ont bien compris.

L’ « AKAZU » AU CŒUR DU RÉGIME HABYARIMANA, CONCEPT CLEF DU GÉNOCIDE RWANDAIS

Le génocide d’environ un million de Tutsis(et de Hutu modérés) au Rwanda en 1994 a été jugé par le Tribunal pénal international d’Arusha(TPIR), qui constitue une sorte d ‘ « ancêtre » de la CPI. Nous verrons que nombre d’acteurs, de procédures,de jurisprudence, de stéréotypes ont été dupliqués aveuglement de l’ un vers l’ autre.

En laissant de coté les massacres de Hutu commis par le FPR de Kagamé, le TPIR suit la définition du génocide adoptée par le juriste américain Raphaël Lemkin , qui est à la base des conventions de Genève de 1948.

Il opposait génocide, destruction volontaire d’une collectivité par une puissance de droit ou de fait et assassinat individuel. Cette destruction pouvait être selon lui de nature physique ou culturelle. Une condition du génocide selon Lemkin n’était pas seulement l’expression d’une volonté affirmée de détruire un groupe mais surtout la mise en place d’une organisation pour ce faire .
Traduit en termes juridiques contemporains, génocide et crimes contre l’ humanité supposent d après les tribunaux internationaux l ‘adoption d’une « Politique », traduite en « plan commun » : l’un ne va pas sans l’autre.

« Politique » de quoi ? Eh bien d’extermination globale, physique d’un groupe antagoniste. La structure, le « plan commun » sont les modalités concertées et pratiques de la politique d extermination.

Notons que à Arusha même, il a été juridiquement impossible d’ établir la « Politique »1, faute de preuves écrites ou d’aveux concordants, alors même que le plan extermination des Tutsis les ordres, les modalités du sommet jusqu’aux moindres collines, était abondamment prouvés .2
Or pourtant, la structure, quoiqu’ informelle, existait et a été corroborée par de multiples témoignages. Il s agit de l’ « akazu » cette « petite maison » en kinyarwanda , ce groupe de pouvoir de parenté et d’ affinités, établi autour de la femme du président Habyarymana, Agathe- qui coule de jours heureux à Courcouronnes tout près de Paris, grâce à son sauvetage par l’ armée française et sa protection par la droite et la gauche « socialiste » co- responsables et même coupables de complicité de génocide, en temps de cohabitation mitterando- balladurien.
Autour du premier Ministre Jean Kambanda et de l’épouse du président -dictateur, il existait bien une « structure- fantôme », qui mêle personnel politique, gradés de haut niveau(dont le tristement célèbre colonel Bagosora), et civils:idéologues, journalistes, responsables des terribles milices génocidaires dites « Interhamwe »(qui liées au parti-Etat, semblent ressusciter dans la même violence autour du despote burundais Nkurunziza).

RWANDA-COTEDIVOIRE : L’IMPOSSIBLE TRANSPOSITION

Guerre préventive, génocide évité…toutes les arguties n’y font rien.IL n’ y a pas eu de génocide en Cote d’Ivoire. Faute de mieux, si on peut dire, l’accusation se focalise sur les “crimes contre l’humanité” et le massacre des”populations civiles”. Notons qu’il faudrait parler de “complexe judiciaire onusien” puisque la trop fameuse “résolution 1275 du Conseil de sécurité » qui légitime a posteriori l’intervention, puis le Coup d’Etat franco-onusien, se réclame de cette même logique. L’un et l’autre sont des avatars de la très contestée , et récente “responsabilité de protéger” qui depuis 2005 justifie toutes le interventions militaires occidentales- et se heurtent au principe du primat de la souveraineté et égalité des États (base des Nations unies), de la Constitution- et du Conseil constitutionnel dans le champ électoral en particulier.

Après le fiasco de la “confirmation des charges” à la CPI, Laurent Gbagbo a failli être libéré en juin 2013 , selon la Défense, devant un dossier hétéroclite et insuffisant du Procureur: coupures de presses, , citation d’ ONG pro- Ouattara… ; ce n’est que l intervention des envoyés de Ouattara et de Laurent Fabius lui même qui donna une seconde chance à l’accusation,de revoir sa copie -procédé proprement scandaleux d ailleurs.

