Mes chers compatriotes,
Il y a exactement 50 ans à ce jour, le 27 Avril 1960, notre pays a accédé à l’indépendance dans une liesse populaire, d’espoir renouvelé et de chants victorieux. Comment le peuple togolais avait-il gagné cette victoire fondatrice ? Que signifiait ce moment formidable de notre marche vers la liberté ?
Naissance d’une nation africaine
Au 19e siècle le territoire de notre actuel pays avait émergé comme une zone tampon entre l’empire Ashanti à l’Ouest, qui règne alors sur la région sud de l’actuel Ghana, et le Royaume du Dahomey à l’Est, qui règne alors sur le Sud de l’actuel Bénin. Les côtes togolaises, et la zone qui séparait ces deux royaumes, étaient devenus petit à petit une terre d’accueil recevant tour à tour les réfugiés fuyant les luttes intestines et les razzias négrières de l’un ou l’autre des royaumes voisins. Mais bien sûr, le futur Togoland n’échappa pas entièrement au sinistre de la traite des noirs. Après l’abolition de l’esclavage en 1848, l’exploitation de la région par les puissances coloniales se recentrera sur les matières premières (coton, cacao, huile de palme, etc.), et leurs administrations étendront leurs activités aux côtes togolaises. En 1884, le traité de protectorat Allemand que signe le roi Mlapa III donne pour la première fois une identité territoriale au Togoland. C’est ensuite la course à la politique de « l’occupation effective » pour les puissances coloniales : territoire annexé et présence militaire définissent les zones d’influence entre l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne dans la région.
Après la première guerre mondiale qui sonne la chute de l’empire Allemand, le traité de Versailles fixe le partage du Togoland sur toute sa longueur entre la France et l’Angleterre sans aucune considération pour les contours de l’espace ethnique et social sur le terrain. Pour tirer le meilleur parti des ressources de ce nouveau Togo, amputé de moitié et plus étriqué que jamais, les français axent le développement du pays sur les exploitations minières et l’expansion des cultures de rente, négligeant les infrastructures et les industries locales. Ils procèdent également à des déportements massifs des populations Kabyès et Lossos du Nord, vers les terres du Centre et du Sud, pour développer entre autres la culture du coton.
L’administration du territoire est sous le contrôle du ministre Français des colonies, puis par le gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française. Elle ne donne pratiquement aucune liberté de penser ou de décider de quoi que ce soit, aux leaders autochtones émergeants et à la population. En 1941, le Comité de l’Union Togolaise (CUT), du futur leader indépendantiste, Sylvanus Olympio, prend forme. Avec la création des Nations Unies en 1945, la France recoit un nouveau mandat qui lui impose d’amener graduellement le peuple Togolais à « l’autogestion ». Pour assurer la continuité de sa domination sur le pays, la métropole met en place plusieurs stratégies de façade, dont des simulacres d’élections locales, pour étouffer les revendications populaires et le souci de la communauté internationale naissante de voir les peuples Africains s’émanciper vers une vraie gestion participative.
Mais, en 1958, à la surprise de la France, le Parti Togolais du Progrès qu’elle supporte est écrasé par le mouvement indépendantiste lors d’élection organisée par les Nations Unies pour préparer la « levée du régime de tutelle ». Le triomphe électoral du CUT pave la voie pour l’indépendance. Le Togo est un des premiers pays d’Afrique à y accéder en 1960. Le 27 Avril 1960, au terme d’un combat courageux sous les quatre décennies de tutelle francaise, le peuple Togolais, emmené par son premier Président, Sylvanus Olympio, se dégage enfin de l’oppression coloniale.
L’espoir de la libération est écrasé par la dictature (1963-1989)
Mais après trois courtes années d’une gouvernance austère qui renforce l’émancipation politique par une indépendance économique croissante du Togo vis-à-vis de la France, le Président Olympio est éliminé. Le gouvernement Togolais décide de sortir de la zone Franc et d’indexer la nouvelle monnaie nationale au Mark. La décision doit prendre effet le 15 Janvier 1963. Le président Olympio est assassiné deux jours avant.
