Depuis la victoire de Ouattara en 2011, tout le monde sait qu’il ambitionne de lui succéder un jour
Une affaire qui est tout sauf anecdotique. Non seulement en raison du poids de l’intéressé sur la scène ivoirienne, mais aussi parce que cette offensive de la justice française intervient à un moment où Soro fait face à plusieurs accusations graves et concomitantes.
Le président du Parlement ivoirien ferait l’objet d’un mandat d’amener délivré lundi à son domicile français. Une affaire embarrassante.
Où se trouve Guillaume Soro ? Le président du Parlement de Côte-d’Ivoire, deuxième personnage de l’Etat, est recherché par la police française qui se serait présentée ce lundi matin au domicile que l’ancien chef rebelle possède dans la région parisienne. Sans le trouver sur place alors qu’il était en France la semaine dernière.
La présence de policiers à son domicile (révélée par la Lettre du continent) est justifiée par le mandat d’amener délivré en fin de semaine par la juge d’instruction parisienne Sabine Khéris. Laquelle, selon plusieurs sources, serait «excédée» de voir Soro, 43 ans, refuser de répondre à ses convocations.
Une affaire qui est tout sauf anecdotique. Non seulement en raison du poids de l’intéressé sur la scène ivoirienne, mais aussi parce que cette offensive de la justice française intervient à un moment où Soro fait face à plusieurs accusations graves et concomitantes.
Plainte du fils Gbagbo
Si la justice française le recherche, désormais activement, c’est en raison d’une plainte déposée il y a plus de trois ans, le 25 juin 2012, par le fils de l’ancien président Laurent Gbagbo. Dans la foulée de l’arrestation de son père, le 11 avril 2011, Michel Gbagbo avait été lui aussi interpellé le même jour (de façon plutôt violente) à Abidjan, puis incarcéré à Bouna, dans le nord du pays, jusqu’en août 2013. C’est donc pendant sa détention que le fils de l’ex-président (dont la mère est française, et qui possède donc la nationalité française) avait porté plainte à Paris contre Soro et tous les autres chefs rebelles commandants de zones, les fameux «comzones», pour «enlèvement, séquestration, traitements inhumains et dégradants». La plainte avait été jugée recevable par la justice française en mars 2013.
Et depuis ? Rien ou presque. Michel Gbagbo a retrouvé la liberté avant d’être condamné en mars à cinq ans de prison à l’issue d’un procès collectif, jugé bâclé par de nombreux observateurs.
Depuis, le fils de l’ex-président (lui-même détenu à la Cour pénale internationale, à La Haye) a fait appel de ce jugement. Alors que beaucoup doutent de la véracité des accusations portées contre le fils Gbagbo (qui était prof à l’université d’Abidjan quand son père était au pouvoir, et se tenait à l’écart des joutes politiques), la condamnation a eu surtout pour effet de confirmer l’interdiction de sortie du territoire de Michel Gbagbo qui vit de facto en reclus dans la grande maison paternelle du quartier du Golf à Abidjan. Convoqué lui-même à plusieurs reprises par la juge Kheris, il n’a pu honorer ses demandes, faute de pouvoir quitter le pays.
Guillaume Soro, lui, aurait pu le faire. Convoqué à trois reprises par courrier recommandé adressé à son domicile français, il aurait ignoré la première convocation, demandé le report de la deuxième en raison des élections ivoiriennes d’octobre, puis repoussé une troisième convocation fixée au 24 novembre. Des reports qui ont donc justifié le mandat d’amener délivré lundi.
Soutien du putsch à Ouagadougou ?
Personnage controversé, qui a plusieurs fois changé de camp depuis les années 90 où il était leader étudiant, Soro est un homme puissant sur la scène locale. Il fut chef rebelle dans le camp de l’actuel président Alassane Ouattara, mais aussi, à 37 ans, un très jeune Premier ministre de «cohabitation» au côté de Laurent Gbagbo en 2007.
Depuis la victoire de Ouattara en 2011, tout le monde sait qu’il ambitionne de lui succéder un jour, après l’avoir aidé à gagner le pouvoir par les armes. Mais outre ses démêlés avec la justice française, Soro fait face à une autre polémique potentiellement explosive.
Ce week-end, le Premier ministre du Burkina Faso (pays voisin de la Côte-d’Ivoire), Yacouba Isaac Zida, a indirectement accusé le président du Parlement ivoirien d’être impliqué dans le putsch raté du 16 septembre qui avait failli faire capoter le processus de démocratisation initié dans ce pays. Zida, un officier qui avait joué un rôle clé en novembre 2014 dans la chute de Blaise Compaoré (aujourd’hui exilé… en Côte-d’Ivoire), a pour la première fois samedi déclaré «authentique» une conversation téléphonique enregistrée et divulguée sur les réseaux sociaux, dans laquelle Soro, en discussion avec l’ex-ministre des Affaires étrangères de Compaoré, Djibrill Bassolé, semble justifier et même soutenir la tentative de putsch alors en cours.
Depuis, Djibril Bassolé a été arrêté et la villa que possède Soro à Ougadougou, capitale du Burkina, a été perquisitionnée.
L’étau qui se resserre autour de Soro, de Paris à Ouagadougou, ne manquera pas d’embarrasser Abidjan. Mais aussi tous ceux qui jouent à fond la carte du régime Ouattara dans l’espoir d’une stabilisation de ce pays, première puissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone.
Que va dire Ouattara ?
Réelu avec officiellement plus de 80% des voix à l’issue d’un scrutin émaillé de quelques irrégularités sur lesquelles la communauté internationale a préféré fermer les yeux, Alassane Ouattara sera-t-il tenté de sacrifier le soldat Soro ? Peut-il seulement se débarrasser de cet allié encombrant ?
C’est le rapport de forces au sein du régime ivoirien que cette affaire risque de révéler. Alors que le procès de Laurent Gbagbo, qui démarre en principe le 28 janvier à La Haye, pourrait ouvrir d’autres boîtes de Pandore sur les exactions de chaque camp pendant la longue guerre civile qu’a connu le pays.
Maria Malagardis
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