Or, à la grande surprise des observateurs, la “requalification des charges” conserva la première structure, notamment l’analyse d’une “Politique”(d extermination) déclinée en “plan commun”.
Dès lors se déroule une transposition implicite avec le “modèle rwandais”. D’ où par exemple l’insistance à réclamer à La Haye Simone Gbagbo: elle tient bien sûr la place symbolique, structurelle, d’Agathe Habyarimana.

D’ où l’analyse de la “galaxie patriotique” en une armée, du moins une milice avec une organisation militaire: c’est pour l’accusation l’équivalent structurel des Interhamwe” du génocide rwandais.

La presse française, dont on sait le rôle de relais du pouvoir d’ État, voire comme je l’ ai proposé de précurseur à toute intervention militaire, use et abuse d’un vocabulaire « à la rwandaise »: les “escadrons de la mort” sont le “réseau zéro”(celui de l’akazu rwandaise). La RTI devient la “radio Mille Collines”, partie des “média de la haine” que constitue la “presse bleue”!

Les observateurs se sont à juste titre étonnés du réquisitoire de Bensouda, concernant les rapports interethniques en Cote d’Ivoire. Méconnaissance et ignorance peut- être. Mais si la dichotomie proposés reflétait en fait celle des deux grands groupes rwandais, tutsis et hutus ? Les premiers assignés aux « dyoulas », les seconds aux sudistes; en danger d’extermination-selon ce schéma accusatoire- les nordistes auraient fait appel à l’aide internationale pour se préserver du génocide supposé, organisé et planifié.

Il faut pour cela que la dichotomie soit profonde et irréversible, et que les violences de la “crise post électorale” ne concernent qu’ un camp- et présagent un génocide. On sait qu’il n’en est rien et qu’en particulier la sociologie électorale montre qu ‘à l’inverse de l’acte d’accusation, l’électorat de Laurent Gbagbo était multiethnique(notamment dans Abidjan)- et lui seul.
Et si le projet dénoncé par l’accusation était celui du “clan Ouattara” ? J’ ai proposé dans mon précédent texte sur ce sujet(“le modèle rwandais du procureur Ocampo »)une explication à cette grandiose méprise, au delà de la duplication te transposition.

Effectivement “politique” et “plan commun” concernent en réalité …le “clan Ouattara”et ses alliés, si ce n’est ses commanditaires. Non que les nordistes souhaitent en quoi que ce soit “génocider” les sudistes. Quoique dans le cas guéré, on puisse se poser la question.Sous la houlette de M° Habiba Touré, ne vient-on pas de déposer 1300 plaintes pour crimes contre l’ humanité à la CPI, qui s est bien gardée, en six ans, de commencer à instruire les crimes de guerre des forces pro-Ouattara? Je reviens des camps du Ghana, j’ ai de la documentation sur ceux du Liberia: qui ne sait -à part la diplomatie française et ses relais onusiens -notamment le HCR- que les 100 000 guérés ne peuvent rentrer faute d être décimés comme à Duekoué ou à Nahibly? Que leurs terres sont occupées par des sahéliens protégés par les milices pro Ouattara?

Indéniablement, on reconnaît la même « logique »d’ Agit-prop , les mêmes formules, dans divers épisodes de la crise ivoirienne:en 2004 déjà, les responsables militaires, comme le Colonel Destremeau, les généraux (Poncet, Bentegeat) la ministre Alliot- Marie n ‘expliquaient t ils pas que le massacre dune soixantaine d’ivoiriens aux mains nues et de 2000 blessés n’avaient été effectués que pour « éviter un carnage » ? Tuer effectivement pour éviter beaucoup de morts -virtuels, imaginaires, à venir ? On reconnaît là le rideau de fumée et la propagande de 2010-2011.
Armement et uniformes flambants neufs, logistique, transport d armes vers Bouaké, convoyage de rebelles dans Abidjan par les corps expéditionnaires de l’ONUCI et de Licorne : tout a été planifié, en particulier aidé par les fameux COS, ces forces spéciales cornaquées depuis Ouaga par l’ambassadeur -général Beth.