Les circonstances exactes de ce meurtre n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune enquête officielle de la part du gouvernement togolais, même si toutes les versions convergentes mettent en cause la complicité des autorités françaises de l’époque. Mais le meurtre du président Olympio inaugure une triste période pour toute l’Afrique, puisqu’il inaugure la pratique de l’élimination physique des chefs d’Etats Africains qui dérangent. Le régime militaire Eyadéma fut donc le premier à s’installer au pouvoir par le biais d’un coup d’état militaire. Ainsi semble mort le rêve né de l’indépendance, dans la bassesse et l’ignorance des exécutants du meurtre fondateur. En 1967, l’armée prend la responsabilité des pouvoirs civils politiques sur toute l’étendue du territoire, la constitution est suspendue, l’assemblée nationale est dissoute et toutes les activités politiques sont interdites.
Dans les trois décennies qui suivent, les Togolais retombent sous le joug de la domination administrative imposée par la force. C’est la période du Guide Eclairé de la Nation, du RPT parti unique, et de la répression sans limites de toutes les velléités de contestation politique. Dans le contexte global de la guerre froide, l’ancienne puissance de tutelle soutient la dictature togolaise et ferme les yeux sur sa brutalité. Dans la diaspora grandissante, certains parmi les exilés ont le courage de tenter plusieurs fois de libérer le Togo par les armes, mais les moyens croissants de l’état et sa militarisation accélérée rendent le rapport de force inégal et sans issue. Mais à la fin des années 80, la chute du mur de Berlin en Europe redéfinit les priorités des pays occidentaux.
Le Printemps Togolais, son étouffement, et l’émergence de l’état mafieux (1990-2010)
En 1990, le parapluie sécuritaire et diplomatique affaibli du General dictateur s’effrite et ouvre une brèche dans laquelle s’engouffre la jeunesse Togolaise. Son soulèvement redonne au combat pour la libération du peuple une vigueur nouvelle, et l’espoir d’Ablodé renait ! Pendant ce printemps Togolais, les revendications estudiantines forcent le pouvoir à accepter la conférence nationale souveraine puis, la formation d’un Gouvernement de transition. Une nouvelle constitution est entérinée en 1992, posant alors, nous l’espérions, les bases d’une nouvelle ère démocratique…
Mais une année plus tard, le régime militaire du dictateur reprend sa forme la plus répressive et met fin à la transition dans le sang. Le Togo est mis sur le banc de la communauté internationale qui lui impose alors des sanctions économiques et un isolement diplomatique. Depuis ce printemps politique, nous luttons pour faire ré-émerger le processus démocratique né du vent libérateur du début des années 1990, pendant que le régime et la famille Gnassingbé s’y opposent prenant en otage tout un peuple : élections truquées, corruption mafieuse, trafics en tout genres utilisant l’appareil d’état, achat de consciences etc. Tout cela avec l’aide de pseudo de conseillers juridico-politiques européens ou de conseillers en communication grassement rémunérés… Le ridicule ne tue plus au Togo. Jusqu’en 2005 bien sûr… où le coup constitutionnel qui suit la mort du dictateur ne peut être imposé au peuple que dans le sang. Les tueries permettent à l’armée de pérenniser le régime en mettant Faure Gnassingbé à la tête de notre pays. Depuis 2005, ce président en quête de légitimité essaye à sa manière de redonner une image plus ouverte à l’appareil dont il est l’héritier. Mais cet appareil lui reste utile pour assurer sa réélection au vu du maigre bilan dont son régime peut se prévaloir. En 2010, c’est chose faite. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Où en sommes-nous cinquante années après cette indépendance que nos aînés nous ont donnée ? Souvent au prix du sacrifice de leurs vies ? Force est de constater que nous sommes passés, comme l’ont dit plusieurs avant moi, de l’esclavage au libéralisme mafieux de la famille Gnassingbé
L’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir s’est suivie dans les deux dernières années d’une tentative approximative de redresser la barre. Mais le pays sans direction est laissé par amateurisme entre les mains de nouveaux prédateurs. Dans ce système en décomposition, de nouveaux barons essayent de piller le pays dans une course effrénée à accumuler le plus rapidement possible leur part d’un gâteau rapetissé et éphémère. Pendant ce temps, le peuple togolais reste le perpétuel perdant de cette gestion politique et économique désastreuse.
Dans tous les domaines, économie, éducation, santé, développement social, sanitaire, culturel, etc., notre pays s’est inscrit á l’enseigne des plus grands retardataires. De l’image d’un pays où l’on pouvait encore espérer un décollage économique, nous sommes passés à celle d’un pays où toutes les voix de l’espoir s’éteignent d’années en années.
L’éducation de notre jeunesse continue de se détériorer, et nos enfants sont de moins en moins instruits, de génération en génération. Ce, par manque de volonté politique, de moyens simples, et de vision pour la construction d’une nation compétitive. Seule une minorité qui a les moyens d’envoyer ses enfants en dehors du pays est capable d’assurer une véritable éducation à sa jeunesse. Nos jeunes qui arrivent quand même à un diplôme ou à une formation ne trouvent pas de travail. La plupart partent dans les pays voisins chercher un futur, et notre pays se vide de ses forces vives.
L’économie, c’est la navigation à vue. Aucun programme pensé, pratique et viable ayant l’homme à son centre n’est proposé. Les rares sociétés publiques qui continuent de fonctionner sont gérées pour les poches du pouvoir en place. Le culte de la médiocrité s’est erigé en système de gouvernement. Dans un pays ou l’excellence n’est pas récompensée, elle a été remplacée par le zèle et le clientélisme mafieux.
Le système sanitaire est devenu une veritable plaie dans un pays où l’état abandonne toute responsabilité de gestion de la santé publique. Faute d’infrastructures de base et de modestes moyens, les Togolais n’ont plus accès aux soins de santé les plus banals et l’on meurt au Togo de maux aisément soignables ailleurs.
La justice togolaise reste aux ordres du régime ou tout simplement corrompue par les plus offrants dans les litiges privés. En conséquence, elle n’offre plus aucune garantie au citoyen de base et pour les petites entreprises pour qui elle devrait représenter le garant ultime des libertés publiques et du droit privé.
Le système politique est à l’image de son produit en termes de développement. La Constitution democratique votée de facon enthousiaste par le Peuple en 1992, tripatouillée en 2002 pour la tailler sur mesure au général Eyadema, a conduit le pays dans une situation où on ne sait plus exactement dans quel régime on est. La seule certitude qu’elle offre est qu’elle permet de perpétuer un système de dictature qui ne dit pas son nom. Dans ce système, les institutions qui garantissent la democratie sont inexistantes ou alors son entièrement inféodées au pouvoir politique.
Quel Togo devons nous nous atteler à construire pour demain ?
Au sortir du rendez vous électoral manqué de 2010, quelles sont les leçons à tirer et quelles voies restent-ils pour faire avancer la cause du peuple togolais ? Quelles sont les solutions pour le Togo ?
Pour la première depuis la Conférence Nationale de 1990, nous sommes seuls dans notre revendication de la victoire électorale de l’opposition. Pratiquement aucun pays étranger n’a choisi de condamner la conduite des élections par le régime, et la communauté internationale dans son ensemble considère les résultats de la présidentielle généralement acceptables. Ce chorus inclus même nos partenaires étrangers les plus impartiaux.
Ce constat est douloureux pour la classe politique togolaise dans son ensemble, et pour moi en particulier. Il est difficile à accepter parce qu’il nous renvoi e devant l’impossibilité de faire prévaloir aujourd’hui les droits démocratiques du peuple Togolais qui a tant souffert. Mais c’est la réalité à laquelle nous faisons face. Dans ce contexte, même si nous savons avoir gagné, demander à nos enfants une résistance dans la violence est un pari irresponsable.