Il n’est jusqu’aux colonnes infernales qui quadrillaient l’Ouest, l’épuration ethnique des quartiers ou de campagne pro-gbagbo, les camps d’incarcération et les milliers d morts civils, la déportation des hommes et femmes politiques(à commencer par Laurent Gbagbo confié au criminel de guerre Fofié à Korhogo, le laissant mourir à petit feu dans des conditions indignes) du régime renversé par le coup d’Etat franco- onusien qui ne donne l’impression d’avoir été réfléchi et planifié -par avance ?

J ‘ai démontré en plein feu de la « bataille d’Abidjan »3 que certains avaient relu l’Algérie et le Cameroun au miroir de Lutwack, de Massu, et des doctrines de la « contre insurrection contemporaine(général Petraeus ). Tout cela procède de l’École de répression dite « guerre révolutionnaire »dont certains idéologues français se sont fait une spécialité. 6
Massacrer pour gouverner. Tuer pour terroriser. Telle est la réalité de l’action des forces pro Ouattara, mercenaires et dozos- sous couvert des corps expéditionnaires franco-onusiens. Avec un habillage juridique institutionnel, et une couverture juridique qu’incarne la CPI, à l’ombre d’un procureur africain.

Mais tout cela permis par une propagande massive(par corruption des médias des « chercheurs » des politiques, en particulier africains) depuis 2002, et même 2000:abattre le régime Gbagbo a bien été le but des gouvernements de droite successif- couvert par une « gauche » mollétiste et néo-coloniale, qui n’a jamais ( et j’ en peux témoigner pour la commission Afrique du PS, sauf exception) accompli la rupture nécessaire à la décolonisation contemporaine.

Plus même, la guerre idéologique semble, pour reprendre Antonio Gramsci, la condition nécessaire et préalable à l’intervention armée- facilite par la mise en conformité spontanée des médias en temps de guerre : médias de guerre plutôt.

CE QU IL FALLAIT DEMONTRER

N y a t il que le Rwanda? A ma grande surprise, en parcourant la littérature politico-juridique sur les génocides, massacres de masses et tribunaux spéciaux(dont la CPI est le parachèvement), j’ ai découvert que le tribunal pour le Cambodge reprend le même vocabulaire , se demandant si Pol Pot et alii ont bien mené une « Politique » (d ‘extermination), déclinée en “plan commun”!
Il y a donc bien, au delà du binôme Rwanda/Cote d’ivoire(parallèle que le cas cambodgien corrobore bien évidement) une duplication de l’accusation des tribunaux internationaux: génocide, massacres extrêmes, crimes contre l’humanité procéderaient dune même “intuition” que l’on se devrait de préciser-ou non en théorie- en « Politique » et « plan commun ».
Inutile de dire qu’une telle simplification historique et politologique, appliquée à des contextes nationaux et sociétaux très différents est absurde et nuisible aux thèses même de l’accusation: en cas de massacre effectif, si le mécanisme de décision est différent, jamais le tribunal ad hoc ne pourra le prouver “au delà de tout doute raisonnable”, selon la formule anglo-saxonne qui s’ applique en particulier à la CPI, et en occurrence à l’application contre le Président Gbagbo et le ministre Blé Goudé.

C’est bien ce que la Défense laisse entendre: plus le Procureur proférera des accusations absurdes, dupliquées, démesurées, plus quelque part la tache des avocats des deux prévenus sera facilitée.
Dans le cas évidement où la Cpi serait une institution judiciaire qui dirait le Droit hors de toute pression- et non politique comme le pensent la plupart des observateurs indépendants, comme récemment la journaliste Stéphanie Maupas, qui a étudié cette “juridiction” durant de longues années.

En 1968, les étudiants avaient inventé, contre les Maîtres du structuralisme, un slogan savoureux: “les structures ne descendent pas dans la rue”: au delà des idéologies, des structures, des narrations, ce sont des acteurs sociaux qui les portent et les profèrent- et les dupliquent, de pays en pays, un pays à l’autre.. Des hommes…et des femmes.

De 2002 à 2004, le procureur-adjoint du Tribunal International Pour le Rwanda était une juriste gambienne:elle s’appelait- et elle s’appelle toujours , devenue procureur de la CPI- Fatou Bensouda.

Ce qu’il fallait démontrer.

MICHEL GALY

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