Devant la réalité ci-dessus, et dans l’attente d’un futur démocratique plus authentique, nous ne devons pas tourner le dos au besoin pressant de faire prévaloir les droits économiques et sociaux du peuple. Nous devons trouver les moyens pour essayer d’améliorer leur quotidien sans plus attendre. Il nous faudra pour cela savoir reconsidérer toutes les solutions nécessaires à faire avancer, même lentement, un changement dans la paix, car notre peuple à genoux ne peut plus attendre.
Face à la confiscation continue du pouvoir par la force, nous sommes contraints à exiger de ce régime illégitime qu’il mette en place les conditions politiques pour que soit effectué un nouveau démarrage dont voici les grands chantiers :
Le retour à la Constitution de 1992 (votée par les représentants de l’ensemble du peuple togolais, réunis lors de la Conférence Nationale Souveraine) doit servir de base à toute évolution constitutionnelle de notre système de gouvernement.
La séparation effective des pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire, seule source de garantie des libertés du citoyen.
La restitution de son indépendance (vis-à-vis du RPT) à la chefferie traditionnelle en milieu rural, afin que celle-ci puisse servir de relai administratif exprimant la volonté authentique et démocratique du peuple à la base.
– La reconstruction de notre système d’éducation, l’expansion de nos infrastructures scolaires et universitaires, et leur adaptation à nos besoins réels pour relancer l’emploi.
La mise en place de structures de santé primaire accessibles à toutes nos populations. Cette nécessité est un enjeu à la fois humain et économique. Une société réduite par la maladie ne peut pas produire de croissance économique durable.
Le retour à l’esprit d’une gestion intègre de la chose publique qui animait nos aînés après l’indépendance, une gestion dans l’intérêt du peuple, fondée sur le principe de la transparence et du respect de la chose publique.
L’élimination des pratiques actuelles pour s’attaquer de front à la prédation, la gabegie, et la corruption étatique. Ce renversement passera par le renforcement de notre système judiciaire, de son indépendance, et de ses garants, afin qu’elle sorte de son instrumentalisation par l’exécutif.
Il faudra en d’autres termes construire une société plus juste, plus humaine, qui mette l’être humain et l’intérêt collectif au centre de ses préoccupations administratives. Si un sursaut de fierté est encore possible dans les rangs du régime et qu’il se dit prêt à travailler à sortir les Togolais de la misère et de l’indigence, il faut le prendre aux mots, et accepter de prendre la place légitime qui nous revient pour participer de façon vigilante à la reconstruction économique du pays.
Après 40 ans de lutte, et 50 ans d’indépendance, la situation de notre pays demande à tous un courage politique nouveau. Nous pouvons encore faire renaitre le rêve qui est né au lendemain de l’Indépendance. Cela demandera une capacité de pardon et d’abnégation de soi, et de volonté politique. En ce jour du cinquantenaire de notre nation, et après le rendez vous électoral une fois encore bafoué, j’ai décidé de me faire l’outil de ce message d’espoir et de progrès pour le peuple Togolais.
La célébration du cinquantenaire de notre indépendance aurait du être cette année une fête pleine de joies et d’espoir pour toutes les filles et fils de ce pays… Une occasion de rassemblement et de communion historique. Mais même si notre réalité politique aura volé à cet évènement toute sa dimension de joie et d’espérance, je viens vous dire que rien ne s’arrête ici. La terre de nos aïeux reste peine de vie. Nos enfants attendent de nous un Togo meilleur et plus éclairé. C’est pourquoi je renouvelle, une fois encore, mon souhait de voir la classe politique dans son ensemble s’impliquer dans la résolution de cette crise qui retarde le développement et l’épanouissement de notre peuple.
Je reste convaincu qu’il existe en nous, les Togolais, l’énergie et le génie de briller sur la constellation des nations Africaines. Il n’en revient qu’à nous de trouver la force et le courage de canaliser ce génie travailleur vers la création d’une société juste et plus équitable. J’espère voir de mon vivant notre peuple arriver à l’émancipation démocratique complète qui avait pris germe au lendemain de l’indépendance. Mais quoi qu’il arrive, notre destination est certaine.
Ablodé !
Que Dieu bénisse le Togo.